Thèse en cours

La régulation des crypto-monnaies en droit international public et droit de l'Union Européenne

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Auteur / Autrice : Félix Mubenga
Direction : Nicolas Ligneul
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit
Date : Inscription en doctorat le 01/11/2022
Etablissement(s) : Paris 12
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Organisations, marchés, institutions (Créteil ; 2010-)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Marché, Institutions, Libertés (Créteil)

Mots clés

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Résumé

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Dans son ouvrage “ L'âge de l'inflation” paru en 1963, Jacques Rueff, économiste français d'obédience libérale et profondément attaché à l'orthodoxie financière écrit les mots suivants : “ Croyez-moi, aujourd'hui comme hier, le sort de l'Homme se joue sur la monnaie”. Fervent partisan du système de l'étalon d'or mis en place lors de la conférence de Bretton-Wood de 1944 et opposant de l'interventionnisme étatique dans la régulation économique, celui qui fut juge à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) entre 1952 et 1962, avait la profonde conviction que l'étalon d'or était le meilleur gage d'indépendance face aux monnaies anglo-saxonnes, comme il s'en expliquait en 1971 : “ Je suis convaincu que la seule voie efficace pour restaurer l'équilibre des paiements à l'étranger, c'est la convertibilité en quelque chose qui ne soit pas librement créé par une institution émettrice, comme c'est le cas pour tous les types de monnaie fiduciaire, mais gagé sur la production.” Par ailleurs, ce dernier était d'avis que l'or était également un moyen de pallier les excès des hommes et autres institutions en charge de conduire des politiques monétaires : “ L'expérience millénaire nous conduit à la conclusion que toute monnaie qui ne repose que sur la volonté des hommes conduit nécessairement à des excès. Tout au long de ma carrière, j'ai vu qu'il fallait vraiment des barrières très rigoureuses pour empêcher les pouvoirs de commettre des excès monétaires et que la convertibilité en or est la seule sauvegarde efficace.” La pensée de Jacques Rueff, jugée singulière à son époque, met en exergue la manière dont la monnaie peut être un point névralgique de la relation entre les sujets de droit international public que sont les Etats et les organisations internationales. Néanmoins, il convient de préciser que les problématiques liées à l'échange de monnaie entre les Etats ne datent pas de la fin de la seconde guerre mondiale. Puisqu'en effet, comme le souligne l'économiste Abdellah Belmadani dans son ouvrage : “Monnaie et système de paiement. Mutation, enjeux et risques.” paru en 2019, la monnaie constitue l'un des piliers essentiels à l'exercice de la souveraineté d'un Etat. Cet instrument de paiement a pu au cours de l'Histoire être à la source de la puissance économique d'un Etat, ainsi qu'au déclin des certains autres. Egalement, il est possible de constater que sur le plan historique, la monnaie a pu prendre diverses formes : dans un premier temps elle était un support matériel avec l'émission des pièces, puis à un jeu d'écriture comptable avec les instruments de paiements scripturaux, et enfin elle a pris la forme d'une donnée électronique. Ces nouvelles formes de monnaies, plus immatérielles, bénéficient à ce jour d'une acceptation et d'une confiance des sujets de droit international public ainsi que des personnes privées. Sur le plan juridique, bien qu'il soit possible de trouver dans certains textes de droit international une définition claire de la notion de souveraineté monétaire étatique, il n'est pas possible d'affirmer cela en ce qui concerne la monnaie. Néanmoins, il est possible de prendre la définition donnée par le Professeur français Rémy Libschaber dans son ouvrage : “ Recherche sur la monnaie en droit privé” dans lequel il définit la monnaie comme : “ [...] Une unité de valeur et de paiement, un instrument émis par une autorité publique dotée du pouvoir souverain d'émission monétaire, dont le cours a valeur légale et le paiement permet au débiteur de se libérer juridiquement de son