Thèse en cours

Gestion de l'anxiété en conduite automobile : situations critiques, expériences vécues et conception participative de systèmes d'aide

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Auteur / Autrice : Hugo Breard
Direction : Béatrice CahourJean-Marie Burkhardt
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Economie
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2022
Etablissement(s) : Institut polytechnique de Paris
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'Institut polytechnique de Paris
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut interdisciplinaire de l'innovation - Sciences Économiques et Sociales
Equipe de recherche : INTERACT

Mots clés

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Résumé

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Pour répondre aux besoins des personnes et améliorer leur confort et la sécurisation de leur conduite, le domaine automobile développe de plus en plus de systèmes d'aide à la conduite (monitoring du conducteur pour vérifier sa vigilance, contrôle latéral du centrage voie et contrôle longitudinal de la vitesse, …). Cette thèse s'inscrit dans l'optique de développer des aides pour les personnes ayant obtenu leur permis de conduire mais qui appréhendent de conduire dans certaines situations et qui se sentent fortement gênées, voire handicapées, par le sentiment de stress et le sentiment de risque qu'elles éprouvent et qui peuvent les amener à renoncer à la conduite. Cela peut être le cas de personnes de tous âges, jeunes ou âgées, et cela peut compromettre leur autonomie, tant dans leur vie quotidienne que dans leur activité professionnelle. De plus, quand elles conduisent leur stress peut générer des prises de risque (Matthews & Desmond, 1995). Il semble donc important de les amener à envisager les situations de conduite stressantes avec plus de sérénité et de leur permettre de mieux les gérer. Les enjeux sont donc à la fois des enjeux de confort du conducteur et des enjeux de limitation du risque d'accident. Or ce sujet n'a pas été très peu traité à notre connaissance, il est donc original et socialement important pour ces personnes qui se sentent empêchées, voire handicapées par leurs craintes. Certaines personnes, une fois le permis acquis, ne vont pas pour autant oser conduire, ou le faire avec beaucoup d'émotions négatives tels que du stress, de la peur ou de l'anxiété. Ce stress peut être présent chez les conducteurs inexpérimentés, advenir suite à des événements particuliers (e.g. accidents), ou encore croître avec le grand âge et la perte de certaines facultés attentionnelles ou motrices qui rendent la conduite plus périlleuse (Gabaude 2003). L'activité de conduite automobile peut en effet être à l'origine d'appréhension ou de stress pour certaines conductrices et conducteurs, de façon générale ou lorsqu'elle prend place dans certaines conditions (par exemple un environnement routier inconnu, une conduite nocturne, un trafic chargé en ville). Or ce type d'expérience d'inconfort psychologique lié à la conduite peut avoir un effet sur l'exercice de l'activité de conduite et augmenter les risques (Matthews & Desmond, 1995), ainsi que son maintien dans le temps, avec un enjeu en termes de sécurité et un enjeu en termes d'autonomie pour les conductrices et conducteurs les plus âgés mais aussi pour des plus jeunes qui se sentent empêchés, entravés, dans leur pouvoir d'agir (Rabardel & Pastré, 2005). Pour aller dans le sens du confort en conduite en toute sécurité et pour notamment faciliter le maintien de l'activité de conduite chez les seniors en ayant la capacité, une piste est de concevoir - selon une approche centrée humains et participative - des systèmes d'aide numériques (ou coach) s'adressant aux personnes ressentant de l'appréhension ou du stress avant et/ou au cours de l'activité de conduite. Le stress est une notion très utilisée mais définie selon différents cadres théoriques. Nous nous référerons au modèle transactionnel du stress de Lazarus & Folkman (1984) qui décrit les processus cognitivo-émotionnels qui sont constamment en œuvre dans la relation entre un individu et son environnement. Elle s'appuie sur deux concepts clés : celui d'évaluation (appraisal) et celui de stratégie d'adaptation/ajustement (coping). L'individu évalue la situation problématique dans laquelle il se trouve, en fonction de ses objectifs, enjeux, valeurs, expériences passées, etc ; il évalue si la situation représente pour lui un risque, une menace ou un défi. L'évaluation dépend également de la perception qu'il a du contrôle qu'il pense pouvoir exercer sur cette situation problématique, de sa capacité à la surmonter ou pas. A partie de là peuvent émerger divers états émotionnels, positifs ou négatifs, dont le stress, avec leurs composantes psychologiques, physiologiques et comportementales. Que se passe-t-il alors ? Le ‘coping' est défini par Lazarus comme l'ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire et tolérer les exigences internes et externes qui menacent ou dépassent les ressources d'un individu. Ces stratégies d'adaptation vont dépendre des ressources internes et externes qui sont accessibles à ce moment-là. On parlera ici d'un stress lié à la peur et à l'anxiété (e.g. je n'ai pas envie de conduire dans certaines conditions, voire je vais éviter de conduire) plutôt que lié à une colère, énervement ou impatience qui peut advenir également en conduite (e.g. je suis énervé ou en colère et vais conduire nerveusement) et a été davantage étudié (Albentosa, Stephens, & Sullman, 2018, Villieux & Delhomme, 2008). La peur de conduire a été décrite comme un phénomène très hétérogène, allant d'une légère inquiétude et inconfort occasionnel à des niveaux d'anxiété élevés ; elle peut varier en termes d'intensité de la peur, de situations craintes, de focus de la peur, et de degré d'évitement. (Fisher & al, 2021). Selon une étude de Taylor (2018) en Nouvelle Zélande, 31% des