Les processus psychiques dans la possession et dans la création artistique
Auteur / Autrice : | Hakima Lebbar |
Direction : | Houari MaÏdi |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Psychologie |
Date : | Inscription en doctorat le 05/11/2021 |
Etablissement(s) : | Besançon, Université Marie et Louis Pasteur |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sociétés, Espaces, Pratiques, Temps (Dijon ; Besançon ; 2017-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire de Psychologie |
établissement de préparation : Université de Franche-Comté (1971-....) |
Résumé
Les processus psychiques dans la possession (par les djinns) et la création artistique : Que se passe-t-il dans la possession ? Que se passe-t-il dans la création artistique ? Peut-être quelque chose d'analogue ? Dans le langage parlé marocain, des mêmes mots concernent trois univers différents (peut-être pas si différents), celui des jnouns, celui des artistes et celui de la folie. Je citerai ici quelques exemples, comme la notion de hal, de jadba, de fitna et celle de zouhri.a. - Les Jnouns sont souvent tenus pour responsables de nombreuses souffrances et notamment des souffrances psychiques (j'utilise indifféremment djinns et jnouns pour le pluriel de djinn, jnouns étant la prononciation phonétique en arabe dialectal). - Le hal peut être traduit par état de saisissement. L'expression chaddou halou ou chad7a Hal7a (il ou elle est pris.e par ou dans son hal) concerne autant l'état de saisissement que connaissent certains artistes dans des moments de création, les états de transe des personnes possédées (ou dépossédées) par les djinns, l'extase des soufis, que des états de « crise » de personnes souffrant de troubles psychiques (délire, crise de nerfs, d'hystérie, d'épilepsie, crise phobique ). - La jadba est ravissement. On trouvera ce terme comme nominatif, pour nommer l'extase des soufis, et l'adjectif majdoub/majdouba (de la même racine j-d-b) signifie aussi fou/folle. - Le mot fitna peut être traduit par un état d'éparpillement, de dispersion, de désordre etc et peut concerner les artistes comme des personnes ayant des pathologies psychiques ou encore des personnes « possédées ». La question essentiellement posée ici est que si les mots disent les choses, peut être s'agit-il du même ? Les artistes, les personnes « possédées » et les personnes en souffrance psychique sont considérées au Maroc et certainement ailleurs aussi, comme des personnes qui ont « un quelque chose » qui les singularisent. Ce quelque chose se rapporte presque toujours aux jnouns et/ou à la folie. Au Maroc, la notion de zouhri.a est centrale quant à ces trois univers (art, jnouns et folie). Les zouhri.a sont très présent.e.s dans le monde de la possession et des pratiques traditionnelles (que ce soient les « malades » ou les soignants) et aussi chez les artistes. Dans le cadre de mon exercice professionnel en tant que psychologue-psychanalyste j'ai souvent entendu le mot zouhri.a chez mes patient.e.s. Ensuite cette notion est très présente dans le monde des pratiques traditionnelles, je l'ai rencontré moult fois sur le terrain de mes recherches. Puis dans le monde de l'art, plusieurs artistes sont zouhri.e. Lors de la création de la galerie d'art que je dirige depuis 2003, j'ai nommé, de manière intuitive, Zouhrie (avec un e pour le féminin) la société sarl, qui abrite la galerie. Le nom commercial de la galerie est Fan-Dok qui veut dire en arabe dialectal l'art (Fan) et le bon goût (Dok). Dok ou Dawq est aussi le terme utilisé par les mystiques (les soufis en particulier) pour parler de la modalité de la connaissance de Dieu dans la pratique gnostique. Dans la réflexion qui m'a menée à travailler sur le présent sujet, la question suivante porte ce travail : Les jnouns seraient-ils pour les personnes « possédées », ce que l'art peut être pour les artistes : peut-être un nud borroméen qui leur permet aux un.e.s et aux autres de « tenir » ? Une issue à leur malêtre ? L'art et les jnouns fonctionneraient comme un quart terme, comme dit Lacan, qui maintiendrait les artistes ou les personnes possédées dans une forme de normalité. Les jnouns, les démons, les esprits seraient partie de ce grand Autre proposé par la société, comme sujet de l'inconscient, déterminé par un ordre symbolique. Et dans la création artistique quel est ce « Je est un autre » que nomme ainsi Rimbaud ? Une pulsion de vie ? Une nouvelle naissance à