obligation.” Toutefois cela va sans dire, que le souhait de Jacques Rueff visant à bâtir un nouveau système monétaire international, dans lequel l'intervention des Etats serait strictement limitée, trouve aujourd'hui un écho particulier, en raison du développement des crypto-monnaies, qui ne sont à ce jour pas réguler de manière harmonisée au niveau du droit international économique. En premier lieu, il convient que dans son rapport annuel de 2012 la Banque Centrale Européenne a défini une monnaie virtuelle comme étant : ” [...] une monnaie dématérialisée non régulée, créée et généralement contrôlée par ses développeurs, et utilisée et acceptée au sein des membres d'une communauté virtuelle spécifique. Parmi celles-ci, seront considérées celles qui sont convertibles avec d'autres monnaies et qui reposent souvent sur un principe de création et de gestion décentralisé et sur des mécanismes cryptographiques.” L'émergence et la circulation à vitesse croissante de ces nouveaux moyens de paiements, a évidemment fait naître un sentiment d'inquiétude parmi de nombreux Etats et organisations internationales. Et ce à juste titre, car les institutions sont incapables de réguler ce nouveau type de monnaies, au risque de faire perdre la confiance des consommateurs dans les monnaies fiduciaires. Toutefois certains Etats font figure de précurseurs en la matière, puisqu'ils ont déjà adopté certaines crypto-monnaies en tant que devise officielle, ce qui est le cas du Salvador qui en septembre 2020 autorisa le bitcoin comme monnaie légale sur son territoire. Tandis que d'autres pays et organisations internationales songent ardemment à adopter des mesures visant à contrôler les crypto-monnaies. A titre de l'exemple, le Banque Centrale Européenne travaille actuellement sur la mise en place d'un euro numérique dont la mise en circulation est prévue pour 2026. Par ailleurs, la proposition de règlement européen Markets in Crypto-Assets (MICA) est toujours en cours de légifération au Parlement européen à ce jour. Au sens de la Commission européenne, le texte vise à : “ libérer et renforcer le potentiel que la finance numérique peut offrir sur le plan de l'innovation et de la concurrence, tout en limitant les risques”, explique ainsi l'institution dans l'exposé des motifs dudit règlement. Il est désormais clair, que les projets de régulation des crypto-monnaies n'en sont à ce jour qu'à leur stade embryonnaire, et peu d'organisations internationales ont mis en place une législation en la matière qui soit actuellement en vigueur. L'intérêt du présent devoir réside dans la réflexion à mener quant au rôle des Etats et organisations internationales face à cette évolution technologique, économique et juridique. D'autant plus que l'essor de ces nouveaux moyens de paiement remet en cause la souveraineté monétaire des autorités étatiques, telle qu'énoncée ci-dessus, dans la mesure où les crypto-monnaies sont principalement créées et développées par des personnes privées. De plus, il convient d'ajouter qu'une telle technologie engendre des risques juridiques multiples que ni les Etats, ni les organisations internationales ne sont parvenus à solutionner : l'opacité des transactions, l'utilisation de ces monnaies à des fins criminelles et terroristes, une instabilité financière et un manque de contrôle d'une banque centrale à titre d'exemple. Par ailleurs le minage, qui est le procédé informatique par lequel se créer ces cyber-actifs, présente un risque grave pour l'environnement, étant donné qu'elle engendre une surconsommation d'électricité nécessaire afin à la performance des outils informatiques. De ce fait, il devient légitime de se demander si les Etats et organisations internationales doivent-elles à terme prohiber ou agréer ces nouvelles technologies ? Également, si ces crypto-monnaies sont amenées à substituer la monnaie classique ou à les compléter ? Quels sont les mécanismes qui sont possiblement adoptables afin de réguler ces monnaies virtuelles ? Il conviendra également de s'interroger sur la manière dont les sujets de droit international public protègeront les consommateurs et détenteurs de crypto-monnaies. Les récentes fluctuations des monnaies telles que le bitcoin démontre à quel point leur valeur est