Thèse en cours

Une ville et son élite dans l'Aquitaine médiévale : le Château de Limoges et sa bona gens, de l'émergence à la soumission politique, 1088-1276

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Thomas Schneider
Direction : Anne Massoni
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire mention Histoire et civilisations des mondes anciens et médiévaux
Date : Inscription en doctorat le 14/10/2016
Etablissement(s) : Limoges
Ecole(s) doctorale(s) : Littératures, Sciences de l'Homme et de la Société
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de Recherches Interdisciplinaires en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie (Poitiers ; 2008-....)

Résumé

FR  |  
EN

La ville de Limoges appelée le Château est un bourg monastique qui s'est développé autour de l'abbaye Saint-Martial, fruit des dynamiques spirituelles et marchandes liées au culte de Martial, évangélisateur de l'Aquitaine, devenu apôtre du Christ au XIe siècle, et au pèlerinage organisé sur son sépulcre, au moins à partir de cette époque. Au sein de l'Aquitaine, Limoges est depuis au moins le VIIIe siècle un centre administratif et politique important pour les premiers ducs d'Aquitaine, et le nouveau lignage qui se porte au duché au Xe siècle réaffirme au XIe son emprise sur la ville, même si sa capitale est Poitiers. Le Château devient également, un centre économique important, notamment, au moins dès le XIIe siècle, lié à la frappe de la monnaie dont la détention des droits représente également pendant des siècles un enjeu de pouvoir tout autant qu'une source de prospérité, et fait de la ville un objet de convoitise pour ses maîtres. Au sein de la population qui se fixe au Château, dont le seigneur direct est aux XIe et XIIe siècles l'abbé de Saint-Martial, se dégage une élite, comme dans toutes les villes occidentales d'importance, à ce moment du Moyen Âge. C'est cette élite urbaine qui est l'objet de cette thèse. Elle émerge dès 1088 dans la vita de Geoffroy du Chalard, puis dans les sources documentaires encore conservées pour le Limoges du XIIe siècle, exclusivement produites par des clercs, chroniques et chartes monastiques et capitulaires, nécrologes et obituaires Cela ne manque pas d'imprimer, dès le départ, au regard qui nous est offert sur cette élite, une inflexion particulière : les premiers porteurs de cognomina des bourgeois du XIIIe siècle, corpus de départ et point de référence de l'observation et de la réflexion à rebours, sont souvent, au siècle précédent, des clercs ou des laïcs évoluant dans l'entourage de l'élite cléricale limousine et pontificale. Mais cette élite comporte aussi d'autres laïcs dont certains sont dans la mouvance encore poreuse des milites ou des lignages aristocratiques limousins. Les laïcs de ce milieu composite établis au Château, qui échappent au classement dans un statut qui n'est pas encore fixé, se posent dès leur apparition documentaire en force économique. Certains sont détenteurs de droits régaliens sur la monnaie, qui restent sur le temps long un enjeu crucial. Ils sont progressivement désignés dans les sources aux XIIe et XIIIe siècles sous le nom de « bourgeois », que l'historiographie des élites urbaines a, depuis la fin des années 1980, consacrés comme une nouvelle classe sociale de laïcs détentrice de richesse et de pouvoir dans les villes médiévales – traits qui se confirment à Limoges – en opposition avec leur seigneur et avec le monde clérical, ce qui, au Château, offre une réalité plus nuancée malgré des temps de crises. Reste à savoir ce que recouvre cet état de bourgeois, bien différent entre son apparition documentaire à Limoges, en 1127, et 1261, moment des coutumes les plus abouties pour le Château du XIIIe siècle, qui codifient le terme en un vrai statut juridique : c'est à quoi cette thèse entreprend de répondre, dans les limites que posent la délicate adéquation entre des concepts historiographiques et la réalité médiévale. L'étude porte sur un corpus d'abord constitué sur un critère objectif : l'accès aux magistratures consulaires, reconnu dans l'historiographie comme le plus souvent ouvertes à la meilleure part de l'élite d'une ville, sinon accaparées par elle. Le cognomen, étant devenu héréditaire au Château dès la fin du XIIe siècle, le corpus a été élargi aux porteurs du même cognomen que les consuls ou les prudhommes membres du conseil communal, ici appelé « Hospital », dans un souci de première vérification de l'adéquation entre responsabilités politiques et état bourgeois. Toutefois, les listes consulaires conservées