conducteurs se disent non-anxieux, 52% des conducteurs rapportent une anxiété légère et 16% une anxiété modérée à grave, avec un sentiment de sécurité plus faible, plus d'évitement de la conduite, des pensées négatives et de l'anxiété relative à l'agressivité au volant ; ce même auteur a analysé le parcours d'acquisition de ces peurs de conduire. Il sera intéressant de préciser les situations de conduite les plus inquiétantes pour les personnes qui se sentent « empêchées » dans leur pouvoir de conduire, et de travailler les aides possibles (liées au coping). Une étude financée par Renault a mis en évidence des sources d'inconfort psychologique (ou émotions négatives) en conduite pour des conducteurs tout-venant qui ont pu être regroupées en quatre méta-catégories (Cahour 2010): (1) l'interaction avec les autres usagers de la route (la plus évoquée), (2) l'environnement physique (e.g. météo), (3) la maîtrise du conducteur, (4) le véhicule et ses passagers. Différentes stratégies d'ajustement (ou coping) ont pu être identifiées : (a) un coping interne, centré-conducteur, où celui-ci cherche à s'adapter à la situation en modifiant son état interne ou par sa propre action stratégique ; (b) un coping externe, centré-environnement, où il cherche plutôt à adapter l'environnement à ses besoins, en cherchant de l'aide (humaine ou technologique) ou en espérant changer les règles et infrastructures ; (c) l'évitement, qui est un ajustement par la fuite de la situation. Les séniors sont régulièrement en difficulté pour conduire. En 2010, une étude qualitative (Cahour, Forzy, Martin, 2010) menée sur les séniors en situation de conduite urbaine, a montré la difficulté ressentie par certains séniors en intersections complexes. Ces conducteurs âgés ont davantage peur et sont moins agressifs que les conducteurs plus jeunes. Deux profils de conducteurs âgés en difficulté ont été distingués : un profil de conducteurs hyper vigilants et hésitants, près à arrêter de conduire tant leur anxiété est élevée ; et un autre qui, par une stratégie délibérée de délégation du contrôle et de l'attention aux autres usagers de la route, amènerait une conduite plus coulée, plus prévisible, associée à moins d'expressions verbales d'anxiété. Dans les deux cas une conduite assez lente leur permet de limiter les risques d'accident. D'autres auteurs (Zhao, Yamamoto & Kanamori, 2020) ont également étudié le stress des conducteurs âgés et montré par des indices physiologiques qu'ils tendent à sous-évaluer leur stress quand il est investigué par questionnaire. Selon Taylor & al (2022) 11% des conducteurs de plus de 65 ans rapportent une anxiété modérée à extrême, associée à une diminution de la conduit et une baisse de la qualité de vie, mais on souligne que le mode de questionnement adopté peut amenuiser la réalité vécue. Les conducteurs novices sont également une population intéressante à cibler. L'accidentologie des jeunes conducteurs est un problème de santé publique majeur (Higelé & Hernja 2008). Six mois après l'obtention du permis, 1/3 sont en grande difficulté lors de situations de conduite complexes et Higelé & Hernja plaident pour une amélioration de leur formation, au niveau notamment des opérations mentales à mettre en œuvre. Le travail de thèse va dans le sens d'aides numériques qui complètent la formation initiale pour ceux qui sont en difficulté (et qui en sont conscients parce qu'ils appréhendent certaines situations de conduite). Une enquête sur le « stress » (au sens large) au volant, menée en 2015 par l'Association de prévention routière/Tomtom/OpinionWay, indique que plus d'un Français sur quatre (27%) est « stressé » au volant et que le profil typique du conducteur stressé a moins de 35 ans (44%), est conducteur débutant ou moyen (40%), est parent (36%) et vit dans une grande agglomération (35%). Les principaux facteurs de stress sont la conduite dangereuse ou inadaptée des autres automobilistes (62%), les embouteillages (35%), la peur d'être en retard (33%), la météo (32%), les incivilités (31%), la recherche d'un stationnement, les deux roues, les radars, les piétons, la recherche d'une direction. Le stress se manifeste par la colère (34%), la fatigue (21%), la perte de concentration (20%), des comportements à risque poussant à commettre des infractions (18%). Pour réduire le stress, une solution pour une majorité de ces conducteurs (69%), est un navigateur GPS qui informe sur l'état du trafic en temps réel et propose des itinéraires alternatifs. Ensuite, 66% plaident pour l'assistance à la conduite (pour se garer ou conduire dans les bouchons) et 30% pour le covoiturage. Enfin, 44% des automobilistes se rendant au travail en voiture apprécieraient des horaires décalés. Le stress/peur est lié à un sentiment subjectif de risque et il est important de cerner si ce stress engendre du risque objectif en conduite et quels sont les compromis réalisés par les conducteurs (Kouabénan & al, 2007, Amalberti 2001). Selon Amalberti (2001), l'opérateur gère en permanence un compromis entre le risque interne qu'il accepte de prendre, le risque objectif lié au niveau de performance qu'il vise, et les conséquences de ces risques pour son intégrité physique et morale (fatigue, stress, épuisement) ; l'erreur ne peut et ne doit pas être totalement supprimée car elle fait partie des mécanismes de régulation de ce compromis et l'opérateur assume ce compromis en se protégeant, en détectant ses erreurs, en réduisant si nécessaire ses aspirations, on parle alors de ‘sécurité écologique'. Stanton & Salmon (2009) basent leur taxonomie des erreurs en conduite sur des phénomènes psychologiques comme la perception, l'attention, l'évaluation de la situation, la planification et l'intention, le rappel mnésique et l'exécution de l'action. Il sera intéressant d'étudier si certains de ces processus psychologiques sont mis à mal en situation de stress/peur, par exemple un stress qui restreint le champ attentionnel (Matthews & Desmond, 1995).