Thèse en cours

L'Hypersensibilité, un fonctionnement psychique et une pratique psychothérapique à définir.

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Auteur / Autrice : Estelle Barthelemy
Direction : Philippe Claudon
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Psychologie
Date : Inscription en doctorat le 08/10/2021
Etablissement(s) : Université de Lorraine
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale SLTC - Sociétés, Langages, Temps, Connaissances (Nancy ; 2013-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : INTERPSY - Laboratoire de psychologie de l'interaction et des relations intersubjectives

Résumé

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1. L'HYPERSENSIBILITE, UNE NOUVELLE CLINIQUE A DEFINIR Dans notre société actuelle orientée vers la productivité et la rentabilité, dans laquelle la dimension humaine se retrouve relayée au second plan, être hypersensible apparaît majoritairement comme une fragilité voire un défaut. De plus, dans cette société, nos sens sont sans arrêt surstimulés, beaucoup d'hypersensibles souffrent au point de consulter. Dans le cadre de la pratique des psychologues cliniciens, c'est en tout cas un motif de consultation de plus en plus fréquent. Les patients se présentent eux-mêmes comme étant hypersensibles, ou consultent pour leur enfant « trop sensible », « dans la lune », « timide ». Ils font part d'une difficulté à « gérer » leur sensibilité, leurs émotions débordantes, leur empathie démesurée, leurs ruminations incessantes et/ou leur hypersensorialité handicapante. Leur comportement atypique est souvent mal compris et toléré par eux-mêmes et leur entourage. Les hypersensibles sont, selon Aron (2017), « différents des autres et profondément incompris ». Actuellement, l'hypersensibilité est largement documentée sur le plan de la vulgarisation scientifique, notamment dans le domaine du bien-être et du développement personnel. Les livres, les vidéos informatives, les bandes dessinées, les articles et les blogs traitant de ce sujet, fleurissent de toutes parts depuis ces cinq dernières années. Beaucoup disent même « c'est à la mode être hypersensible, zèbre, utlrasensible, supersensible, à ce rythme-là tout le monde est hyper ». L'humain est un être sensible, c'est indéniable, mais si un tel engouement se manifeste, c'est que finalement, les chercheurs se doivent d'apporter une réponse scientifique fiable afin de documenter et d'informer de manière pertinente les praticiens, mais aussi de repérer les difficultés et de trouver les dispositifs thérapeutiques adaptés aux patients concernés. En effet, les recherches sur le sujet sont récentes et il existe encore très peu de littérature scientifique le traitant. Cette littérature est principalement issue de la Neuropsychologie et de la Psychologie américaine. La chercheuse ayant consacré l'ensemble de sa carrière à ce sujet et l'ayant documenté de manière majoritaire est Elaine N. Aron, psychologue clinicienne américaine. De ce fait, elle est reconnue mondialement comme la spécialiste de l'hypersensibilité. C'est elle qui a introduit la terminologie de HSP (1996), qui est la contraction de highly sensitive person. Selon les dernières études quantitatives, on a estimé qu'environ 20% de la population serait concerné par l'hypersensibilité (Aron et coll., 2014). Occurrence importante qui justifie tout à fait la nécessité de poursuivre les recherches. De plus, il n'existe pas encore de diagnostic officiel de l'hypersensibilité et donc pas de chiffres précis. L'hypersensibilité se définit principalement en psychologie comme « une sensibilité plus haute que la moyenne, c'est-à-dire une réactivité extrême aux stimuli, qu'ils soient internes (pensée, croyance, émotion) et/ou externes » (Assenheim, 2020). Cette haute sensibilité implique un degré d'activation du système nerveux plus élevé. Néanmoins, la Neuropsychologie et l'imagerie cérébrale ont permis de démontrer que le cerveau des individus hypersensibles n'est pas structurellement différent, mais que leurs circuits