volatile, faisant courir le risque aux personnes privées de voir leur capital en crypto-monnaie s'écrouler. De plus, les crypto-monnaies mettent également en exergue le risque de mettre davantage en péril les données personnelles des consommateurs, alors même que de nombreux sujets de droit international se sont dotés d'une législation en la matière. En effet, les cryptomonnaies sont également exposées au piratage informatique et au vol. La sécurité des portefeuilles électroniques et des plateformes d'échange et de transactions de ces technologies n'est pas garantie. L'utilisateur s'expose au vol et à la perte totale de ses actifs. La présente étude répondra donc aux problématiques juridiques soulevées par l'émergence des ces cyber-actifs, et ainsi réfléchir sur un possible cadre juridique que les Etats et Organisations Internationales pourraient adopter afin de réguler ces moyens de paiement. Pour ce faire, je ferai un travail de recherche historique, économique et bien évidemment juridique, qui me permettra d'observer la manière dont la monnaie a été régulée à travers l'Histoire. Également, j'interrogerai des professeurs d'université, des économistes, ainsi que des personnes détentrices de cyber-actifs, afin d'avoir plusieurs points de vue dans la réalisation dans ce devoir. Je compte organiser mon travail de rédaction en trois axes : Tout d'abord, je m'attacherai à identifier de manière précise ce qu'est une crypto-monnaie et à m'interroger afin de savoir dans quelles mesures est-il possible de la considérer comme une véritable monnaie au même titre que certaines devises. Pour ce faire, je tâcherai de recourir aussi bien à des sources juridiques que des sources économiques et historiques. Cette multiplicité des sources me permettra d'avoir la définition la plus pertinente possible afin de pouvoir identifier les problèmes juridiques que soulèvent la circulation de ces nouvelles monnaies. Par ailleurs, en analysant l'aspect historique du présent sujet , je serai en mesure d'analyser les prémices du système monétaire international et la manière dont les Etats ont convergé vers une législation commune visant à réguler ledit système. Ainsi, je m'interrogerai quant à savoir dans quelle mesure les sujets de droit international peuvent dupliquer cette démarche afin de contrôler la circulation de ces monnaies virtuelles. Il me sera également important de clarifier le terme de “régulation” afin de pouvoir déterminer les compétences de chacun dans le contrôle du système monétaire international. Dans un second temps, je mettrai en avant les problèmes juridiques que soulèvent la circulation de ces nouvelles monnaies, aussi bien pour les Etats que pour les consommateurs. Sur un plan philosophique du droit, la création d'une monnaie virtuelle hors de contrôle d'une quelconque banque centrale, amène dans une certaine mesure à m'interroger sur les possibles risques que comporte une telle concentration de richesse pour une personne privée. Bien que les premières crypto-monnaies dont Bitcoin, visaient à permettre à leur détenteurs de s'affranchir des règles du système monétaire international, nous constatons aujourd'hui que celles-ci ont entraîné certaines dérives. Le philosophe allemand Georg Simmel tirait le même constat en 1900 au sujet de la monnaie sous forme papier, dans ce qui est considéré comme étant son chef d'œuvre à savoir “ Philosophie de l'argent”. En outre, ce troisième temps de réflexion sera davantage porté sur les réponses et les mécanismes de protection que peuvent mettre en place les Etats et les organisations internationales afin de réguler les monnaies virtuelles. Il conviendra également de s'interroger sur l'avenir des crypto-monnaies : deviendront-elles un moyen de paiement universel en lieu et place de la monnaie classique, mettant ainsi un terme aux écarts de valeurs entre les différentes devises ? Seront-elles un moyen de paiement à l'instar de la monnaie sous forme papier ou des cartes bancaires, dans l'éventualité où les sujets de droit international économique parviennent à les réglementer ? Seront-elles amenées à disparaître sur le long terme ? Je répondrai à ces questions, et à celles que les textes qui entreront en vigueur à l'avenir mettront en lumière.