Thèse en cours

Les (nouveaux) contours de la volonté individuelle en matière de filiation

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Auteur / Autrice : Joffrey Gilloteau
Direction : Élise Ralser
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit privé et sciences criminelles
Date : Inscription en doctorat le 01/10/2021
Etablissement(s) : La Réunion
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences humaines et sociales (Saint-Denis, La Réunion ; 2010-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Centre de Recherche Juridique

Résumé

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Essentiel à l'établissement des liens de parenté, à l'identification de ses origines et à la construction de l'identité de chaque individu, le lien juridique que la filiation crée ne devrait en principe résulter que d'un fait juridique ou d'un ensemble de faits juridiques : celui de la procréation, de la gestation, puis de la naissance. Présidant à l'apparition d'une nouvelle personne juridique, sujet de droit, ce lien de filiation est en principe indisponible. En cela, de sa création jusqu'aux effets qu'il produit, ses différents éléments constitutifs et son régime ne sauraient dépendre de la seule volonté des individus. La filiation ne devrait pas entrer dans le champ de l'autonomie de la volonté limitée, sous réserve du respect de l'ordre public et des bonnes mœurs (article 6 du code civil), aux conventions légalement formées. La filiation ne devrait pas découler d'un acte juridique, même si son établissement nécessite parfois un tel acte juridique (comme une reconnaissance) : le lien juridique créé est en effet supposé correspondre à un lien de sang, tant et si bien que ce lien peut être remis en cause s'il ne correspond pas à la réalité biologique. Ce sont ici les principes de l'autonomie de la volonté et celui d'indisponibilité de l'état des personnes qui semblent être battus en brèche. Le déplacement des frontières, amorcé depuis les premières lois bioéthiques de 1994, ne va-t-il pas étendre encore le domaine du premier principe, au point d'en dessiner des contours tout à fait nouveaux en matière de filiation ? L'idée est simple : un nouveau-né est nécessairement le fruit de la rencontre entre les gamètes d'un homme et d'une femme, et ces derniers ont seuls vocation à être reconnus par la société comme les parents de cet enfant. Mais la conception d'un enfant se faisant dans l'intimité des ménages, il est matériellement impossible d'avoir la certitude de l'identité de ses parents à sa naissance. Le législateur en a pris acte et a opté pour un régime semi- volontariste fondé sur la reconnaissance volontaire avec une possibilité de remise en cause le lien de filiation pour le cas où le caractère mensonger serait prouvé. Autrement dit, impossible en principe d'établir une filiation portant en elle-même un caractère mensonger comme une double filiation maternelle ou paternelle. Cependant il est des cas où le législateur permet d'entériner des filiations biologiquement mensongères comme pour l'adoption. Plus récemment, deux exceptions nouvelles ont constitué des tournants majeurs dans la conception traditionnelle de la filiation. La première a autorisé des couples infertiles à recourir à une AMP avec tiers donneur (exception au principe de primauté de la vérité biologique car impliquant nécessairement une filiation mensongère) mais pour la première fois elle n'était pas justifiée par l'intérêt supérieur de l'enfant, mais par la volonté du législateur de “répondre à la demande parentale d'un couple”. La seconde a été l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe par la loi du 17 mai 2013. C'est cette fois le critère de vraisemblance qui a été abandonné. Ces réformes ont l'une et l'autre planté une graine ayant fait germer ce mardi 22 juin 2021 un paradigme nouveau : Le “projet parental”. Ce nouveau mode d'établissement de la filiation cumule les deux nouveautés des réformes précédentes. Il implique de renoncer à la vérité biologique et même à la vraisemblance, sans que cette nouvelle exception ne soit justifiée par l'intérêt supérieur de l'enfant, le législateur assumant que ce procédé soit “destiné à répondre à un projet parental”. Ceci constaté, en quoi cette réforme constituerait-elle les prémisses d'une révolution silencieuse de notre droit de la filiation ? La question est légitime puisque in fine peu d'articles sont consacrés à l'ouverture de l'AMP et le législateur a prévu un régime de filiation dérogatoire qui lui est propre. S'il avait entendu réformer en profondeur le droit de la filiation, le projet aurait été sans doute plus complet. Il existe pourtant deux bonnes raisons de le penser, sur la forme comme sur le fond. Sur la forme, l'ouverture de l'AMP a été votée dans le cadre d'une révision de la loi de bioéthique. Relève d'une telle loi de la réglementation de tout procédé faisant appel à la science. Il est donc logique que le principe d'une telle ouverture soit accepté par le biais d'une loi de bioéthique. En revanche, par son objet et par la diversité des sujets qu'elle traite, une loi de bioéthique n'est pas taillée pour recevoir une réforme d'une telle ampleur. Si par son biais, le principe d'une “AMP pour toutes” est acquis, nombre d'auteurs appellent de leurs vœux une véritable réforme de la filiation qui ne pourra passer que par une loi dédiée. Quant au fond, la réforme de 2021 diffère des autres lois de par l'ampleur des personnes qu'elle touche. L'ouverture de l'AMP à toutes les femmes concerne potentiellement… toutes les femmes, soit plus d'un tiers de la population (femmes majeures) puisque le texte s'adresse aussi aux femmes seules. Ces considérations prises, la problématique des années à venir en matière de filiation s'appréhende plus nettement autour de la portée que doit accorder le droit français à la volonté individuelle. Traditionnellement, c'est la parenté biologique qui fonde la filiation d'un enfant à l'égard de ses parents. La manifestation de volonté n'est envisagée que comme un outil permettant de présumer la réalité du lien de filiation auquel il est toujours possible d'opposer la vérité biologique, condamnant ainsi la filiation mensongère à la précarité. En parallèle, s'est incontestablement développée une conception nouvelle qui tend à faire de la volonté individuelle le fondement même du lien de filiation. Ainsi une filiation mensongère biologiquement ne pourra pas se voir opposer la vérité biologique pour être remise en cause. Dès lors, cette conception “sociale” de la filiation n'a-t-elle vocation qu'à demeurer l'exception ? Ou bien a-t-elle vocation au contraire à concurrencer le modèle traditionnel voire à le remplacer dorénavant ? L'objet de cette étude sera donc de mettre en perspective les différentes hypothèses d'évolution de notre droit de la filiation au regard de son établissement, de sa remise en cause, ou encore de ses effets, mais également de proposer des solutions cohérentes dans la perspective d'une réforme imminente de la matière.