DE L'ESCLAVAGE A L'ADDICTION AU SUCRE ET A L'ALCOOL DANS LES MASCAREIGNES : DES SOUFFRANCES AU REGARD D'APPROCHES CROISEESEPIGENETIQUE ET SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE
Auteur / Autrice : | Uvarajen govindah Paratian |
Direction : | Berenice Doray, Bertrand Maillet |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Bio Med Santé |
Date : | Inscription en doctorat le 16/12/2020 |
Etablissement(s) : | La Réunion |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences, Technologies et Santé (Saint-Denis, La Réunion ; 2010-...) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre d'Investigation Clinique 1410 La Réunion |
Mots clés
Résumé
DE L'ESCLAVAGE A L'ADDICTION AU SUCRE ET A L'ALCOOL DANS LES MASCAREIGNES : DES SOUFFRANCES AU REGARD D'APPROCHES CROISEES EPIGENETIQUE ET SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE Problématique La canne à sucre est introduite dans la Réunion et les autres îles des Mascareignes à partir de 1786. Après le cyclone dévastateur de 1806, la culture de la canne supplante celle du café qui représentait auparavant la richesse principale de la Réunion. Suite à la perte de St Domingue et de la restitution de Bourbon à la France et de l'Ile Maurice à l'Angleterre, la colonie se lance activement dans la production de la canne à sucre. À partir du début du XIXe siècle, la filière canne-sucre-rhum se développe et arrive à alimenter de nombreuses usines tout autour de l'île. Les champs de cannes fleurissent, couvrant actuellement plus de la moitié des surfaces cultivées de l'île, et le sucre extrait se transforme en différents produits. La plus ancienne distillerie familiale fondée en 1845 continue toujours à fonctionner en 2020. L'histoire de la Réunion est ainsi étroitement liée à l'histoire de la canne à sucre, modèle de production traditionnelle et patrimoniale. La mémoire de l'esclavage est présente sur l'île et les Réunionnais n'oublient pas qu'il y a moins de deux cents ans, ce sont des esclaves qui travaillaient dans ces champs. L'esclavage aboli, l'engagisme lui succéda, la culture réclamant toujours plus aux hommes et à la terre. De cette culture de la canne sont produits sucre et rhum, produits tous deux liés à l'énergie, la force, le plaisir, les rituels et les fêtes, mais aussi produits tous deux fortement addictogènes, responsables de dommages sanitaires (tels que diabète pour le sucre, troubles hépatiques, cancers, neurologiques pour l'alcool) et de désordres psychosociaux pour l'alcool. Outre la personne elle-même, ces conséquences peuvent impacter l'entourage, mais aussi via des mécanismes épigénétiques sa descendance. La Réunion concentre 10% de diabétiques soit 80 000 personnes, plaçant l'île, parfois dénommée «Ile sucrée (Benoist 2001) » en tête des régions françaises et au 6ème rang mondial. La prévalence du diabète à la Réunion est 2 fois plus élevée qu'en France métropolitaine. Le diabète représente un coût de 560 millions d'euros pour l'île sur un total national de 14 milliards d'euros. Il est établi qu'un tiers (33 %) des malades ignorent leur état. L'alcool est retrouvé comme cause directe de près de 5% des passages annuels dans les services d'urgences de l'île toutes causes confondues versus 1,4% pour la France entière et d'environ 450 décès chaque année, soit plus de 10 % de la mortalité annuelle, chiffre 3 fois supérieur à la moyenne nationale. Par ailleurs, la Réunion est le département Français le plus touché par les Troubles du Spectre de l'Alcoolisation Ftale. « Les usiniers ont pris le sucre, ils nous ont laissé le diabète et le syndrome d'Alcoolisation Ftale », telle est ma réflexion et le cur de ma problématique : Il s'agit d'interroger le rapport entre les descendants des esclaves, des travailleurs engagés dont nous sommes tous un peu héritiers aujourd'hui à La Réunion et dans d'autres territoires concernés (Ile Maurice, Haïti, La Guyane) et ces pathologies chroniques touchant notre société aujourd'hui, elle-même en souffrance, au « bien-vivre ensemble » fragilisé. Questionnement Il s'agit de démontrer l'enfermement des Réunionnais dans une spirale partant d'une ancienne condition d'esclave produisant un produit, venant à consommer ce produit, devenant dépendant « esclave » de ce produit et fragilisé par ces effets et transmettant aux générations suivantes maladies et vulnérabilités tant culturelles qu'épigénétiques. Cette hypothèse est sous-tendue par les travaux d' Aimé Charles Nicolas psychiatre addictologue Martiniquais, de Judite Blanc psychologue Haïtienne et de la médecin généticienne Ariane Giacobono de Genève. Objectifs : 1. Apporter un éclairage qualitatif sur le diabète et l'alcoolisme à La Réunion 2. Apporter des éléments historiques et socio-anthropologiques pour une meilleure connaissance des facteurs associés à l'évolution des usages 3. Mettre en évidence des facteurs socioculturels pouvant aider à mieux comprendre la relation consommation - problèmes sanitaires et sociaux 4. Mieux appréhender les représentations du sucre et de l'alcool dans la population d'une part, du Diabète et de l'alcoolisme d'autre part 5. Identifier d'éventuels facteurs génétiques de vulnérabilité à la survenue du diabète ou de la dépendance à l'alcool au sein de grandes familles via une approche pangénomique malades/non malades exposés/non exposés Méthodologie triple : 1 - Démarche bibliographique : restituer à propos des écrits disponibles la place de la canne à sucre à La Réunion, sa culture, la production de sucre et de rhum et leur distribution, la publicité. 2 - Démarche socio-anthropologique : restituer les problèmes liés au mésusage dans le contexte de relations sociales et familiales : processus de consommation, pratiques et discours les concernant, place du sucre et de l'alcool au sein de la famille, consommation et descendance - Approche par entretiens individuels - Récits de vie - Analyse du contexte social Les éléments analysés seront : Les connaissances qu'ont les personnes de la pathologie diabète ou alcoolisme (définition, causes, conséquences), le mode de consommation L'existence et l'impact des antécédents familiaux (grands-parents, parents, frères et surs, enfants) Leur capacité à gérer la pathologie (retentissement de la maladie, retentissement du traitement) et leurs habitudes en matière de suivi et de traitement La place des aspects culturels dans la représentation du diabète et de l'alcoolisme Le recours éventuel à la médecine traditionnelle Le vécu intra-familial, socio-professionnel de la maladie Leurs attentes et leurs besoins 3 - Démarche génétique et épigénétique Après avoir identifié plusieurs grandes familles suivies conjointement par le service d'Addictologie (Dr David Mété) et le Service de génétique du CHU de La Réunion (Pr Bérénice DORAY), au sein desquelles ségrége la pathologie, seront analysés par technique d'étude pangénome : - les différences génomiques et épigénétiques (méthylation) entre les personnes malades/non malades - les différences génomiques et épigénétiques (méthylation) entre les personnes exposées à un diabète/alcoolisme parental versus les personnes non exposées Les objectifs sont d'une part d'identifier des facteurs génétiques de vulnérabilité ou de protection vis à vis de la survenue d'un diabète ou d'un alcoolisme, ainsi que les marqueurs épigénétiques de transmission transgénérationnels, ces derniers constituant des marqueurs précoces de vulnérabilité. C'est dans une meilleure compréhension de cette complexité, à travers ces approches croisées, que peut se construire une prévention axée non seulement sur des aspects sanitaires de ces maladies chroniques, mais aussi en considérant l'individu dans son histoire et son milieu.