Comment la dérégulation de la chromatine contribue-t-elle à l'activation aberrante d'enhancers et à la pertubation de l'expression génétique dans les cancers ?
Auteur / Autrice : | Clément Sombrun |
Direction : | Simona Saccani, Dominic Van Essen |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Interactions Moléculaires et Cellulaires |
Date : | Inscription en doctorat le 16/11/2020 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur |
Ecole(s) doctorale(s) : | Sciences de la vie et de la santé |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Nice) |
Equipe de recherche : Transcription specificity |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Les cancers ont parmi leurs principales caractéristiques des patterns anormaux de l'expression des gènes [1, 2]. La dérégulation de l'expression des proto-oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeurs est souvent déclenchée par des mutations qui peuvent être considérées comme ''drivers'' dans le développement des cancers [3, 4]. En revanche, bien que les variations de l'expression des gènes puissent avoir une forte influence sur le phénotype d'une tumeur, sa progression et ses potentielles résistances aux traitements [5, 6], les causes épigénétiques de l'expression anormale des gènes dans le cancer ne sont pas mécaniquement bien comprises [7]. Par conséquent, le fait d'élucider l'ampleur des altérations des profils d'expression des gènes du cancer a des implications à la fois pour la biologie du cancer et pour les interventions thérapeutiques ou préventives. Si l'idée que l'expression des gènes est largement altérée dans le cancer est acceptée depuis longtemps, ce n'est que récemment que l'on a pris conscience de la contribution d'une mauvaise régulation des enhancers. Les études actuelles suggèrent qu'il s'agit peut-être d'un phénomène commun [8, 9] ; cependant, on ne sait toujours pas s'il s'agit d'événements séquentiels au cours du développement des cancers ou bien (comme nous le supposons) s'il serait plutôt question d'un effet direct d'une dérégulation globale de la chromatine [10, 11]. Les régulateurs des modifications de la chromatine sont souvent sur ou sous exprimés dans les cancers. À l'échelle du génome, il n'existe pas de modèle général expliquant les effets de la dérégulation des enzymes modifiant la chromatine. Un premier scénario pourrait être que des voies particulières puissent agir sur un ensemble limité de loci et ainsi perturber l'expression de gènes spécifiques jouant un rôle direct dans le développement tumoral. Alternativement des dérégulations de l'expression d'enzymes modifiant la chromatine pourraient engendrer une modification globale de la régulation d'un grand nombre de loci. Ainsi le résultat phénotypique pourrait donc dépendre de l'accumulation de modifications de l'expression de nombreux gènes et ces changements reflèteraient probablement des profils de modifications de la chromatine différents selon le type cellulaire observé. On peut donc se demander comment la perturbation des modifications de la chromatine peut contribuer mécaniquement à la dérégulation de l'expression des gènes dans le cancer. Notre équipe a montré que la modification des histones H3K9me3 est capable de contrôler l'activité des enhancers et peut leur conférer une spécificité de type cellulaire normale [12]. De plus, la perturbation de H3K9me3 dans les cellules normales peut entraîner l'activation aberrante de nombreux enhancers spécifiques à différents types de cellules. Ensemble, ces résultats suggèrent l'hypothèse selon laquelle la dérégulation de la chromatine dans les cellules cancéreuses pourrait déclencher une activation aberrante de nombreux enhancers et implique que ce processus pourrait contribuer à des changements globaux dans l'expression des gènes impliqués dans le développement de cancers. Notamment, les enzymes de l'histone déméthylase H3K9 appartenant à la famille JmjD2 sont surexprimées de façon importante dans plusieurs types de tumeurs [13, 14, 15]. Ainsi, les enzymes JmjD2 peuvent représenter des exemples de régulateurs de la chromatine aux profils d'expression aberrants qui pourraient avoir un impact sur les activités des enhancers. Dans ce projet de thèse, nous testerons les principales propositions découlant de ces hypothèses, à savoir : I. Nous proposons que l'expression aberrante des régulateurs de la chromatine et/ou la perturbation des modifications de la chromatine pourrait conduire à une activation généralisée des enhancers et à une dérégulation de l'expression des gènes. II. Nous proposons que les cellules cancéreuses puissent être caractérisées par des profils d'activation erronée de nombreux enhancers causée par une régulation anormale des modifications de la chromatine. Dans une première partie, dans laquelle nous aborderons la première hypothèse, nous traiterons les cellules non transformées avec une série d'inhibiteurs et d'enzymes ciblant les principales voies de répression transcriptionnelle reposant sur des modifications de la chromatine (méthylation et désacétylation de H3K4,9,27,64 ; méthylation de l'ADN). Des systèmes rétroviraux efficaces de transduction génique seront mis en place pour la surexpression enzymatique et la dose ainsi que la durée des traitements seront calibrées pour maximiser l'altération des modifications de la chromatine