cérébraux fonctionnent différemment dans certaines régions du cerveau (Aron et coll., 2014). Les études de Chen (2011) en Chine, de Licht (2011) au Danemark et plus récemment de Assary (2020) en Angleterre, ont défini que ces particularités seraient innées, d'origine génétique. En outre, selon Assenheim (2020), « ce matériel de base peut évoluer en fonction de l'environnement. En fonction de la qualité du milieu dans lequel l'individu se développe, les traits de fonctionnement peuvent se développer ou au contraire s'atténuer ». L'hypersensibilité concernerait trois grandes dimensions psychologiques : les émotions, la sensorialité et la cognition. Aron indique (2017) : « Les hypersensibles sont assaillis par une foule de messages et perçoivent des nuances qui échappent aux autres ». Comme l'indique Assenheim (2020) « l'hyperréactivité cérébrale » implique une intensité de réaction aux stimulations. Premièrement, sur le plan sensoriel, les hypersensibles présentent ce que l'on peut appeler une hypersensorialité ; c'est-à-dire que cette sensibilité peut concerner certains sens ou tous. Cela peut également concerner la proprioception (positionnement du corps) et la nociception (douleur). Assenheim (2020) nous propose d'utiliser le terme d'hyperesthésie en spécifiant le sens concerné. En effet, l'imagerie médicale a démontré que leur cerveau présentait des spécificités dans les régions responsables du traitement des informations sensorielles. Ensuite, concernant les émotions, l'hyperactivité du système limbique et de l'insula chez les hypersensibles leur permet d'avoir un ressenti émotionnel riche et puissant. Mais également, leur niveau général d'activité du réseau des neurones miroir est beaucoup plus élevé et fonctionne en continu. On peut donc oser le terme d'hyperempathie ; l'hypersensible est « une véritable éponge face aux émotions des autres » (Assenheim, 2020). Pour finir, abordons les spécificités de la pensée. Les émotions influencent les capacités cognitives : le raisonnement, l'attention, la concentration, la mémoire et plus globalement l'apprentissage. En outre, « Un cerveau hyperémotionnel (l'hémisphère droit est suractif) risque de connaître des « bugs » ou déconnexions dans l'hémisphère gauche. Les fonctions cognitives seront alors affaiblies. », précise Assenheim (2020). Cette connexion profonde avec l'environnement implique parfois des ruminations, des cogitations, des pensées envahissantes ; néanmoins, cela peut également permettre une pensée en arborescence créative et vive. « Les individus très sensibles sont globalement […] plus conscients des choses » (Assenheim, 2020). Nous avons des explications scientifiques sur le plan fonctionnel du cerveau, ainsi que sur le plan cognitif, mais les recherches n'évoquent pas précisément ce que cela implique de particulier dans le fonctionnement psychique des personnes définies comme hypersensibles. Carl G. Jung (1913) a été le premier à introduire le concept de « sensibilité innée », qu'il ne définissait pas comme une pathologie en soi mais plutôt comme un caractère enrichissant. Cette sensibilité accrue serait néanmoins la cause de troubles psychiques se manifestant dans le domaine personnel et interpersonnel de l'individu. Selon le psychiatre (1913), le fait d'être né très sensible interagit avec les traumatismes de l'enfance, et peut causer plus souvent un syndrome dépressif, des troubles anxieux et de l'introversion que chez une personne non sensible ayant des antécédents similaires. Et récemment, Assenheim (2020) explique : « Le fonctionnement cérébral particulier des individus hyper implique une consommation importante de ressources. Il produit souvent des déséquilibres aux niveaux nerveux et hormonal. La fatigue chronique en est l'une des premières conséquences typiques. ». La neuropsychologue affirme que ces patients sont très souvent sujets à l'épuisement généralisé ou au burnout. Ce qui confirme l'hypothèse d'une corrélation entre profil hypersensible et risque élevé de développer des troubles psychiques. Par ailleurs, le