Les territoires de la dissidence : La Réforme protestante dans le Dauphiné de Farel à Lesdiguières (vers 1532 vers 1601)
Auteur / Autrice : | Christophe Vyt |
Direction : | Stéphane Gal |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire |
Date : | Inscription en doctorat le 01/12/2022 |
Etablissement(s) : | Université Grenoble Alpes |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale sciences de l'homme, du politique et du territoire |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LARHRA - Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes |
Mots clés
Résumé
Le Dauphiné fournit un cadre d'étude pertinent pour comprendre comment une dissidence parvient à s'implanter et à se maintenir dans un espace qui lui est pourtant défavorable. Il est l'une des provinces françaises les plus touchées par la Réforme protestante au XVIème s. et les travaux du pasteur Arnaud publiés en 1875 demeurent la seule somme sur le sujet. L'approche territoriale permettra de la renouveler. L'implantation de la Réforme a eu deux aspects : d'une part, la constitution d'un réseau de communautés calvinistes dirigées par des pasteurs et des anciens et structurées en synodes et, d'autre part, la prise de contrôle des pouvoirs séculiers locaux (consulats, escartons, seigneuries rurales) par le parti réformé. L'exploitation des multiples études locales et des nombreuses sources publiées ont permis d'entreprendre une chronologie et une cartographie multiscalaires des dynamiques territoriales de la Réforme. Celle-ci se développe de manière précoce grâce à Guillaume Farel. En rupture avec les évangélistes et l'Eglise catholique, il a introduit les thèses luthériennes dans sa province natale dès 1522-23. Dix ans plus tard en 1532, il parvient à obtenir l'adhésion des barbes vaudois à la Réforme d'inspiration sacramentaire lors de la rencontre de Chanforan. Ce succès donne naissance aux premiers territoires protestants dans les hautes vallées alpines du Dauphiné : Freissinières et le Val Cluson (autour de Pragela). Les années 1532-1555 demeurent assez obscures : l'acculturation des Vaudois à la Réforme semble très lente ; ailleurs dans la province sa circulation est intense et permet les premières adhésions individuelles. Toutefois la répression oblige à la clandestinité. Les années 1555-62 sont un tournant. Une dynamique de succès semble inéluctable. Les conversions sont importantes parmi les nobles et les populations urbaines (notamment les femmes) et les communautés se structurent en un réseau d'églises calvinistes organisé par des pasteurs envoyés de Genève. La dissidence devient également politique après les guerres d'Italie, lorsque de nombreux nobles se mobilisent à l'échelle de la province et du royaume pour obtenir leur reconnaissance voire l'adoption de leur foi par le roi. Le parti prend les armes en 1560 sous la direction de Dupuy-Montbrun. La Réforme connaît alors un éphémère succès lors de la première guerre de Religion en 1562 : le parti dirigé par le baron des Adrets contrôle presque toute la province et y impose le calvinisme lors de la réunion des états provinciaux. Cependant, un net reflux débute dès 1563. La paix d'Amboise oblige à rendre les territoires dominés et instaure un régime de coexistence confessionnelle qui s'avère défavorable aux réformés. Les 2ème et 3ème guerres de Religion sont ensuite marquées par un net reflux territorial. En 1570 au retour de la campagne militaire dans l'Ouest du royaume, le parti a perdu quasiment tous ses territoires dans le Dauphiné. La Saint-Barthélemy, dont les massacres n'ont pourtant pas eu lieu dans la province, constitue une autre rupture nette. La dynamique de succès est définitivement brisée. Entre 1573 et 1580, Montbrun, puis Lesdiguières mènent une longue campagne militaire qui aboutit à la prise du contrôle du Sud et de la région alpine de la province. La guerre provoquée par la Ligue à partir de 1585 permet de consolider ces acquis territoriaux. Une nette frontière confessionnelle est née de ces guerres. Elle est fixée pour près d'un siècle par l'édit de Nantes. Lesdiguières, qui est devenu depuis 1589 le représentant local du nouveau roi Henri IV, est l'un des commissaires chargés de son application entre 1599 et 1601. Ces premiers éléments permettent de fonder notre étude sur deux constats. D'abord, la chronologie de l'implantation de la Réforme et des guerres de Religion est spécifique à chaque territoire. La vallée de Pragela est ainsi l'espace le plus précoce dans la territorialisation de la Réforme : dès 1555 des pasteurs encadrent des églises calvinistes. Les guerres de Religion suivent également des rythmes particuliers. A l'échelle de la