L'alerte individuelle dans les entreprises privées
Auteur / Autrice : | Sullyman Bouderba |
Direction : | Bernard Bossu |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit privé |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2022 |
Etablissement(s) : | Université de Lille (2022-....) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale des Sciences Juridiques, Politiques et de Gestion (Lille ; 1992-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de Recherche Droits et Perspectives du Droit |
Equipe de recherche : LEREDS - L'Equipe de recherches en droit social |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
« Contre-pouvoir indispensable au bon fonctionnement démocratique ou danger pour la sécurité de la Nation ? ». Le salarié lanceur d'alerte est au cur de nombreuses controverses et suscite de nombreuses interrogations. De célèbres lanceurs d'alertes ont permis de révéler certaines situations parfois alarmantes dans différents domaines de la société. Il sera fait référence à Irène Frachon et le scandale du Médiator, Edward Snowden et la surveillance d'internet aux États-Unis ou encore Frances Haugen et les « Facebook files ». Face à cette situation, la réponse patronale est parfois sans appel, entre pression et mesure de rétorsion, les lanceurs d'alerte prennent des risques et en subissent parfois les conséquences. Il faut entendre par lanceur d'alerte, « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international ( ) du droit de l'union européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n'ont pas été obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnés au I de l'article 8, le lanceur d'alerte doit en avoir eu personnellement connaissance » (Art. 1er loi n°2022-401 du 21 mars 2022). Autrement dit, le lanceur d'alerte doit être entendu comme étant une personne physique. L'alerte individuelle se distingue de l'alerte collective, exercée par un représentant du personnel dans le cadre de ses fonctions représentatives. Cette dernière possibilité permet aux représentants du personnel de dénoncer ou de révéler des informations sur des activités qui constituent une menace ou un préjudice à l'intérêt général. C'est le cas, par exemple, de l'alerte économique, depuis la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises (Art. L.2312-63 C.T). La participation des représentants du travailleur au droit d'alerte s'explique par leur mission de représentation : ils peuvent intervenir de façon préventive pour protéger les droits et libertés des salariés et garantir leur intégrité physique en alertant sur la violation des règles gouvernant l'hygiène et la sécurité. Plus précisément, le droit d'alerte collective s'est construit autour de l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail. Dès la loi du 23 décembre 1982, un droit d'alerte en matière de santé et sécurité a ainsi été reconnu aux représentants du personnel, avant d'être étendu aux droits et aux libertés individuelles (Loi n°92-1446 du 31 décembre 1992) dans l'entreprise puis aux situations de discrimination ou de harcèlement (Loi n°2012-954 du 6 août 2012). En ce qui concerne l'alerte individuelle, à savoir l'alerte donnée par une personne physique, aucune disposition légale ne la prévoyait avant 2016(Loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ) à l'exclusion de la loi Sarbanes-Oxley de 2002 imposant une responsabilité partagée des auditeurs et des dirigeants en matière de détection des fraudes et des menaces externes. Le développement de l'alerte doit être mise en parallèle avec la montée en puissance de la responsabilité sociale des entreprises, c'est-à-dire la prise en compte des attentes des parties prenantes qu'elles soient internes (dirigeants, salariés, actionnaires ) ou externes (fournisseurs, clients ) ainsi qu'au un respect des lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement. C'est sur fond de lutte contre la corruption, les comportements néfastes pour la vie économique et sociale et pour la transparence que la responsabilité sociale des entreprises s'est développée à partir des années 1970. Cette responsabilité sociale ou sociétale des entreprises s'inscrit dans un contexte de responsabilisation des personnes physiques ou morales en matière d'éthique. La doctrine a d'ailleurs écrit à propos de la responsabilité qu'il s'agit du « fait pour un être de répondre de ses actes face aux autres et au futur, en général, parce qu'il a la faculté de faire et de tenir des promesses, c'est-à-dire, de disposer par anticipation de l'avenir »( POSTEL (N.) & SOBEL (R.), « Dictionnaire critique de la RSE », Presses universitaire du Septentrion, 2013 p. 98.). En résumé, l'alerte s'inscrit dans un mouvement plus vaste, celui de la responsabilité sociale des entreprises. L'alerte, entendue pendant longtemps comme une « délation », est aujourd'hui encouragé par le législateur. