La technique contre le marché ? Les ingénieurs et la critique de l'économie de marché dans l'entre-deux-guerres aux États-Unis et en France
Auteur / Autrice : | Mandie Joulin |
Direction : | Antonio Casilli |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences sociales et Management |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2022 |
Etablissement(s) : | Institut polytechnique de Paris |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'Institut polytechnique de Paris |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Institut interdisciplinaire de l'innovation - Sciences Économiques et Sociales |
Equipe de recherche : NOS Numérique, Organisation et Société |
Mots clés
Résumé
Au cours de l'entre-deux-guerres, les États-Unis et la France voient émerger un certain nombre de réflexions politiques et économiques ayant pour particularité d'être produites par des ingénieurs revendiquant une critique de l'organisation marchande de l'économie au nom de normes techniques. Aux États-Unis, une telle approche se retrouve notamment dans les travaux de certains penseurs liés à l'école du management scientifique (tels que Henry Gantt ou Walter Polakov), ou encore dans les thèses du Mouvement Technocratique, principalement actif dans les années trente. En France, elle se manifeste au sein de différentes organisations «techniciennes» réfléchissant à l'amélioration de la situation économique et sociale du pays, notamment chez certains participants du groupe de réflexion polytechnicien X-Crise. Bien que les penseurs à l'origine d'une telle critique «technique» du marché se rattachent à différents bords du spectre politique ainsi qu'à différents courants de la pensée économique et développent des projets de société divers (allant de différents types d'économie mixte à une sortie du capitalisme voire de tout système monétaire), on retrouve néanmoins de nombreuses similitudes dans la manière dont les auteurs tirent parti de leur position d'ingénieur pour théoriser les problèmes sociaux ainsi que dans leur refus d'un rôle purement instrumental de leur profession (l'ingénieur devenant l'acteur désigné d'une transformation consciente de la société). Ce travail entend produire une étude systématique des productions théoriques de ces courants d'ingénieurs critiques du marché afin de mettre en évidence leur spécificité dans l'histoire de la pensée ainsi que d'établir une comparaison entre les cas américain et français. Pour cela, il s'agit de comprendre quel rôle occupe l'ingénierie dans les analyses économiques et les projets politiques développés par ces auteurs : comment articulent-ils leur expertise technique à leurs revendications politiques ? Qu'est-ce qui, dans les sciences de la nature et l'ingénierie, leur semble susceptible de résoudre des problèmes sociaux que les politiciens et la science économique auraient échoué à résoudre ? Autrement dit : comment des ingénieurs deviennent-ils des théoriciens des phénomènes économiques en s'appuyant sur des connaissances ne portant pas immédiatement sur ces phénomènes, connaissances qu'ils tirent de leur formation scientifique et technique ? Comment en viennent-ils, sur cette base, à revendiquer pour l'ingénieur une légitimité à définir ce que devrait être l'organisation de la société ? Au de-là des différences entre courants, peut-on parler d'une spécificité de l'approche de l'économie par l'ingénierie ? Par l'étude de ces discours qui prétendent faire valoir la pertinence d'un « point de vue d'ingénieur » dans des domaines qui touchent aussi bien aux enjeux sociaux qu'environnementaux de la critique du système économique, nous espérons pouvoir apporter un éclairage sur l'engagement politique des ingénieurs contemporains. En effet, les ingénieurs contemporains qui s'engagent en politique semblent souvent se retrouver confrontés à des questions qui préoccupaient déjà leurs homologues de l'entre-deux-guerres, en témoignent le regain d'intérêt pour l'idée de planification dans le débat public, les questionnements concernant la politique énergétique et la ré-industrialisation, ou encore des thématiques telles que la réduction du temps de travail et la possibilité d'une décorrélation entre emploi et revenu.