province, les combats débutent dès 1560 et 4 cycles de guerres sont ensuite identifiables : 1562-63, 1567-70, 1573-80, 1585-90. La chronologie doit être affinée pour chaque lieu. Embrun demeure par exemple en dehors des combats jusqu'en 1585. Un second constat s'impose : la territorialisation de la Réforme connaît des disparités et une typologie des espaces peut être établie. Certains sont demeurés des bastions catholiques. Il s'agit de l'Embrunais, du Briançonnais et de la Haute vallée du Doire (autour d'Oulx). La Réforme ne s'y implante pas, probablement parce que l'Eglise catholique y est solide. Elle y a mené à la fin du Moyen Age un combat contre la dissidence vaudoise et ces vallées alpines sont un des foyers de naissance de la chasse aux sorcières. Les régions du Bas-Dauphiné (Vienne, Romans, Valence) et du Grésivaudan autour de Grenoble constituent les territoires perdus de la Réforme, après en avoir pourtant constitué les centres au début de la décennie 1560. Deux types de bastions réformés peuvent au contraire être identifiés. Les vallées vaudoises (principalement le val Cluson) forment des foyers anciens et permanents, mais davantage en relation avec les autres vallées vaudoises du Piémont qu'avec le reste du Dauphiné. Les petits bourgs et les espaces montagnards du Sud du Dauphiné (Valdaine, Diois, Baronnies, Tricastin) et du Haut-Dauphiné (Oisans, Trièves, Champsaur, Queyras) deviennent des bastions réformés, principalement au cours de la décennie 1570. Les villes de ces régions (Die, Gap, Montélimar, Embrun) ne sont contrôlées qu'après de longs affrontements. Cette typologie reste à être affinée à une échelle la plus grande possible : villes déjà bien connues, mais aussi petits bourgs, seigneuries rurales, vallées alpines. Il s'agit pour chaque espace d'établir dans un premier temps les périodes d'existence d'une église calviniste et de domination par les réformés, puis d'en identifier les acteurs et les sources disponibles. Il sera alors possible de s'interroger selon 3 axes de recherches : Le rôle du territoire du Dauphiné et de ses provinces limitrophes dans la circulation et l'implantation de la Réforme : dans quelles mesures les structures territoriales préexistantes ont-elles pu favoriser ou freiner la circulation et l'implantation de la dissidence ? Il faudra donc ici établir des liens entre l'implantation de la Réforme et le relief qui détermine par ailleurs les axes de circulation. L'attitude des représentants locaux des autorités civiles et séculières devra aussi être interrogée, tout comme le poids des structures politiques et sociales. La territorialisation de la Réforme dans le Dauphiné, c'est-à-dire l'appropriation des espaces par les réformés. Quels ont été leurs objectifs et de quelles manières s'en sont-ils emparés et les ont-ils gérés ? Cela conduit à étudier l'action et la composition des réseaux ecclésiastiques et politico-militaires, leurs relations avec les provinces voisines et avec les autorités de ces deux structures. L'étude de l'iconoclasme a déjà montré les impacts des dynamiques territoriales sur les modes d'appropriation de l'espace. Plus généralement un certain pragmatisme, signe de la désillusion des réformés après la Saint-Barthélemy, s'impose à partir de 1573. Les réformés ne semblent plus en mesure de rechercher une domination exclusive, mais l'obtention de garanties pour vivre en sécurité parmi les catholiques (grâce à des places de sûreté où se réfugier notamment). Leurs objectifs territoriaux sont plus limités et ils prennent en compte les caractères stratégiques et économiques des espaces. Lesdiguières incarne cette rupture au sein du parti réformé ; il est un guerrier plus politique que ses prédécesseurs (Des Adrets et surtout Montbrun) et cela lui permet de consolider l'emprise territoriale de la Réforme. La territorialité de la Réforme, c'est-à-dire les identités qui se développent dans les territoires réformés. Affirmer qu'un espace est sous le contrôle du parti réformé signifie-t-il pour autant que la population y est calviniste ? Ce dernier axe de recherche conduit à étudier l'acculturation au calvinisme dans les territoires de la Réforme et le rapport avec les catholiques qui y demeurent, puisqu'à l'exception des anciennes vallées vaudoises, aucun espace du Dauphiné n'est exclusivement habité de réformés. La question des équilibres confessionnels locaux est donc essentielle. Vivre en dissidence est d'autant plus difficile que la situation de minorité est forte. Le cadre du Dauphiné permettra ainsi également d'établir toute la variété des rapports interconfessionnels entre catholiques et protestants au temps de la Réforme et des guerres de Religion.