Thèse en cours

Les émissions de rock et de pop music à la télévision française (1967-1988)

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Auteur / Autrice : Maxime Guebey
Direction : Solveig SerreLuc Robene
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire
Date : Inscription en doctorat le 03/10/2022
Etablissement(s) : Tours
Ecole(s) doctorale(s) : Humanités et Langues - H&L
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance

Résumé

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Ce projet a pour objectif de comprendre le rôle qu'a joué la télévision dans la diffusion du rock en France et, partant, de saisir comment le média a contribué à façonner les goûts et les identités de la jeunesse, à la charnière des Trente Glorieuses et des années de crise, dans le basculement de la télévision d'état vers les privatisations de chaînes. Né aux États-Unis, le rock devient dans les années 1960 la musique des jeunes Occidentaux, sous l'impulsion des deux grandes formations britanniques que sont les Beatles et les Rolling Stones. En France, la « pop music » tarde à s'imposer : ce sont les yéyés – selon l'expression consacrée d'Edgar Morin – qui ont du succès auprès des jeunes. Durant la deuxième partie de la décennie, plusieurs intermédiaires de la musique anglo-américaine fleurissent pourtant dans les médias français : la création de la revue Rock & Folk en 1966 par l'équipe de Jazz Hot inaugure un mouvement de légitimation du rock, par l'entremise de la critique musicale. C'est dans cette lignée que la télévision imagine en 1967 sa toute première émission spécialisée, Bouton rouge. La télévision est alors un monopole d'État – qui ne prend fin qu'en 1982 – incarné jusqu'en 1974 par l'ORTF. Cette institution gaullienne a une réputation conservatrice qui semble être en totale contradiction avec le rock et ses idéaux et pose la question de l'incompatibilité fondamentale entre le rock et le média télévisuel. Les différents programmes dédiés à cette musique accompagnent l'évolution de la télévision française ; peut-être même en sont-ils parfois le moteur. En effet, le rock est présent sans discontinuer à la télévision à partir de 1967 ; il en ressort un corpus dense d'émissions spécialisées représentant plus d'un millier de numéros que le doctorant devra identifier, recenser, analyser. Cette matière première devra être complétée par toute la documentation écrite qui entoure les programmes. Car ces derniers ont également fait couler beaucoup d'encre dans la presse, aussi bien dans les magazines dédiés au rock que dans ceux consacrés à la télévision. Enfin, un certain nombre d'acteurs sont encore vivants pour évoquer cette histoire : la collecte de leur témoignage permettra de compléter ce corpus, d'opérer des analyses croisées, et de conserver la mémoire vulnérable des acteurs du rock télévisé français. Un travail complémentaire pourra être produit autour des groupes et musiciens qui ont été amenés à être filmés (projet télévisuel, conditions des tournages, scénographie, engagement et contrats, etc.) Les enjeux de ce projet vont bien au-delà de la musique. Car dès la fin des années 1960 le rock entre en résonance, en France, avec les événements de Mai 68, moment où la télévision connaît une grève sans précédent. Le rock télévisé est donc immédiatement empreint de cette image contestataire qui scandalise une large part des téléspectateurs les moins jeunes. Pourtant, le « rock à la télé » devient progressivement un sujet « sérieux », un objet artistique et culturel dont on discute entre experts : cette intellectualisation n'est pas sans conséquence sur les émissions de rock, faisant peu à peu de la télévision un nouvel « intermédiaire » (Olivier Roueff) de cette musique. L'art de filmer les concerts semble également se codifier à la même période, lorsque le rock commence à s'approprier l'outil télévisuel. Par ailleurs, après le festival de Woodstock en 1969, le rock devient le maillon d'une contre-culture qui englobe tout un ensemble de pratiques artistiques allant de la bande dessinée au cinéma, en passant par les arts plastiques. Le mouvement hippie incarne alors ces mutations et questionne la société de consommation, tandis que les Trente Glorieuses connaissent leurs derniers feux en France et que la guerre fait rage au Vietnam. Les programmes spécialisés ont inévitablement été confrontés à ces changements. Mais il reste à déterminer si une véritable télévision des marges a existé ou si l'institution télévisuelle n'était pas encore prête à relayer de tels faits sociaux. En 1974, l'ORTF est démantelée par le nouveau pouvoir en place ; la disparition de ce carcan coïncide à quelques années près avec le déferlement du punk. Cette nouvelle radicalité musicale vient alors mettre au défi une télévision qui entame une lente marche vers la libéralisation. À l'aube des années 1980, le rock prépare donc le terrain à l'avènement d'une nouvelle télévision, celle qui s'épanouit après la fin du monopole d'État, effective en 1982. À cette date, la création des Enfants du rock représente l'apogée de la mise en télévision du rock, et surtout l'aboutissement de quinze années d'acclimatation et d'acculturation de ces sonorités anglo-américaines à ce média et aux oreilles des téléspectateurs. Lorsque l'émission s'arrête, en 1988, la télévision française tourne une page en matière de diffusion des musiques populaires. Cette même année, MTV devient disponible sur le câble ; alors que le nombre de chaînes se multiplie, c'est donc la retransmission de vidéoclips qui tient désormais le haut du pavé sur les écrans, témoignant d'un bouleversement du rôle joué par la télévision en tant que medium musical ; l'arrivée d'Internet quelques années plus tard parachève cette mutation majeure. Ce projet, qui se situe à l'articulation de l'histoire du rock, de la télévision, de la jeunesse et de la contre-culture, s'attachera donc à analyser la diffusion d'une musique frondeuse tant dans ses versions anglo-américaines que de fabrication française. Elle questionnera les processus de médiation télévisuels qui participent à l'acculturation et à la construction des goûts et des identités de la jeunesse française. Elle éclairera au prisme de ces analyses la mutation d'un écosystème médiatique français qui est a priori inadapté aux éclats bruyants rock, et, ce faisant, questionnera l'histoire du déplacement des seuils de tolérance à la télévision française.