soi par sa propre création ? Les jnouns, la croyance en jnouns et les pratiques traditionnelles qui en découlent sont des créations collectives pour permettre à une société de TENIR, d'inclure et donner du sens aux difficultés des personnes qui ne sont pas dans les rangs. Quant à l'art, il est une création individuelle, singulière de chaque artiste qu'il/elle a trouvé pour TENIR. Cependant la reconnaissance d'un artiste est collective. Il existe par son travail et aussi par la reconnaissance sociale de son travail. Que ce soit les jnouns, les démons ou le « Je est un autre », je voudrais réfléchir l'altérité -grande et petite- pour essayer de comprendre les processus psychiques en jeu dans ces états de prise ou « d'emprise » où Ça passe par le corps. Pour cela, je me propose d'essayer de comprendre avec les concepts psychanalytiques, le ou les processus de création artistique ainsi que les troubles attribués aux jnouns et nommer ce qui se passe dans la prise en charge de ces derniers par les guérisseurs/ses. Les pratiques traditionnelles qui font référence aux djinns, perdurent jusqu'à aujourd'hui et sont encore largement fréquentées au Maroc et certainement ailleurs. Les esprits et/ou les djinns font partie d'une cosmologie très ancienne et on va les trouver sous différentes appellations dans les religions monothéistes. Dans la religion musulmane, il y a une sourate qui porte le nom même de « el djinn » et l'existence des djinns est ainsi inscrite dans le symbolique de la religion et de la culture musulmanes. Par ailleurs, j'aimerai questionner la continuité historique des pratiques traditionnelles dans l'histoire de l'inconscient. Dans quelle mesure le concept de l'inconscient ne s'appliquerait-il pas à ce qui est en jeu dans les pratiques traditionnelles ? et la question du symbolique me semble tout aussi occurrente quant aux croyances sous-jacentes. Une autre question m'intéresse particulièrement comme je l'ai souligné plus haut : « Ça » passe par le corps ». Je réalise (''I cure'' en anglais) des expositions d'art depuis plus de vingt ans et j'ai toujours écrit les textes de présentation des expositions à partir d'entretiens avec les artistes et en même temps en essayant de trouver les mots pour dire le pourquoi de mon choix de tel ou tel travail d'artiste. Et à un moment donné j'ai eu envie d'affirmer : « Ça » passe par le corps. Le Ça signifierait ici l'émotion ou les émotions exprimées par l'artiste et celles ressenties par le ou la regardant.e (le nom même de la galerie « Fan-Dok », engage l'art (Fan) et le goût (Dok), dans le sens de l'expression «avoir du goût» qui signifie avoir bon goût (expression dont l'équivalent existe en arabe)), autrement dit, le fait d'exprimer et de goûter physiquement l'émotion esthétique. Quant aux souffrances psychiques, elles s'expriment souvent par l'intermédiaire du corps et dans les pratiques traditionnelles, Ça passe aussi par le corps dans les crises de possession comme dans l'exorcisme ou encore dans les danses et les transes rituelles. Dans l'élaboration de cette recherche, la première partie est consacrée aux processus psychiques dans la possession. Dans ce chapitre, j'ai repris des recherches sur le terrain que j'avais entamées dans les années 1990. J'avais fait une recherche notamment sur le terrain des Moussems traditionnels et des lilas ou veillées rituelles et auprès de trois praticien.ne.s traditionnel.le.s (l'un d'entre eux est malheureusement décédé). Ainsi dans cette partie, je rends compte de ces trois pratiques et j'essaie d'analyser ce qui s'y passe à partir d'une grille psychanalytique. La deuxième partie est consacrée aux processus psychiques dans la création artistique. Cette seconde partie va interroger le rapport de l'art à la folie et revisite l'histoire de l'art et l'histoire de l'acception de la folie en occident et plus particulièrement en France et au Maroc. Puis bien évidemment j'ai essayé d'aborder plusieurs questions liées à l'art telle que celle qui concerne le beau ou encore celle qui concerne la vérité dans l'art. Puis dans le cadre de ce rapport de l'art à la la folie, j'ai essayé d'aborder les processus psychiques en jeu dans la création artistique, toujours à partir d'une grille psychanalytique. En fin et en annexes, je mettrai les différents entretiens avec des artistes et une petite enquête menée auprès d'artistes sur l'influence du fait d'être zouhri.e sur le fait de devenir artiste.