Thèse en cours

Joseph Bonnet (1884-1944) et son temps

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Auteur / Autrice : Yannick Merlin
Direction : Cécile Reynaud
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire de la musique et musicologie
Date : Inscription en doctorat le 01/09/2021
Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École pratique des hautes études (Paris)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Savoirs et Pratiques du Moyen Âge au XIXe siècle (Paris)
établissement opérateur d'inscription : École pratique des hautes études (Paris ; 1868-....)

Mots clés

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Résumé

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Joseph Bonnet (1884-1944) et son temps En tant qu'organiste, nous avons toujours été attiré par la personnalité musicale de Joseph Bonnet, un compositeur assez peu joué en France, bien qu'il fut titulaire de l'un des plus importants instruments de l'hexagone, l'orgue de Saint-Eustache à Paris. La quarantaine d'œuvres qu'il laisse, toutes quasi intégralement écrites pour l'orgue mis à part quelques motets, représente un corpus relativement conséquent. Ces pièces ont la particularité d'avoir été composées et publiées durant ses jeunes années de musicien, entre 1908 et 1913 (mis à part le Chant triste de 1925). Destinées à la pâte sonore de l'orgue symphonique et héritées du style d'Alexandre Guilmant, l'un de ses maîtres, elles mêlent des pages profanes souvent évocatrices (Lamento et Rêverie op. 5 ; Clair de lune et Songe d'enfant op. 7 ; In Memoriam Titanic et Ariel, op. 10...), hautement virtuoses (Variations de concert op. 1, Toccata et Rhapsodie Catalane op. 5 ; Etude de concert et Caprice héroïque op. 7 ; Pisen Ceskeho Naroda, poème Tchèque op. 10...), assimilées à une ambiance de salon (Nocturne, Rêverie et Canzona op. 5 ; Romance sans paroles op. 7...) à des œuvres liturgiques (Trois versets sur l'hymne Ave maris Stella et Fantaisie sur deux noëls op.5 ; Prélude au Salve Regina op. 7 ; Magnificat, 6 versets en forme de variations op. 10...) et révèlent un esprit inspiré, romanesque et poétique. La liste, même non exhaustive, des dédicataires des recueils publiés de Joseph Bonnet démontre un réseau de relations amicales varié et permettent de recréer une partie de l'univers qu'il a fréquenté : des connaissances extra familiales très proches (Alexandre Guilmant et son épouse, Paul Combes (de Bordeaux), Monsieur et Madame Tournemire...), des amis organistes et/ou compositeurs (Huré, Straube, Schweitzer, Schlochow, Bossi, Barblan...) sa proximité avec de riches mécènes (Madame la baronne Froment de Vassal, Madame la Princesse Edmond de Polignac, Marquis Melchior de Polignac...) ou avec des théoriciens (Comte Bérenger de Miramon...). Comme le souligne Louis Vierne, organiste de Notre-Dame-de-Paris, « il a fourni une magnifique carrière qui l'a placé au tout premier rang dans l'Ecole française. Les caractéristiques de son jeu sont la grandeur, la fermeté de style, la splendeur du toucher, le magnifique legato, l'autorité rythmique, le scrupuleux respect des textes, la sûreté du goût dans la registration. » C'est ainsi qu'une plume autorisée décrit ses qualités d'interprète qui lui ont données une réputation mondiale. Il triomphe en Europe puis aux Etats-Unis et au Canada. L'une des caractéristique de ses programmation de concerts est d'avoir pérennisé des séries de « concerts historiques » pendant lesquels il interprète, sur plusieurs dates, des programmes classés chronologiquement et par type d'école. Ce concept trouve son aboutissement dans la publication de cinq volumes intitulés « Historical Organ-Recitals » chez Schirmer à New-York, qui prennent racine chez les « Maîtres primitifs et Précurseur de Bach » et qui s'étendent jusqu'aux « Compositeurs modernes : de César Franck à Max Reger ». Nous retrouvons dans ces recherches particulières, la continuation des efforts entrepris par son maître Guilmant, notamment lorsqu'il donnait des séances d'orgue au Trocadéro, déjà dans cet esprit, ou par le biais d'éditions historiques comme « L'Ecole classique de l'orgue » (Durand) ou « Les Archives des Maîtres de l'Orgue des XVIe, XVIIe et XVIIIe publiées d'après les manuscrits et éditions authentiques » (Durand) préparés en collaboration avec André Pirro. Joseph Bonnet, pour sa part, a également préparé des éditions restituant les manuscrits originaux des Fiori musicali de Frescobaldi (Salabert, 1950) ou d'œuvres de Clérambault, Titelouze, Kuhnau, Palestrina, sans compter les recueils suivants : « An Anthology of Early french Organ » (Gray,1944), « Anthologia Antiqua » (Fischer, s.d.). Avant sa mort, il travaillait à l'édition du