Thèse en cours

La relation entre le travail de contenance des équipes de crèches et le processus de subjectivation des bébés et des jeunes enfants dans un contexte interculturel

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Auteur / Autrice : Maria Isabel Miranda orrego
Direction : Rose-Angélique BelotDenis Mellier
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Psychologie
Date : Inscription en doctorat le 10/01/2022
Etablissement(s) : Bourgogne Franche-Comté
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sociétés, Espaces, Pratiques, Temps (Dijon ; Besançon ; 2017-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire de Psychologie
établissement de préparation : Université de Franche-Comté (1971-....)

Résumé

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Les équipes qui travaillant autour de la prise en charge des bébés et des jeunes enfants, telles que les crèches, les équipes de pédiatrie et de néonatologie, reçoivent consciemment et inconsciemment la souffrance précoce des bébés composée d'angoisses et d'anxiétés liées à leurs processus de subjectivation, à la relation établie entre les bébés et les parents, ainsi qu'aux pressions culturelles et politiques propres à chaque contexte. L'un des défis pour ces équipes est de pouvoir accueillir, percevoir, transformer et métaboliser ces angoisses, ce que Bion (1980) a décrit comme le travail de contenance, renvoyant à l'idée de mettre à disposition de la psyché des éléments non encore représentables pour le bébé. De cette façon, et en donnant du sens à l'expérience du bébé ou du jeune enfant, on protège ses conditions de subjectivation, c'est-à-dire qu'il puisse être considéré comme un sujet potentiel, qu'il puisse établir une demande, construire son propre désir, qu'il puisse établir des circuits pulsionnels, etc. Pour illustrer le point précédent, nous pouvons nous référer par exemple au moment où, dans certaines crèches, la demande de travailler au sein de l'équipe sur la question de l'angoisse de séparation entre les enfants et leurs parents devient plus évidente, cependant, il est également important de se demander : Que se passe-t-il lorsque cette souffrance prend d'autres formes de manifestation marquées par des enjeux interculturels ? D'après mon expérience , cela peut se produire, par exemple, dans le cas de groupes de migrants indigènes de la campagne vers la ville qui, en Équateur, ont une vision du monde différente de celle de la société prédominante (blanche et métisse). Il s'agit de communautés dont la langue est différente de l'espagnol, puisqu'elles parlent une langue kichwa. Beaucoup de ces migrants viennent des zones rurales (travail de terrain) et lorsqu'ils arrivent en ville, ils sont confrontés à la logique de fonctionnement de l'État qui met à mal la prise en charge de leurs enfants. Ainsi, beaucoup de ces parents laissent leurs enfants dans les crèches suite aux menaces des policiers qui, lorsqu'ils les voient travailler dans les rues avec leurs bébés accrochés sur le dos, les menacent de leur enlever les enfants et de les emmener dans des institutions d'internement s'ils ne les emmènent pas dans les crèches. D'autre part, les parents indigènes se rendent compte que leurs enfants courent plus de risques dans la vie urbaine, car à la campagne, par exemple, les enfants ne sont pas écrasés ou volés. Dans ce contexte, beaucoup de ces parents doivent confronter la représentation qu'ils ont de leurs enfants et de leurs pratiques parentales, marqué par l'autonomie, en ce qui concerne les exigences de la crèche qui, selon les propres mots des parents, elles font retarder les progrès des enfants, les rendent fragiles et peu autonomes. Dans ce cas, on peut voir comment les enseignants de la crèche demandent aux parents d'envoyer les enfants de 1 an en couches et les parents affirment que les enfants ne portent pas de couches à cet âge. Dans d'autres cas, beaucoup de ces enfants sont soumis à l'horaire et aux rythmes de croissance proposés par la crèche, rythmes qui ne sont pas cohérents avec la vie que mènent ces enfants chez eux, par exemple, on fait jouer les enfants le matin et à midi on leur donne le déjeuner et ensuite ils font la sieste. Ces enfants se lèvent avec leurs parents pour aller travailler vers 3 heures du matin, ils cherchent donc à dormir dans les crèches, et les éducateurs les font attendre jusqu'à midi. Le résultat est que les enfants pleurent toute la matinée, et mangent en pleurant, puis s'endorment. En plus, de nombreux parents se plaignent d'emmener leurs enfants à la crèche parce qu'on leur donne de la nourriture qu'ils ne peuvent pas l'acheter (comme de la viande et des fruits) et qu'on leur fait faire la sieste selon un horaire qu'ils ne peuvent pas soutenir le week-end. Beaucoup de ces enfants présentent des symptômes de cette déconnexion dans le corps, avec des maladies intestinales permanentes. Mellier (2012) souligne que la souffrance chez le nourrisson et le jeune enfant est déposée dans la relation intersubjective du nourrisson avec les autres. Le bébé, n'ayant pas la capacité de représenter sa souffrance, a besoin d'un autre qui soit en quelque sorte capable de recevoir, d'assister et de transformer ces souffrances en expériences accessibles par l'émotion et la pensée. C'est pourquoi il est nécessaire de regarder de près les jeux intersubjectifs dans ' l'entre-deux ' des relations du bébé avec son environnement, des parents et du bébé, ainsi que ce qui se dépose dans la dynamique entre les soignants et le bébé, et les parents et les soignants, car ces dynamiques nous permettraient de comprendre que ' les souffrances précoces sont de nature profondément intersubjectives ' (p. 197). En ce sens, ce qui se passe dans la rencontre entre les subjectivités est si pertinent qu'il explique non seulement la souffrance précoce d'un bébé, mais aussi les processus de