Transformation et conservation des tombeaux aristocratiques de la période angevine dans les églises de San Domenico et San Lorenzo à Naples (siècles XVIe-XVIIIe)
Auteur / Autrice : | Anna Brevetti |
Direction : | Rosa Maria Dessì, Vincenza Lucherini |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire et archeologie des mondes anciens et medievaux |
Date : | Inscription en doctorat le 27/09/2020 |
Etablissement(s) : | Université Côte d'Azur en cotutelle avec Università degli Studi di Napoli Federico II |
Ecole(s) doctorale(s) : | SHAL - Sociétés, Humanités, Arts et Lettres |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : CULTURES ET ENVIRONNEMENTS. PRÉHISTOIRE, ANTIQUITÉ, MOYEN-AGE |
Résumé
Cette recherche a pour objet les mémoires funéraires de l'aristocratie de la ville de Naples à l'époque angevine, prises en considération du point de vue des processus de transformation auxquels elles ont été soumises du moment de leur réalisation (pendant le XIVe siècle) jusqu'au XXe siècle. La première donnée à prendre en considération concerne la distribution territoriale des familles aristocratiques. Dans la première moitié du XIVe siècle, l'administration de la ville de Naples, à l'origine divisée en plusieurs clans familiaux, a été réformée avec la création de cinq sièges [Seggi] nobles Capuana, Nido, Montagna, Portanova, Porto , correspondant à cinq districts territoriaux, auxquels il faut ajouter le siège du Peuple [Santangelo 2014 ; 2019]. Les principales familles aristocratiques ont commencé à marquer le territoire urbain et religieux avec les symboles de leur pouvoir, notamment en plaçant des monuments funéraires dans les principales églises de référence. Dans le même temps, l'administration angevine a favorisé la montée en puissance d'une classe de fonctionnaires et de bureaucrates d'origine franco-provençale, ou méridionale, pour la majorité étrangère à la dynamique du pouvoir local. Entre la fin du XIIIe siècle et le milieu du suivant, la typologie sépulcrale plus élaborée adoptée par la noblesse napolitaine prévoyait des sépultures consistant en un sarcophage sur colonnes avec des représentations de saints et des symboles héraldiques le gisant étant représenté en bas-relief ou en ronde-bosse. Le sculpteur siennois Tino di Camaino (m. vers 1337) a proposé un nouveau modèle sépulcral à baldaquin avec caryatides, chambre funéraire et commendatio animae, déployé pour les monuments de deux membres importants de la famille royale angevine.À partir de la seconde moitié du XIVe siècle, les représentants d'illustres familles napolitaines ou salernitaines, diversement liées à la dynamique des sièges, sont de plus en plus nombreux à assumer desrôles de premier plan dans les chancelleries angevines, en particulier celles des princes de Tarente et de Durazzo. Ce n'est pas un hasard si c'est précisément dans l'église de San Domenico et dans celle de San Lorenzo que se sont concentrées un grand nombre de sépultures officielles. Le patronage séculier, comme pratique de contrôle de l'espace religieux, est la forme la plus courante de manifestation et de légitimation politique des aristocraties urbaines. Cette forme de répartition féodale au sein des espaces sacrés se consolide dans les dernières décennies du XIIIe siècle : en échange de dons, les ordres mendiants napolitains accordent aux laïcs les chapelles latérales de leurs églises, provoquant une fragmentation de l'espace sacré selon différentes logiques de visibilité. Cette coutume finit par ancrer et soumettre les fondations religieuses au patriciat de la ville. Cependant, si au cours des XIVe et XVe siècles la noblesse napolitaine développe des formes sépulcrales monumentales et coûteuses à l'instar des souverains angevins, dès la fin du XVe siècle, la crise économique et politique impose le retour à des formes plus modestes, mais également fonctionnelles, à des fins de mémoire collective, processus fondamental pour la survie même des sièges [Santangelo 2019]. À cet égard, il est révélateur qu'au début du XVIe siècle, parmi les clauses d'admission d'une nouvelle famille au siège, il fallait justement démontrer la propriété d'un droit de patronage. Une des exigences essentielles devint la vetustas, attestée par l'exploitation continue, ab antiquo, des espaces sacrés de la ville, gage de racines territoriales anciennes. Il faut cependant souligner que jusqu'à la fin des années 1990, la production sépulcrale médiévale du sud de la Péninsule n'avait pas fait l'objet d'études véritablement scientifiques, en raison de la marginalité et de l'isolement dans lesquels était tenue la culture du sud de l'Italie. Les premières recherches sur les monuments funéraires en tant que porteurs de significations, ainsi que vecteurs de communication politique et sociale, ont principalement répondu à des questions d'ordre typologique et de classement. L'art funéraire a été d'abord lu en clé stylistique, et les oeuvres ont été le plus souvent étudiées comme des pièces qu'il fallait attribuer au catalogue d'un artiste. Ce n'est qu'au tournant des XXe et XXIe siècles, en particulier sous l'impulsion de chercheurs allemands, qu'il y eut une augmentation significative des recherches sur les sépultures royales mais aussi nobles de Naples - avec une attention prédominante pour les fonctions représentatives et mémorielles que les commanditaires leurs assignaient [Enderlein 1997 ; Michalsky 2000]. Essentielles du point de vue théorique et méthodologique sont les recherches menées au cours de la dernière décennie par les chercheurs liés à l'Université Federico II de Naples et à la Bibliotheca Hertziana - Max Plank Institut für Kunstgeschischte. L'objectif de la recherche proposée est l'analyse systématique des tombes de