Premier livre d'orgue de Gilles Jullien. Il était en possession de cette œuvre tombée dans l'oubli, par l'héritage qu'il avait eu d'une partie des archives personnelles d'Alexandre Guilmant. Comme il en avait proposé l'édition critique à la Société française de Musicologie, cette dernière en réalisa l'édition posthume en hommage aux deux musiciens. A l'arrivée de la Première guerre mondiale, et du décès du frère de Bonnet en 1915, la personnalité du musicien évolue. Il abandonne sa vie mondaine, la composition et se tourne résolument vers une carrière de concertiste. Sa vie spirituelle s'intensifie également. En 1920 il se rapproche de Dom Mocquereau, célèbre moine de Solesmes, réformateur de l'interprétation du chant grégorien. Cet engagement trouvera son aboutissement en 1922, lorsqu'il sera accepté par la communauté de Solesmes en tant qu'oblat bénédictin, et lorsqu'il fonde et préside l'Institut grégorien de Paris. Depuis sa nomination à l'orgue de Saint-Eustache, il réalise scrupuleusement ses programmes de messes en adéquation parfaite avec le temps liturgique. Il ne peut considérer le roi des instruments que comme vecteur de la prière à l'église. Chacun de ses programmes se retrouve imprimé chaque mois dans le bulletin paroissial Saint Eustache. Cela participe également à sa grande renommée et attire régulièrement à sa tribune des personnalités aussi diverses que d'Annunzio ou Rodin. Il nous faut mentionner sa passion pour la facture d'orgues qui le rendra précurseur dans les divers courants esthétiques traversés par la France en ce domaine. Réunissant ce qu'il y a de plus intéressant en Europe et Outre-Atlantique, il contribue à une vision personnelle du courant néo-classique à peine naissant, lors de l'élaboration des nouvelles caractéristiques techniques et sonores de l'orgue restauré de Saint-Eustache en 1932. En cela, il renoue d'ailleurs et développe l'esprit visionnaire de son maître Alexandre Guilmant qui avait ouvert des horizons prometteurs avec la construction de son orgue de salon. Pourtant, l'évolution de Joseph Bonnet ne s'arrête pas avec la conception de la restauration de l'orgue de Saint-Eustache. Parallèlement à ses recherches sur l'interprétation des œuvres de Bach, il élabore des devis d'orgues extrêmement typés, notamment pour l'interprétation de la musique baroque allemande, donnant un nouveau prolongement à l'école néo-classique française aux États-Unis. Ainsi, nous aimerions évoquer l'orgue construit en 1942 pour le Worcester Art Museum d'après une composition élaborée par Joseph Bonnet, deux ans avant sa disparition et qui se trouve être une anticipation du mouvement néo-baroque français qui débutera une vingtaine d'années plus tard. N'oublions pas non plus son appartenance à la commission des Beaux-arts chargée de superviser les restaurations des orgues historiques. Il s'y était singularisé par ses positions très respectueuses du matériel du passé. En 1926 il est le seul membre de la commission à vouloir conserver le diapason ancien de l'orgue de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris, et à être entièrement opposé à l'ajout d'un récit expressif neuf. Enfin, J. Bonnet a été l'un des pionniers des enregistrements sonores d'orgues en 1913 (à l'orgue Welté Philharmonie de Fribourg), puis entre 1936 et 1941, laissant ainsi à la postérité le souvenir de ses exécutions prodigieuses. Son existence s'achève en 1944, au Canada, alors que la France est encore occupée. Ayant dû quitter Paris deux jours avant l'arrivée des troupes allemandes en 1940 pour honorer des engagements de concerts aux Etats-Unis, il n'aura jamais plus l'occasion de retourner dans sa patrie d'origine. Il est enterré à Saint-Benoît-du-Lac au Canada, près de son lieu de villégiature au moment de son décès inattendu. Cette fin d'existence expatriée explique peut-être l'intérêt minimal dont fait l'objet en France son œuvre de compositeur encore actuellement, alors qu'on trouve son nom sur les programmes des virtuoses du monde entier. J. Bonnet a pourtant attiré les honneurs du monde musical sur son talent dès ses vingt-deux ans, lors de sa nomination à Saint-Eustache, alors qu'il était encore étudiant au Conservatoire. Ses tournées de concerts entre 1906 et 1923 attiraient des foules conséquentes. La presse comparait ces triomphes à ceux, phénoménaux, de Paderewski et Kreisler. En 1921, comme Guilmant en 1899 à New-York, il avait créé la classe d'orgue de l'université de Rochester. En 1937 il avait succédé à Louis Vierne à la classe d'orgue de l'Ecole César Franck à Paris. En 1940 il avait fondé la classe d'orgue du conservatoire de Montréal. Puisse l'étude universitaire que nous projetons de faire, contribuer à remettre à l'honneur