sujet de l'hypersensibilité a déjà été évoqué dans le domaine de l'autisme et du haut potentiel (HP). D'une part, l'hypersensibilité fait partie des problématiques neuropsychologiques du spectre autistique. Ces particularités sensorielles sont souvent observées chez les personnes autistes dès la petite enfance ; elles alternent entre hypersensibilité et hyposensibilité, comme le précise Lheureux-Davidse (2019). La psychologue indique que « cette sensibilité peut être exacerbée dans des contextes trop complexes, trop intenses ou imprévisibles ». De ce fait, « elle a un impact sur l'intégration de l'image du corps qui permet normalement de se sentir exister dans son vécu interne et dans sa verticalité en particulier ». Cette sensibilité aurait des conséquences sur la disponibilité des personnes autistes dans la relation avec les autres et sur leurs capacités à explorer leur environnement. Concernant le haut potentiel, Simoes Loureiro et ses collaborateurs (2010), mettent en évidence que les enfants présentant ce profil auraient tendance à démontrer des comportements psychoaffectifs singuliers relevant d'une intensité affective. Les auteurs se basent sur les recherches de Robinson et Clinkenbeard (1998) pour affirmer que ces enfants ont « une propension à vivre intensément les émotions ». Ils s'appuient ensuite sur Revol et ses collaborateurs (2004) pour mettre en évidence la conséquence psychopathologique de leur hypersensibilité ; ceci les « surexpose à la dépression ». De même, Brasseur et Grégoire (2010), énumèrent les caractéristiques émotionnelles des adolescents à haut potentiel qui avaient été révélées dans un premier temps par Guignard et Zenasni (2004). Nous citerons ici : « l'anxiété trait plus importante », « l'intensité affective ou émotionnelle », « l'hyperstimulabilité » et « l'intelligence émotionnelle ». Ces caractéristiques généreraient également des images de soi différentes que chez les adolescents ne présentant pas de haut potentiel. Enonçons enfin que l'hypersensibilité est étudiée dans le domaine des expériences exceptionnelles impliquant un état modifié de conscience. Rabeyron (2009) a précisé la clinique de ces expériences exceptionnelles : télépathie, clairvoyance, précognition, expérience de mort imminente, sortie hors du corps, expérience mystique, médiumnique, psychokinèse, réincarnation, abduction et magnétisme. L'auteur remarque que « l'hypersensibilité est très présente dans la clinique des expériences exceptionnelles ». En s'appuyant sur les concepts de Thalbourne (2000) et Hartmann (1991) de « transliminalité » et de « frontières mentales », Rabeyron définit la « perméabilité psychique » observée chez les sujets qui vivent des expériences exceptionnelles. Celle-ci se situe à deux niveaux : « la porosité psychique à l'autre [qui] rejoint les processus associés aux neurones miroirs », impliquant une différenciation plus faible entre ses propres émotions et celles d'autrui ; et « la perméabilité psychique du sujet par rapport à ses propres processus psychiques inconscients », qui ne permet pas le maintien d'une séparation entre conscient et inconscient. La prise en compte des particularités sensorielles, émotionnelles et cognitives des hypersensibles, faciliterait la compréhension de l'économie psychique et somatique qui en découle, et de la représentation des vécus corporels. Nous pouvons envisager que l'hypersensibilité implique un rapport à soi et au monde bien spécifique, il nous semble donc pertinent de nous baser sur les modèles théoriques de la Psychosomatique. Invoquons ici le concept d'enveloppe psychique que Houzel (1987, 2005) a détaillé à partir des travaux de Freud et d'Anzieu. Cette enveloppe délimite le monde psychique interne lié aux sensations corporelles par rapport au monde psychique externe d'autrui. Elle est ainsi intimement liée à la fonction de contenance que Bion (1962) a théorisée, mais aussi à la fonction de pare-excitation introduite par Freud en 1920. La fonction de contenance concerne la « capacité de rêverie » de la mère qui