L'évolution de la coopération en matière de défense en Europe. Recherche sur une méthode révélatrice de la spécificité de l'Union Européenne.
Auteur / Autrice : | Anne-Hélène Bertana |
Direction : | Anne-Marie Tournepiche |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit public |
Date : | Inscription en doctorat le 03/10/2019 |
Etablissement(s) : | Bordeaux |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de droit |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CENTRE DE RECHERCHES ET DE DOCUMENTATION EUROPÉENNES ET INTERNATIONALES |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
La coopération entre Etats dans le domaine de la défense est récente, une telle idée ne pouvant se développer qu'avec la pacification de certaines relations étatiques, notamment entre États européens et occidentaux. Si les traités d'alliance militaire existent depuis plusieurs siècles, il était impensable de prévoir entre plusieurs Etats l'interopérabilité des forces armées ou la fusion des industries de l'armement, entre autres exemples, alors que les guerre interétatiques étaient fréquentes et les alliances versatiles. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les Etats européens ont développé une forte coopération afin de pacifier leurs relations, au sein de ce qui est aujourd'hui devenue l'Union européenne. Cependant la coopération dans le domaine de la défense est longtemps restée pomme de discorde entre eux, plusieurs tentatives ayant échoué à la mettre en place. Parallèlement, la défense de l'Europe a été confiée à l'OTAN, organisation internationale créée sur le fondement du Traité de l'Atlantique Nord signé le 4 avril 1949, porteur d'une clause de défense collective en son article 5. Tout d'abord construite comme une alliance face au bloc communiste, elle a su s'imposer dans la gestion des crises internationales concernant ses Etats membres. Elle s'est développée en tant que cadre de coopération, notamment dans la recherche contre les nouvelle menaces que sont le terrorisme ou la cyberdéfense ; pour rapprocher les cultures stratégiques de ses membres ; ou encore lors de missions en regroupant les forces militaires mises à disposition par les Etats sous un commandement unifié. Les échecs passés et l'existence d'un cadre de coopération transatlantique n'ont cependant pas éradiqué toute volonté de développer une défense au sein de la construction européenne. Avec la signature du traité de Maastricht le 7 février 1992, un premier pas vers la coopération en matière de sécurité et de défense est accompli, en évoquant pour la première fois dans les traités « la définition à terme d'une politique de défense qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». La politique étrangère et de sécurité commune (PESC) alors créée connaît tout d'abord une première décennie de succès rapide, mais s'avère rapidement décevante car elle demeure modeste et s'enlise. Le Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007, avait prévu une relance de la coopération, qui ne sera pourtant mis en uvre qu'à partir de 2016 avec la publication de la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union Européenne. La coopération européenne en matière de défense se développe désormais autour de plusieurs instruments, les plus notables étant la coopération structurée permanente (CSP) au sein de laquelle sont entrepris plusieurs projets de coopération, le fonds européen de défense (FED) dévoué aux coopérations intra-européennes, ou encore l'agence européenne de défense (AED) dont le rôle a été renforcé. L'Europe se retrouve dans une situation inédite : deux organisations internationales développent une vocation similaire à assurer sa défense et à organiser la coopération des Etats dans ce domaine. En effet, vingt-deux des Etats membres de l'UE sont également partis au traité de l'Atlantique Nord, et cinq autres coopèrent avec l'OTAN dans le cadre du Partenariat pour la paix. Dès le développement de la PESC, plusieurs acteurs ont fait part de leurs inquiétudes quant à la concurrence et aux doublons qui pourraient en résulter, notamment concernant l'industrie de la défense ou les structures de commandement. L'UE et l'OTAN ont donc signé des accords, dits « Berlin plus », mis en place au début des années 2000 et s'en est suivie une coopération entre les deux organisations, lors d'opérations et dans de nombreux domaines. Le renouveau de la coopération européenne en matière de défense vient cependant bousculer cette cohabitation, de par ses spécificités et ses prévisions d'évolution. En effet, la CSP est porteuse d'engagements juridiques contraignants acceptés par vingt-cinq des Etats membres de l'Union et renforcés par des sanctions, alors que les engagements de coopération pris au sein de l'OTAN qui sont d'ordre politique. De plus, les textes européens évoquant les questions de défense sont porteurs d'ambition, puisque l'article 42 du Traité sur l'Union européenne précise que la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) « inclut la définition progressive d'une politique de défense commun » qui deviendra une « défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi ». L'UE aurait donc vocation à développer une coopération plus poussée que celle organisée au sein de l'OTAN, jusqu'à atteindre un niveau d'intégration avancé entre ses Etats membres. Tel que j'ai pu l'étudier lors de la rédaction de mon mémoire de fin d'études, il n'existe aucune contradiction juridique ostensible entre les coopérations aujourd'hui développées au sein des deux organisations. A l'inverse, les traités de l'UE professent de multiple fois leur respect de la défense collective construite au sein de l'OTAN. Les blocages sont alors d'ordre politique, car la coopération européenne pourrait remettre en cause l'hégémonie de l'OTAN en matière de défense, provoquant la réticence des Etats parties au traité de l'Atlantique Nord mais non membre de l'UE et des Etats européens souhaitant préserver le soutien des Etats-Unis. Le contexte géopolitique, à savoir l'apparition de nouvelles menaces à la paix internationale et le désengagement des Etats-Unis de la défense européenne, ainsi que celui économique, qui ne permet plus aux Etats européens d'assumer seuls les dépenses nécessaires à leur défense, poussent cependant les Etats membres de l'Union à s'investir dans leur coopération en matière de défense, et rendent opportune la constitution d'une défense commune autonome. La situation intéresse dès lors grandement le droit international public. Tout d'abord car elle concerne les relations entre deux de ses acteurs et que des questions d'interprétation des traités se posent, afin de déterminer jusqu'où peut se développer la compétence de l'UE en matière de défense sans qu'elle n'empiète sur l'OTAN. De plus, l'UE est une organisation internationale sui generis à l'intégration inégalée, bâtie sur un ordre juridique innovant, dont la spécificité est renforcée par l'établissement d'une coopération poussée dans le domaine régalien qu'est la Défense. Cette coopération reste principalement intergouvernementale, mais il est notable que les Etats se sont engagés juridiquement sous l'égide de l'Union dans un domaine sensible car étroitement lié à leur souveraineté. L'UE développe donc une vocation similaire à l'OTAN, mais leurs deux ordres juridiques sont différents et n'aboutiront pas systématiquement aux mêmes résultats. Enfin, le droit international public peut survenir en tant que solution. En étudiant le passé de la coopération entre l'UE et l'OTAN, en prospectant par analogie, il appartient aux juristes de se prononcer sur les possibilités de coordination entre ces deux organisations internationales et de bâtir des structures pérennes, afin d'organiser la cohabitation et la coopération de ces deux organisations internationales. Les relations entre l'UE et l'OTAN sont complexes, ambiguës et soumises à une évolution inéluctable. Elles sont étroitement liées aux variations du droit international public lui-même, que ce soit par l'apparition de coopérations de plus en plus poussées entre Etats dans des domaines définissant originellement le concept d'Etat-nation, ou par la mutation des acteurs que sont les organisations internationales et des rapports qu'elles entretiennent entre elles.