Thèse en cours

Fraternité et droit criminel

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Auteur / Autrice : Alice Sergent
Direction : Bruno PyJean-Baptiste Thierry
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit privé et sciences criminelles
Date : Inscription en doctorat le 15/10/2019
Etablissement(s) : Université de Lorraine
Ecole(s) doctorale(s) : SJPEG - SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET DE GESTION
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut François GENY

Résumé

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À l'heure où nombreuses sont les inquiétudes à l'égard du délitement du tissu social et de l'érosion des structures collectives, la fraternité questionne la matière juridique, dont la fonction est de régir nos rapports. Elle interroge à plus forte raison la matière pénale, qui pose les limites de l'exercice de nos libertés pour protéger celles des autres. La thématique de la fraternité est d'autant plus ancrée dans l'air du temps que la doctrine fait le constat d'une criminalisation de l'action humanitaire et que les crises migratoires viennent questionner certains mécanismes de droit criminel (délits de solidarité, obligations de porter secours ou encore légitime défense d'autrui). C'est d'ailleurs autour de l'enjeu des migrations, en matière de délit de solidarité, que le Conseil constitutionnel a consacré le principe de fraternité par la décision du 6 juillet 2018 (n°2018-717/718 QPC), évacuant ainsi tout doute quant à la juridicité longuement contestée de cette notion à laquelle était reprochée sa forte coloration symbolique. Son exacte signification reste néanmoins en suspens, puisque seul un premier corollaire a pour l'heure été énoncé par le Conseil : la liberté d'aider autrui dans un but désintéressé (sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national). Plusieurs implications juridiques de la fraternité peuvent ainsi être explorées, et quelle que soit la piste retenue — fraternité “dynamique'' supposant une démarche de solidarité ou fraternité “statique'' à rapprocher de la dignité humaine, fraternité au sens le plus strict de lien familial de collatéralité ou conception universalisée —, l'extrême perméabilité du droit criminel en la matière est observable. De ce foisonnement, nous nous proposons de dégager une approche criminaliste générale de la notion de fraternité et d'apporter des éléments de réponse à la problématique suivante : Comment la fraternité est-elle protégée en droit criminel ? Cette interrogation générale nous permettra d'aborder les conditions de protection de la fraternité par le droit criminel et les potentiels conflits entre les différents niveaux et formes de fraternité, dans une très large mesure à la lumière du droit pénal des personnes. Elle nous conduira également à étudier les différentes méthodes de prise en compte de la fraternité en droit criminel, à travers les faits justificatifs de légitime défense d'autrui et d'état de nécessité, les immunités familiales, ou encore à travers le principe de fraternité qui semble impliquer un recul du pénal. Nous examinerons également l'efficacité de cette protection (notamment par le biais du droit comparé), qui semble s'inscrire dans un cadre juridique flou induisant un certain nombre d'insuffisances du droit pénal et de la procédure pénale et ouvrant la porte à leur instrumentalisation. Se pose donc la question de la capacité du droit criminel à lutter contre cette dernière et de la sécurisation de l'exercice de la fraternité. Nous étudierons par ailleurs l'échelle de cette protection : s'arrête-t-elle aux frontières françaises ou est-elle internationale ? Une réflexion sera enfin menée quant à la légitimité de cette protection : traduit-elle une moralisation de la matière criminelle ? Suppose-t-elle un bouleversement des grands principes régissant le droit criminel (comme par exemple la légalité criminelle ou l'indifférence des mobiles) ? La fraternité, mise en avant comme l'une de ses spécificités et comme plaidant en faveur de son autonomie normative, est-elle réellement soluble dans notre droit pénal ? En ce qu'il s'agit d'une notion diffuse, matricielle, qui ne prend corps dans aucun texte et qui supposera très peu de recherche jurisprudentielle directe — la décision du Conseil constitutionnel étant la seule dans laquelle elle se matérialise —, notre étude suppose d'identifier la fraternité là où elle se trouve de manière plus ou moins implicite, et nous conduira à traiter de thématiques aussi diverses que le secours porté face à une forme de péril ou une agression, les formes de “fraternité délinquante'' à l'instar de la criminalité organisée, de diverses fournitures de moyen, ou encore d'aides a posteriori envers des auteurs d'infractions (recel de malfaiteurs, non-dénonciation, aide à l'évasion), le soutien dans le cadre d'une procédure pénale (action civile des associations, omission de témoigner en faveur d'un innocent, rôle de l'avocat pénaliste, etc), ou que l'on songe même à des mécanismes d'entraide internationale entre acteurs répressifs de différents États. Elle nous amènera également à aborder le traitement que réserve le droit criminel aux mouvements sociaux, au militantisme et au politique, le potentiel de la fraternité comme outil de justification pénale d'actes de désobéissance civile, de questionnements bioéthiques (par exemple autour du traitement que le droit pénal réserve à l'euthanasie compassionnelle), des potentielles implications de la fraternité sur le milieu carcéral (lutte contre les suicides en détention, conséquences du principe de fraternité sur le maintien des liens familiaux en détention et pendant une procédure pénale, objectif de réinsertion des condamnés, etc). Notre sujet, transversal, appelle naturellement l'étude de nombreuses disciplines du droit criminel. Mais en ce qu'il présente une forte dimension publiciste (droit constitutionnel, libertés fondamentales, droit international) qui doit être appréhendée au mieux, d'autres branches du droit seront également mobilisées, ainsi que les sciences politiques.