étant assez peu nombreuses, le corpus a finalement été élargi pour le XIIIe siècle et les premières décennies du XIVe siècle à toutes les familles dont un membre était qualifié « bourgeois » dans les sources disséminées dans les fonds d'archives très diverses et complémentaires. Ce corpus, constitué de 180 groupes patronymiques plutôt que familles, a permis de dresser une liste de noms dont on a ensuite cherché les premières traces dans la documentation des XIe et XIIe siècles, pour un regard rétrospectif à une époque où on ne mentionne que rarement l'état ou l'activité d'un laïc. Alors, qui sont ces « bourgeois » du Château, cette élite appelée « bona gens » dans un acte en occitan émanant de l'autorité consulaire en 1243 ? Quel groupe social et quelle force, en particulier politique, représentent-ils aux premiers siècles de leur apparition ? Quelles ressources nourrit cette force et quelles stratégies ces moyens lui permettent-elles de mobiliser ? L'objet de cette thèse est d'aller à l'origine de ces personnages éminents devenus bourgeois, de voir cette élite se former à partir de milieux composites, empreints de porosité et complémentaires au XIIe siècle ; il s'agit ensuite de la voir s'ériger au début du XIIIe siècle en force municipale dans un contexte de crise militaire, politique et spirituelle en Aquitaine, s'émanciper en 1212 de son seigneur l'abbé de Saint-Martial, tout en gardant ses entrées et une influence au monastère sans recours systématique à la violence, puis de la voir se constituer une manière de République qui détient et exerce pour le bien commun tous les pouvoirs au Château et à Limoges dès 1226, grâce à son insertion dans les plus hauts réseaux cléricaux, jusque sur le siège épiscopal, et dans l'appareil féodal, tout en prospérant économiquement et en manifestant une spiritualité qui la pousse vers les formes nouvelles que sont, par exemple, le dénuement grandmontain ou la modération prônée par les ordres Mendiants. Il s'agit ensuite de voir comment, à la tête d'une ville qui est devenue dès la fin du XIIe siècle un enjeu indispensable à maîtriser dans la politique du duc-roi d'Angleterre et du roi de France, l'élite bourgeoise du Château se pose en alliée du Plantagenêt, son suzerain. C'est de ce suzerain qu'elle revendique l'aide, dans une lutte pour la maîtrise du Château qui l'oppose au vicomte, connue dans l'historiographie comme « la guerre de la vicomté ». Cette guerre est sensible dès 1245, plus tôt que ce qui était traditionnellement admis dans l'historiographie. Elle est déclenchée par la convoitise du vicomte Gui VI puis de sa veuve dès 1263, avec le soutien de plus en plus marqué du pouvoir capétien. L'enjeu affiché de cette lutte est la maîtrise des droits seigneuriaux sur le Château : le vicomte « de Limoges » cherche alors à s'imposer comme seigneur direct, vicomte "à Limoges", rôle que lui a attribué l'historiographie, mais qu'il n'exerce ni au XIIe ni au XIIIe siècles avant 1276, date à laquelle le consulat doit se soumettre à une vicomtesse reconnue comme dame du Château non de fait, mais de droit, par le parlement royal. En effet, cette « guerre de la vicomté » doit être relue sur un plan politique plus vaste, celui de l'échiquier du royaume de France après le traité de Paris de 1259, sur fonds de politique d'expansion inexorable du roi de France, moins sur le plan militaire depuis Louis IX que sur le plan du droit, dit par un Parlement qui s'impose comme une autorité incontournable. En 1276, désavouée par le Parlement qui accorde ses revendications à la vicomtesse, l'élite bourgeoise perd la lutte en même temps que la maîtrise de la ville, ce qui place pour un siècle le Château sous la domination d'un suzerain bien inséré dans la mouvance capétienne. Dès lors, il s'agit de voir comment, privée de son consulat majeur et de ses droits, la bourgeoisie évolue, avec des fortunes diverses : une partie, ayant misé sur le pouvoir par le savoir, a donné des clercs mais se trouve en voie d'extinction biologique, une autre, déclassée, finit par se fondre dans le commun peuple. Une autre, enfin, entre en résilience et se vivifie, à la reconquête d'une certaine autonomie dans ses affaires et sur la ville, rejointe à la fin du XIIIe siècle par plusieurs familles qui intègrent l'élite sociale. Cette part-là entame sa mutation vers un groupe toujours prospère mais plus fermé, au rythme de la transformation du pouvoir royal des derniers Capétiens directs, et des nouveaux enjeux économiques et politiques du royaume, jusqu'en 1328, à la veille de la Guerre de Cent ans.