subjectivation du bébé. Selon le cas présenté, les pleurs constants des enfants durant la matinée se placent dans la relation entre les enfants et l'équipe de la crèche, et nous amène à nous demander quelle est la souffrance qui rend compte ces pleurs?, qu'est-ce qui est pleuré?, et si les enfants parviennent à mettre leur souffrance en larmes, comment cela est lu et interprété par l'équipe de la crèche?, et enfin, cette possible interprétation inclut-elle des éléments interculturels ou est-elle lue à partir d'une matrice symbolique occidentale ? Sans aucun doute, l'interprétation de ce cri, ainsi que la tâche de s'occuper d'un bébé, doivent être loin d'être un acte exclusivement pratique ou mécanique, dans lequel des mots et des phrases standard sont prononcés ou tirés d'un livre, car cela entraverait les processus de rêverie d'une façon unique pour les enfants. De même, dans le cas de la 'stimulation précoce', les muscles du bébé sont travaillés avec des exercices standards qui touchent le bébé de manière à manipuler ses os et ses muscles, ce qui omettrait le processus d'être touché de manière unique, avec un mot dirigé de manière non anonyme, c'est-à-dire pour que la subjectivation apparaisse chez l'enfant, il est nécessaire de travailler sur l'intersubjectivité et par là, Jerusalinsky (2002) fait référence au lieu du désir envers l'autre, à l'inscription de la lettre et du circuit pulsionnel, au lieu du plaisir du regard, à la transmission du savoir, processus qui englobent la subjectivation du bébé, c'est-à-dire que le bébé cesse d'être un morceau de viande pour devenir un être humain et s'inscrire dans une matrice symbolique culturelle. C'est pourquoi le travail de soins dans une crèche devient pertinent, car on y travaille sur les processus de subjectivation des bébés. Les travaux de Mellier (2020) nous permettent de comprendre, dans cette perspective, pourquoi il est pertinent de donner du sens aux dynamiques qui s'instaurent dans les crèches à partir de la relation avec les enfants et leurs parents. De cette façon, les équipes, dans un double mouvement d'attention et de transformation, pourraient mettre en marche des processus de contenance, qui leur permettraient de traiter les douleurs des enfants et des parents dans leur relation avec eux. Cela permettrait de protéger la subjectivité des enfants ainsi que celle des parents. Dans ce cas, l'équipe de la crèche, composée principalement de personnel d'origine métisse et d'un faible pourcentage de personnel indigène, recevrait la souffrance des parents et des enfants, probablement renforcée par des éléments d'exclusion et de marginalisation typiques du choc entre une vision du monde indigène (qui peut aussi être étrangère ou migrante) et une vision occidentale. On peut donc se demander ce qu'il advient de la capacité contenance de ces équipes dans ce contexte de multiculturalisme ? On sait que certaines de ces équipes ont changé leurs règles de fonctionnement en remettant en cause les directives de l'État pour la prise en charge des bébés, d'autres fois elles ont interpellé les parents, proposant des pratiques discriminatoires voire racistes (Prieto et Miranda 2018), ce qui nous fait penser à la souffrance qui se joue dans ces relations, qui apparemment ne parlent pas seulement d'angoisses de séparation, mais sûrement de processus identitaires sur la place du blanc ou du local, du métis et de l'indigène ou de l'étranger, alors, comment permettre le désir des soignants chez les enfants qui sont regardés de manière marginale ? Quelles conséquences ce regard du soignant aura-t-il sur le circuit pulsionnel des enfants ? Cela nous amène à penser à un environnement hostile et vulnérable par rapport aux processus de subjectivation de l'enfant et des parents. En ce sens, la relation entretenue par l'équipe de la crèche pourrait aggraver la souffrance de ces enfants et de la parentalité. Ce travail propose une approche d'une réalité indigène située en marge de la culture occidentale ou de la culture prédominante dans une société, mais ce travail pourrait être appliqué à d'autres réalités culturelles situées en marge de la société, comme la réalité des migrants ou des étrangers. Questions Tout ce qui précède m'amène à proposer les questions suivantes : • Quelles sont les angoisses que les bébés et les parents déposent dans les crèches dans un contexte interculturel ? • Comment l'équipe reçoit-elle et lit-elle ces angoisses ? • Comment l'équipe de la crèche a-t-elle mis en œuvre la fonction contenance, en se référant à l'accueil et à la réflexion commune sur la différence culturelle et la marginalisation ? • Et enfin, comment l'équipe permet-elle des conditions qui protègent les processus de subjectivation des bébés issus d'autres cultures ? Bibliographie Bion, Wilfred Ruprecht, Haydee B. Fernández, y León Grimberg. 1980. Aprendiendo de la experiencia. Vol. 15. Paidós Buenos Aires. Jerusalinsky, Julieta. 2002. Enquanto o futuro não vem: a psicanálise na clínica interdisciplinar com bebês. Salvador, BA: Ágalma. Mellier, Denis. 2012. “Souffrance, attention et processus de contenance chez le bébé”. en La vie psychique du bébé: émergence et construction intersubjective, Bibliothèque d'inconscient et culture. Paris: Dunod. Mellier, Dennis. 2020. L'inconsciente à la creche. Dynamique des équipes et accueil des bebés. Édition érès. Toulouse, France. Miranda Orrego, María Isabel. 2016. “‘ Caminando con las guaguas: estudio etnográfico del cuidado de los hijos e hijas de mujeres indígenas migrantes en el Ecuador'.” Tesis de Maestría, Quito, Ecuador: Flacso Ecuador. Prieto, Mercedes, y Isabel Miranda. 2018. “Travesías del cuidado de la niñez indígena en Ecuador”. en Cuidado, comunidad y común: Experiencias cooperativas en el sostenimiento de la vida., editado por C. Vega Solís, R. Martínez Buján, y M. Paredes Chauca. Madrid: Traficante de sueños.