Science de gueule'', la table, le manger et le boire dans l'uvre rabelaisienne
Auteur / Autrice : | Loïc Bienassis |
Direction : | Stéphan Geonget |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Lettres Modernes |
Date : | Inscription en doctorat le 04/01/2022 |
Etablissement(s) : | Tours |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Humanités et Langues (Centre-Val de Loire ; 2018-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre d'études supérieures de la Renaissance (Tours ; 1956-....) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
En 1998, Barbara C. Bowen affirmait que « toute discussion portant sur la nourriture chez Rabelais se doit de reposer sur la connaissance de ce que l'époque mangeait effectivement, et dans quels termes il était habituel de parler de nourriture, de cuisine, d'alimentation et de régime alimentaire. » Près d'un quart dembsiècle plus tard, ce chantier n'a toujours pas été ouvert et cette thèse a pour ambition de combler cette lacune : réinscrire Rabelais dans la culture alimentaire et culinaire de son temps, une culture à appréhender dans sa matérialité produits, plats, objets, lieux , ses usages et ses rituels, ses discours et ses représentations. Les fonctions romanesques et symboliques de l'alimentation dans l'uvre de Rabelais ont donné lieu à nore de commentaires et d'analyses assimilation du thème alimentaire à l'activité littéraire elle-même, association du vin à ce même processus de création, nourriture vue comme le support d'une verve parodique et transgressive, le banquet comme célébration du corps grotesque et dispositif autorisant une libération de la parole, comme résurgence du symposium antique Quantité d'interprétations, non exclusives les unes des autres, ont été avancées pour tel ou tel épisode particulier, des clés de lecture hétéroclites proposées, religieuses ou politiques par exemple. Ces interprétations relèvent de notre champ d'investigation mais l'enjeu est ici de déterminer ce que peut leur apporter une mise en dialogue avec la réalité des pratiques alimentaires du premier XVIe siècle. Cette démarche, jusqu'à présent négligée, contribuera enrichir la réflexion autour des significations du corpus rabelaisien et des intentions de leur auteur. Cette recherche est donc un jeu de miroir. Saisir ce que Rabelais nous apprend sur la culture alimentaire de son époque et, en retour, déterminer en quoi cette dernière éclaire ses écrits. Cette compréhension est d'abord de premier degré : ce coscosson qui figure au menu du repas que Grandgousier fait préparer pour fêter le retour de Gargantua n'est sans doute pas le couscous que nous connaissons (Gargantua, XXXVII), les âmes qu'aime à déguster Lucifer (Quart livre, XLVI) sont bien plus probablement « saulpoudrées » de sucre que de sel et que savons-nous des multiples cépages cités tout au long des aventures de Gargantua et de Pantagruel ? Ce travail d'explicitation s'étendra de la production des nourritures le champ et la vigne à la digestion et au-delà , en passant par les métiers de bouche, si souvent mis en scène, ou les manières de table. En sens inverse, il faut s'emparer, avec toutes les précautions méthodologiques de rigueur, des indices que Rabelais met à notre disposition. Humaniste, moine, médecin, lettré, Français originaire du Chinonais, ayant étudié à Montpellier, vécu dans le Poitou, à Lyon et en Italie, ayant côtoyé les campagnes de Touraine et les palais de la Ville Éternelle, autant d'expériences qui, à des degrés divers, ont façonné son rapport au boire et au manger. Les représentations qui sont les siennes en ce domaine, lui ont fourni une matière à réinvestir dans ses uvres et déterminé les modalités de cette mise en récit. Les ouvrages de Rabelais font alors office de porte d'entrée sur les murs et les usages de table mal connus de la France de la Renaissance. Nous nous attacherons enfin à questionner les idées développées par Rabelais sur le bien manger. Discours médical et diététique, discours moral, discours scientifique celui d'un lecteur des grands traités de botanique ou d'agronomie de l'Antiquité , les considérations sur les aliments et sur l'alimentation abondent sous sa plume. Distinguer ainsi ces types de discours relève d'ailleurs davantage d'une commodité intellectuelle que de lignes de partage opératoires, tant ils s'interpénètrent, se superposent et se combinent. La question des catégories pertinentes pour penser le savoir manger et le savoir boire rabelaisien se pose. Est-il dès lors possible d'identifier un discours gastronomique qui a lui pour objet le bien manger « hédoniste » chez Rabelais ? Le terme « gastronomie » est certes un anachronisme mais il paraît raisonnable d'affirmer que la chose a précédé le mot, que des codifications du bon et la formulation de règles présidant aux plaisirs de la bonne chère existaient dès le Moyen Âge cette « science de gueule » que moque Montaigne (« De la vanité des paroles », Essais, I, 51). Peut-on repérer de telles prescriptions, ou leur écho, chez Rabelais et, si oui, s'agit-il d'une énonciation volontaire et structurée ou d'un ensemble de mentions disjointes, affleurement des conceptions du temps, expressions occasionnelles de ses goûts ? Serait-il en ce cas envisageable de reconstituer le réseau de ces mentions et d'en rechercher la cohérence ?