l'aristocratie dans la Naples angevine entre 1266 et 1442 et les transformations auxquelles elles ont été soumises depuis la fin du Moyen Âge, à l'époque moderne et jusqu'au XXe siècle, puisque Naples a fait l'objet de bombardements massifs à la fin de la Seconde Guerre mondiale qui ont conduit à la destruction totale ou partielle d'une grande partie de son architecture et d'oeuvres d'art et à leur reconstruction ou restauration. La recherche, qui sera menée sur la base à la fois des matériaux artistiques et de sources textuelles, sera divisée en trois phases. Dans une première phase, les caractéristiques morphologiques des tombeaux nobles encore existants dans les églises-sièges napolitaines seront analysées et documentées, ceci afin de constituer une base de données et par conséquent procéder à une sélection d'études de cas remarquables en privilégiant les témoignages les plus explicites. On s'attachera aux qualités formelles des artefacts sélectionnés (typologie, iconographie, matériaux, ornements, inscriptions) en classant les variantes identifiées selon des critères morphologiques et chronologiques. Cette analyse formelle sera suivie de celle de l'objet comme document inscrit dans son contexte socio-politique de production. La localisation des sépultures dans l'espace sacré et liturgique, ainsi que leur répartition territoriale seront également examinés, de même que les facteurs environnementaux et sociaux qui ont caractérisé leurs usages, fonctions, significations et mutations. Dans un second temps, nous analyserons les différents types d'intervention auxquels les tombeaux ont été soumis au cours des siècles. Cette enquête sera menée tout d'abord à travers l'examen des principales sources historiographiques et « périégétiques » napolitaines et françaises ainsi que des sources médiévales tardives et modernes. Dans la troisième phase, les transformations, les altérations et les déplacements catalogués dans les deux premières phases de la recherche seront soumis à une analyse cherchant à historiciser les variantes, les constantes et leurs raisons et cela, à la fois par rapport à l'espace sacré, mais aussi et surtout vis-à-vis du contexte historique et social dans lequel s'est inscrit le processus de modification. Il faudra ainsi s'intéresser au problème de la perception des monuments sur le long terme et, à cette fin,les descriptions faites entre le XVIe et le XIXe siècle, de même que les rapports de restauration les plus récents, seront analysés [Chierici 1929, Pane 1948]. Du point de vue méthodologique, afin de contextualiser les matériaux sépulcraux d'un point de vue social, les enquêtes historiques menées ces dernières décennies sur les formes de gouvernement de Naples à l'âge médiéval et sur les systèmes de gestion et de représentation du pouvoir des grandes familles de la noblesse de la ville seront prises comme référence [Vitale 1998, Santangelo 2014; Santangelo 2019]. À cet effet, un point de départ méthodologique fondamental sera constitué par la recherche prosopographique sur les grands officiers angevins menée dans le cadre du projet « Europange » (2014-2018), qui a mis en lumière la complexité du système administratif angevin et les relations entre la Cour de France et les grandes familles du patriciat urbain [Les grands officiers 2017; Formations et cultures 2019]. On utilisera aussi les résultats des recherches de Michel Lauwers dédiées au culte des morts et au problème de l'espace, physique et figuré, qui le caractérise [Lauwers 2005 ; Lauwers-Zemour 2015]; dans ces recherches, l'étude des mentalités, traditionnelle dans l'historiographie française du XXe siècle, a été dépassée au profit des disciplines anthropologiques et des sciences sociales. Il sera donc essentiel de partir de ces prémisses pour aborder la problématique de l'inhumation comme outil de mémoire ou comme scénographie d'une autoreprésentation mondaine [Marcoux 2013]. Ma recherche s'intégrera également dans le programme de recherche de l'École française de Rome, dont le CEPAM est partenaire, sur les « Transitions funéraires en Occident de l'Antiquité à nos jours » (dir. G. Cuchet, N. Laubry, M. Lauwers). L'objectif est aussi et surtout de pouvoir appliquer à l'objet-sépulture la méthodologie que Rosa Maria Dessì a expérimentée dans ses investigations sur la peinture du XIVe siècle dans les territoires contrôlés par la dynastie angevine, approfondissant ainsi les thèmes de la communication et de la représentation du pouvoir. Dans les contributions les plus récentes tout particulièrement, cette chercheuse a étudié les manipulations et les transformations des images de souverains dans la peinture siennoise en se concentrant sur les implications idéologiques et politiques de ces interventions [Dessì 2018 ; Dessì 2020]. Sur le sujet, les études sur la célébration et l'annulation de la mémoire dynastique des souverains angevins seront également fondamentales et menées à travers l'examen des sources savantes de l'époque moderne [Lucherini 2018; 2019]. 'Sepulcra' et 'Monumenta' demeurent les signes les plus visibles et tangibles des pratiques anciennes de prééminence et de domination sociale au sein du monde urbain, ainsi que des mécanismes de contrôle du territoire par les sièges napolitains. Au sein des espaces sacrés et liturgiques, la mémoire était cultivée et stratifiée à travers une série de signes et de symboles destinés à être codifiés et transmis (les images représentées sur les tombes, notamment, sont porteuses d'informations relatives au statut et au rôle social du défunt, de ses proches, de leurs mérites et de leurs honneurs). Pour cette raison, ces monuments livrent des messages que des transformations pouvaient altérer, en leur conférant de nouvelles significations.