Cartographie de l'intime et démythifications californiennes dans les récits de Joan Didion
Auteur / Autrice : | Adélaïde Malval |
Direction : | Anne Ullmo |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Langues et littératures étrangères |
Date : | Inscription en doctorat le 20/07/2022 |
Etablissement(s) : | Tours |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Humanités et Langues (Centre-Val de Loire ; 2018-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Interactions culturelles et discursives (Tours) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
L'essayiste, journaliste, romancière et scénariste américaine Joan Didion (1934-2021) n'a jamais fait l'objet d'études universitaires en France. Cependant, sa contribution à la littérature américaine est majeure et des écrivains contemporains tels que Bret Easton Ellis ou Rachel Kushner mentionnent régulièrement son influence sur leur propre travail. Native de Sacramento, Didion fait de la Californie un terrain de « je » lui permettant d'esquisser le microcosme d'une Amérique schizophrène en proie aux démons de son histoire et avide de renaissance. Cette posture discordante incarnée dans son écriture soustractive et suturale, renvoie à la description que fait Jean Baudrillard de cet ouest étasunien « lieu de la non-histoire, du non-évènement, mais en même temps du grouillement ». À travers ses écrits, Didion prend le contre-pied de la vision solaire de sa Californie natale (vision pourtant défendue par son alter-ego Eve Babitz, 1943-2021) en imprégnant son écriture d'une mélancolie générée par l'impossibilité d'identifier la source du sentiment de perte qui constitue à ses yeux l'identité californienne. Ainsi, Didion entreprend une démythification topographique par le biais d'une quête généalogique engagée avec l'Expédition Donner, point de rupture historique qui hante son histoire familiale et ses récits. Raconter la perte donne la possibilité de se réapproprier l'espace pour mieux cartographier l'intime, d'habiter un présent à jamais fantomatique comme l'évoquent respectivement Walter Benjamin et Judith Butler dans leurs travaux sur la mélancolie et le deuil. Ce projet de recherche se concentre sur une sélection de textes rédigés par Joan Didion entre 1963, date de son premier roman autobiographique Run River et 2003, date de son mémoire Where I Was From qui explore le deuil du sol par celui du sang. Il s'agira, pour reprendre l'idée de Gaston Bachelard dans La Poétique de l'espace, d'une topo-analyse thématique permettant tout d'abord de réfléchir à la manière dont l'espace californien influence l'écriture de l'intime chez Didion qui, par le biais du motif mythique de la traversée vers l'Ouest (la crossing story'), de l'errance et de la fuite, trace les contours d'une littérature régionale et d'un gothique californien. À travers l'évocation de territoires fantomatiques et désenchantés qui donnent lieu à des narrations fragmentées et irréconciliables, Didion développe une poétique eschatologique où se lit l'impossibilité d'une écriture fictionnelle autre qu'atomisée. On s'interrogera précisément sur la difficulté d'une écriture mémorielle, en charge de transmettre des valeurs perçues comme illusoires : qu'en est-il des mythes de la terre promise et du paradis perdu ? En filigrane dans les uvres de Joan Didion, ces interrogations propres à une génération qualifiée de « silencieuse » nécessitent la création d'une syntaxe idiosyncrasique ciselée et implicitement critique qui témoigne d'une méfiance à l'égard des tonalités exclusivement confessionnelles : comme le souligne Deborah Nelson dans Tough Enough, il s'agit alors pour Joan Didion de créer des récits dépourvus d'affect, tout en conférant à son écriture une dimension à la fois mnémonique et originelle. Entre introspection et rétrospection, Didion s'interroge en effet à la fois sur l'héritage laissé par les femmes de sa famille et sur celui qu'elle est en mesure de transmettre à sa fille adoptive. Qualifiée (par elle-même) de moral hardness', sa posture littéraire en apparence stoïque lui est indispensable si elle veut s'approcher au plus près de la vérité. En conjuguant l'écriture impersonnelle et confessionnelle, Didion cultive une instance narrative à la première personne dont la fiabilité élusive met au jour le genre du « romoire » et de l'autofiction.