permet au bébé de construire son « appareil à penser les pensées ». La fonction de pare-excitation consiste, quant à elle, à protéger l'organisme contre les excitations en provenance du monde extérieur. En outre, on peut supposer que la plus grande propension des hypersensibles à développer des troubles psychiques pourrait être liée à une altération de l'enveloppe somato-psychique, une faille du pare-excitation et une problématique de la contenance des expériences psychiques. Rappelons, pour finir, cette caractéristique de la perméabilité psychique (Rabeyron, 2009) des hypersensibles par rapport à leurs propres processus psychiques inconscients, dans le sens de « membrane psychique » développée par Bion (1962). Cette barrière serait donc plus fragile et ne permettrait pas un maintien efficace entre conscient et inconscient. Ceci serait à l'origine de l'hyperempathie (liée aux neurones miroirs) et des perceptions intuitives et fines des hypersensibles ; voire à leurs « perceptions extra-sensorielles » dans certains cas. De ce fait, ils percevraient des éléments qui devraient normalement demeurer inconscients, impliquant une plus grande propension à développer des troubles anxieux, un syndrome dépressif, un épuisement psychique, mais aussi parfois des sentiments d'inquiétante étrangeté (Freud, 1919). 2. PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE ET DEMARCHE CLINIQUE Au travers de ce travail de recherche, nous tenterons de faire de l'hypersensibilité un objet scientifique d'étude clinique et psychodynamique, dans le but d'apporter une proposition d'analyse des particularités de l'appareil et du fonctionnement psychiques des personnes dites hypersensibles. Ainsi, nous pourrons mieux repérer les difficultés et les souffrances des patients, mais aussi mieux les comprendre pour leur proposer une prise en charge thérapeutique adaptée. En s'inscrivant dans la continuité et la complémentarité des travaux de Aron, ce travail de recherche exploratoire consiste avant tout à mieux définir l'hypersensibilité grâce à l'approche psychodynamique-psychosomatique. Quels sont alors les phénomènes psychiques conscients et inconscients spécifiques que l'on peut observer chez les patients hypersensibles ? Comment l'hypersensibilité se manifeste dans les sensations corporelles, les enveloppes psychiques et l'enveloppe somato-psychique ; en d'autres termes, quelles sont les particularités du « Moi-Peau » et du « Moi-pensant » (Anzieu, 1994) des personnes hypersensibles ? Peut-on identifier clairement les personnes présentant un profil hypersensible à l'aide du questionnaire « HSP scale » développé par Elaine N. Aron (1996) ? En outre, l'utilisation des tests projectifs du Rorschach et du TAT, du test de la personnalité MMPI et de l'inventaire de coping CISS, pourrait-elle apporter de plus amples informations sur le fonctionnement psychique des personnes hypersensibles et les troubles psychiques causés par leur hypersensibilité ? Et enfin, les médiations thérapeutiques, la méditation pleine conscience, l'EFT et la kinésiologie (techniques de « Stress release ») sont-ils des outils thérapeutiques pertinents pour le clinicien prenant en charge des patients présentant un profil hypersensible ? REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES Assary, E., Zavos, H. M. S., Krapohl, E., Keers, R., Pluess, M. (2020). Genetic architecture of Environmental Sensitivity reflects multiple heritable components: a twin study with adolescents. Molecular Psychiatry, https://doi.org/10.1038/s41380-020-0783-8 Acevedo, B. P., Aron, E. N., Aron, A., Sangster, M. D., Collins, N., & Brown, L. L. (2014). The highly sensitive brain: an fMRI study of sensory processing sensitivity and response to others' emotions. Brain and behavior, 4(4), 580-594. Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Paris : Dunod. Anzieu, D. (1994). Du Moi-peau au Moi-pensant. Paris : Dunod. Aron, E. N. (1996). The Highly Sensitive Person: How to Thrive When the World Overwhelms You. 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