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France a entretenu des liens passionnés avec la dénonciation. Aujourd'hui, l'alerte est entrée dans les murs et l'auteur de celle-ci fait l'objet d'une véritable protection. L'alerte individuelle s'inscrit dans une démarche éthique qui vise à prévenir ou à faire cesser des agissements problématiques en dénonçant des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général et une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation d'un engagement international et européen. Transposant une directive européenne de lutte contre le blanchiment et la corruption, la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », a donné un statut au lanceur d'alerte. Plus précisément, le texte prévoit la mise en place d'un dispositif d'alerte et des procédés de recueil des signalements. Plus récemment, la loi du n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte est venue renforcer la protection apportée par la loi « Sapin 2 ». Parmi les nouvelles dispositions, on trouve des mesures visant à protéger l'identité du lanceur d'alerte, des causes d'exonération de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale et une protection renforcée contre les mesures de rétorsion. Si la protection des personnes physiques procédant à une alerte est accrue, elle n'en demeure pas moins limitée. C'est en particulier à partir du concept de bonne foi que le législateur vient encadrer la protection de l'auteur de l'alerte. Mais comment doit-on interpréter ce concept de bonne foi ? Une personne qui dénonce des faits constitutifs d'un délit pénal sans avoir vérifié la réalité de ses affirmations est-elle encore de bonne foi ? Quelles protections doit-on octroyer aux victimes de dénonciations calomnieuses ? Problématique du sujet : L'objectif de cette thèse est de comprendre l'impact de l'alerte étique sur le fonctionnement de l'entreprise et son efficacité. Pour répondre à cette interrogation, il est d'abord indispensable de s'intéresser aux buts poursuivis par l'alerte éthique. Quel est le champ d'application de l'alerte ? Faut-il dénoncer tous les actes illicites ou simplement les actes les plus graves ? Dans le prolongement cette première question, il convient se demander si la dénonciation est un droit ou une obligation. Ensuite, il conviendra de mesurer les conséquences de la dénonciation sur le fonctionnement de l'entreprise. S'agit-il d'une nouvelle forme de management permettant d'associer les salariés au bon fonctionnement de l'entreprise ? Le chef d'entreprise peut dans une certaine mesure assurer ses obligations en étant informer des comportements répréhensibles (discrimination, harcèlements ). Peut-on parler d'une culture de l'alerte ? Pour mesurer l'efficacité de l'alerte, il conviendra aussi de s'intéresser à la procédure de signalement. En particulier, faut-il informer exclusivement l'employeur ou peut-on aussi saisir un tiers extérieur à l'entreprise pour mettre un terme aux illégalités constatées ? Le traitement de l'alerte, en particulier la procédure d'enquête, retiendra aussi toute notre attention. La protection du lanceur d'alerte, qui trouve son fondement dans la liberté d'expression ne doit pas non plus être négligée. Mais cette protection doit être combinée avec la présomption d'innocence. La personne dénoncée bénéficie aussi de droits et elle peut subir un préjudice important lorsque la dénonciation, même effectuée de bonne foi, s'avère finalement inexacte. Ce sujet soulève donc de nombreux intérêts pratiques et théoriques. IL conduit en particulier à réfléchir à l'association du salarié au bon fonctionnement de l'entreprise ou encore à la conciliation entre la liberté d'expression et la protection des droits de la défense. Les questions éthiques sont aussi fort nombreuses : faut-il passer d'un droit de dénoncer à une obligation de dénoncer ? Peut-on parler de dénonciation altruiste au sein d'une entreprise ? Quelle est l'effectivité réelle de la protection du lanceur d'alerte ?