Le discours de légitimation du recours à la force contre le terrorisme en territoire étranger opportunément saisi par le droit. Pour une approche critique du renouveau de la tension en légalité et légitimité
Auteur / Autrice : | Siprien Sangaré |
Direction : | Vincent Cattoir-jonville |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit public |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2017 |
Etablissement(s) : | Université de Lille (2022-....) |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale des Sciences Juridiques, Politiques et de Gestion |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de Recherche Droits et Perspectives du Droit |
Equipe de recherche : LERDP - L'Equipe de recherches en droit public |
Résumé
La thèse présentée vise à montrer les contradictions et les limites de la persistance du discours de légitimation du recours à la force contre le terrorisme en territoire étranger. À l'analyse, les évolutions récentes de la société internationale ont, particulièrement depuis le 11 septembre 2001, généré une tension entre légalité et légitimité ainsi qu'un réaménagement des relations entre droit, politique et morale. Ces relations se sont traduites par des expressions comme « guerre globale contre le terrorisme ». De manière générale, les États qui ont expérimenté cette guerre veulent la présenter comme universellement déjà acceptée, alors que ce n'est pas nécessairement le cas. Dans ce registre, le droit international est donc amené à s'adapter à la pratique de la « guerre contre le terrorisme ». Reste qu'une recherche juridique plus sereine peut manifestement contribuer à rejeter fortement cette pratique. C'est donc avant tout l'identification d'une coutume internationale naissante de « guerre contre le terrorisme » qui est visée ici. On peut d'ores et déjà dire qu'à l'examen, il n'existe aucun précédent qui attesterait d'une opinio ou d'opiniones juris communis clairement établies pour identifier l'existence d'une telle règle coutumière en gestation, que l'on se réfère au registre légal, politique ou moral. Au surplus, un constat de la même veine est sans aménité : malgré la persistance d'un discours légaliste, les récentes interventions militaires contre le terrorisme en territoire étranger ne se réaliseraient pas conformément au droit existant. De ce point de vue, on ne saurait omettre de rappeler que les puissances intervenantes ne se réfèrent pas encore à un véritable nouveau droit, fût-il émergent, mais déjà au droit existant interprété extensivement au gré des contorsions juridiques, des opportunités politiques et morales. En conséquence, les promoteurs de la « guerre contre le terrorisme » ont une volonté ferme de confondre droit, politique et morale ; un conflit normatif ? On s'abstiendra de répondre à cette question à ce stade. Au-delà de la critique qui, en tant que telle, ne remet pas en cause la volonté politique de combattre le terrorisme, on s'en tiendra à la méthode suivie par la Cour internationale de Justice en matière de recours à la force et d'identification de la coutume internationale pour dénier toute porté juridique à la pratique récente de la « guerre contre le terrorisme » et conclure à l'absence d'une opinio juris naissante en la matière. C'est seulement si l'on suit cette méthode que l'on peut aisément observer que les récentes « guerres antiterroristes » passent pour une violation du droit (international) positif. C'est qu'en l'absence d'une conviction juridique et d'une adhésion forte d'un nombre conséquent d'États, elles ne constituent pas des précédents révélateurs d'une nouvelle conviction juridique. Il est difficile de faire la démonstration du contraire. Ensuite, la confusion entre légalité et légitimité qui les caractérise marque assez bien le manque de droit. Raison pour laquelle, les États particulièrement intéressés à la « guerre contre le terrorisme » ont remis en cause l'existence du droit international en faisant voir une fois de plus leur scepticisme à l'égard du formalisme et du positivisme. Certains États ont ainsi allégué du caractère trop formel, ambivalent et schizophrène du droit international. Pour autant, ils n'ont cessé de faire référence au droit international comme argument justificatif des récentes « guerres antiterroristes ». Ce faisant, ils en reviennent donc à légitimer indirectement ce qu'ils veulent pourtant contester voire rejeter. À ce propos, il est possible de se demander s'ils ont véritablement pris leurs distances avec le modèle positiviste de légitimation. La remarque déjà ancienne du professeur Olivier Corten s'inscrivait dans ce constat. À notre sens, il n'est pas loin de la vérité. On peut d'ailleurs observer avec lui que « Le droit [international] fournit un corps technique de règles dont la rationalisation donne une impression de neutralité axiologique qui vise à occulter les rapports entretenus avec les intérêts en présence » (O. Corten, Le discours du droit international. Pour un positivisme critique, Paris, Pedone, 2009, pp. 96-97). On peut résumer brièvement la présente thèse pour le lecteur moins familier de ces questions. C'est que Le discours de légitimation du recours à la force contre le terrorisme en territoire étranger a entraîné une mise en cause du droit international comme ordre normatif de référence et une émergence consécutive d'ordres normatifs alternatifs. On sait que ces ordres se sont élevés en opposition au droit international positif. Cette recherche se conclut sur le constat selon lequel les récentes interventions militaires contre le terrorisme en territoire étranger, aussi exceptionnelles soient-elles, n'ont pas remis radicalement en cause le droit (international) en vigueur. Quoi qu'il en soit, notre conviction profonde consiste à dire qu'elles n'endigueront pas le principe de droit international coutumier relatif à l'interdiction du recours à la force en dehors des hypothèses classiques du droit à la légitime défense ou d'une autorisation claire du Conseil de sécurité. Dans un registre similaire, la Charte de l'ONU ne craint donc aucune retombée révisionniste. Au contraire, l'on peut même soutenir la thèse selon laquelle elle en sort juridiquement renforcée. Reste que cette conclusion ne saurait être généralisée. Il faut dès lors admettre qu'elle dépend du cadre de référence à partir duquel chaque chercheur se prononce. Autant dire qu'elle ne préjuge en rien des futures évolutions et transformations que le droit international pourrait subir au regard de l'évolution de la conflictualité et des aléas de la vie internationale. Entendons-nous bien, la démarche n'a pas été de se prononcer directement sur la légalité des différentes interventions militaires contre le terrorisme en territoire étranger, mais sur l'argumentation juridique qui a été mobilisée par les puissances intervenantes pour les justifier. Au total, on ne peut que constater qu'au-delà d'une question de légalité, la question est donc aussi celle de légitimité : qui est légitime à intervenir militairement et unilatéralement contre les groupes terroristes en territoire étranger ? À quelles conditions ? Dans quel but ? Autant de questions qui, si on espère qu'elles ne restent pas sans réponse au vu des pages qui suivent, en ouvrent aussi d'autres auxquelles aucune étude de droit (international) ne peut sans doute échapper ni trancher définitivement. Loin de le faire, la présente étude invite à les approfondir.