tout en minimisant la toxicité cellulaire. Nous testerons les modifications de la chromatine grâce à des colorations intracellulaire et cytométrie de flux. Pour chaque traitement expérimental, nous effectuerons un ChIP-seq pour les marqueurs de l'activateur H3K4me1 et H3K27ac, afin d'étudier à la fois le répertoire complet des enhancers et d'identifier ceux qui sont actifs, ainsi qu'une étape de RNA-seq à partir des mêmes échantillons. Cela permettra d'examiner l'apparition de marqueurs de l'activité des enhancers à de nouveaux emplacements génomiques [16] ainsi que les modifications de l'expression des gènes qui en résultent. Des pipelines bioinformatiques personnalisés seront utilisés pour comparer les profils des enhancers obtenus par ChIP-seq avec ceux de cellules témoins non traitées, puis une comparaison quantitative de la distribution des enhancers induits par les traitements avec des ensembles de données publiques pour une gamme de types de tissus normaux sera réalisée afin d'établir dans quelle mesure les activités spécifiques des enhancers peuvent être dictées/perturbées par des modifications de la chromatine. Un intérêt sera également porté aux liens entre les modifications des marques des enhancers induites expérimentalement et les modifications de l'expression des gènes adjacents, afin d'évaluer directement l'effet de la dérégulation des enhancers. La première partie établira dans quelle mesure des modifications particulières de la chromatine contribuent à la régulation normale des enhancers et à la possibilité d'une dérégulation globale de l'expression génétique si ces modifications sont perturbées. Dans la deuxième partie, nous testerons directement notre hypothèse en utilisant des lignées cellulaires dérivées du carcinome colorectal (CRC), qui présentent fréquemment une forte surexpression de la H3K9me3 déméthylase JmjD2d. Nous effectuerons un ChIP-seq pour les marqueurs des enhancers dans ces lignées cellulaires, et en utilisant l'approche bioinformatique de la partie I, nous quantifierons les enhancers spécifiques du cancer dans chaque lignée cellulaire. Cela nous permettra d'étudier la distribution, l'abondance et l'état d'activation des enhancers du CRC et de les comparer aux ensembles de données publiques sur les enhancers provenant de cellules épithéliales normales de l'intestin humain et d'autres tissus épithéliaux et non épithéliaux, afin d'identifier les enhancers anormalement activés et/ou spécifiques aux cancers. De même, par une analyse de l'expression des gènes par RNA-seq, nous déterminerons si la mauvaise activation des enhancers pourrait avoir un impact important sur les modèles globaux d'expression génétique, s'il s'agit d'un processus plus limité qui n'affecte l'expression que d'un sous-ensemble spécifique de gènes ou si l'importance globale de la régulation basée sur la chromatine dépend fortement de la lignée cellulaire observée. Nous utiliserons également l'interférence ARN pour inhiber l'expression de JmjD2d dans les cellules CRC et mesurer les changements sur la dérégulation de l'activation des enhancers et sur l'expression des gènes qui en résultent. Ces analyses révéleront dans quelle mesure dérégulation induite par la chromatine contribue à l'activité des enhancers spécifiques aux tumeurs et si elle agit sur tous les activateurs ou seulement sur des sous-ensembles spécifiques. Il est clair que la perturbation de la régulation des enhancers basée sur la chromatine n'est pas la seule voie qui peut conduire à des modifications généralisées de l'expression des gènes dans les cancers. Toutefois, les analyses de la partie II de ce projet nous permettront d'estimer le niveau de contribution que ce processus pourrait apporter à l'expression globale des gènes spécifiques aux tumeurs. Ensemble, les résultats des parties I et II seront suffisants pour éprouver l'hypothèse selon laquelle la dérégulation des enhancers induite par des modifications de la chromatine peut agir comme un moteur de l'expression génétique spécifique aux cancers. Sur la base de ces expériences, un panel plus large de types de cancers sera analysé, y compris d'autres exemples ayant des associations connues avec des voies épigénétiques impliquées dans l'activation des enhancers (leucémie myéloïde aigüe, lymphome de Hodgkin) ou la répression des gènes (cancer du sein). Notre objectif serait d'étudier une variété suffisante de types de cellules cancéreuses pour que nous puissions en toute confiance tirer des conclusions quant à savoir si dérégulation des enhancers est une caractéristique d'importance majeure de la tumorigénèse. 1. Ross et al. Nature genetics, 2000. 24: 227 2. Zhang et al. Science, 1997. 276: 1268 3. Bignell et al. Nature, 2010. 463: 893 4. Pon & Marra. Annual review of pathology, 2015. 10: 25 5. Singh et al. Cancer cell, 2002. 1: 203 6. van't Veer, et al. Nature, 2002. 415: 530 7. Easwaran et al. Molecular cell, 2014. 54: 716 8. Cohen et al. Nature Comms, 2017. 8: 14400 9. Roe et al. Cell, 2017. 170: 875 10. Chen et al. Cell, 2018. 173: 386 11. Zhang et al. Nature genetics, 2016. 48: 176 12. Zhu et al. Molecular cell, 2012. 46: 408 13. Berry & Janknecht. Cancer research, 2013. 73: 2936 14. Young & Hendzel. Biochemistry and cell biology, 2013. 91: 369 15. Peng et al. Gastroenterology, 2019. 156: 1112 16. Heintzman et al. Nature, 2009. 459: 108