cette figure remarquable du monde de l'orgue français. En 2005, nous avons rencontré pour la première fois Mme Brown-Bonnet, fille de Joseph Bonnet. Nous sommes allé à son domicile, lors d'une visite destinée à consulter les archives personnelles de son père. En effet, avec son neveu, elle est dépositaire d'une grande quantité des papiers du célèbre organiste Joseph Bonnet. Nous avons donc eu l'occasion de consulter une partie de ce fonds exceptionnel à plus d'un titre : -Joseph Bonnet avait fait confectionner des volumes reliés, triés chronologiquement, et retraçant l'intégralité de sa carrière de concertiste international. Pour chacun de ses récitals, figurent également les articles de journaux, annonçant ou donnant un compte rendu du récital, quelques fois même assortis d'une lettre manuscrite d'une personnalité en lien avec ce récital. -La correspondance est opulente, Joseph Bonnet semblait garder une énorme partie des lettres qui lui étaient adressées. De plus, il a souvent conservé un double des lettres qu'il envoyait. Les noms des principaux acteurs du monde l'orgue de la première moitié du XX° siècle (France, Europe et Etats-Unis) se retrouvent dans les destinataires de J. Bonnet (organistes concertistes, compositeurs, facteurs d'orgues, théoriciens...). -Joseph Bonnet avait créé de nombreuses œuvres de ses contemporains. C'est ainsi que l'on peut trouver dans ce fonds des manuscrits de compositeurs (Tournemire ou René Vierne, par exemple), ou des éditions d'origines corrigées qui ont servi à créer une œuvre (la 5° Symphonie de Louis Vierne, par exemple). -Bonnet avait été le dépositaire d'une partie de la bibliothèque personnelle d'Alexandre Guilmant, son maître, professeur d'orgue au Conservatoire de Paris. On retrouve dans ce fonds quelques exemplaires de partitions et d'éditions d'époque portant le cachet de Guilmant (œuvres de Franck, Boëly, etc.) -Enfin, nous pouvons relever une iconographie très riche. Citons par exemple les clichés que nous avions pu reproduire dans notre article 'Joseph Bonnet et l'école d'orgue alsacienne', représentant J. Bonnet en compagnie de Marie-Joseph Erb, vraisemblablement à Strasbourg. Il nous faut aussi mentionner à ce sujet, l'existence de nombreuses photographies issues des articles de journaux ou brochures qu'il collectait pour ses albums chronologiques de récitals. Cela permet d'enrichir de manière parfois inespérée une iconographie considérée comme inexistante ou perdue (nous avons retrouvé, comme exemple parmi d'autres, une photo de la console de l'orgue de la cathédrale de Bourges en 1925, avec à ses côtés son constructeur, le facteur d'orgues Joseph Rinckenbach, alors que les photos qui le représentent sont très rares et que la console a été détruite par la suite. De même, dans la brochure racontant l'histoire de l'orgue de la cathédrale de Bourges, inauguré par Bonnet en 1925, nous avons trouvé un portrait du titulaire de l'époque, Louis Huber, alors qu'à notre connaissance il n'en existait aucun). Ce fonds privé d'une grande richesse représente un corpus d'archives totalement inédit, qui n'a été ouvert qu'épisodiquement, en fonction de demandes précises par différents chercheurs. La famille m'a donné sa confiance, et en vue de la réalisation d'une thèse au sujet de leur illustre ascendant, m'ouvre l'intégralité de ces archives. Nous nous proposons d'établir le catalogage de ce fonds. Notre travail se propose de tenter de mettre en lumière les conséquences des choix opérés par J. Bonnet tout au long de sa carrière. Pourquoi avoir arrêté de composer brusquement après avoir fait publier une quantité non négligeable de pièces appréciées et diffusées mondialement ? Comment a t-il bâti sa notoriété internationale d'interprète en suivant l'exemple de son maître Guilmant, tout en se singularisant ? De même, quels rapports nourrissait-il avec ses pairs chefs de file de l'école d'orgue française dans un contexte qui a fait qu'il n'a jamais pu accéder à un poste renommé de l'enseignement dans son pays natal ? Comment l'affirmation progressive de sa spiritualité au cours de sa carrière va t-elle influencer sa vie artistique, lui donnant ainsi une prégnance particulière ? Enfin, nous tenterons de voir si la vision particulière que J. Bonnet avait de la facture d'orgues a pu avoir une influence sur le développement de cet art aux États-Unis et en Europe, à la fois dans le domaine de la conservation des instruments historiques et de l'éclosion de nouveaux courants de facture d'orgues. Grâce à ces questionnements, nous tenteront de cerner les différentes facettes de cet artiste, afin de déterminer quelle place il a occupé pendant durant son existence politiquement et artistiquement mouvementée.