Thèse en cours

La décentralisation à Djibouti: la nécessaire adaptation d'un modèle importé.

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Auteur / Autrice : Ines Steinmetz
Direction : Katia Blairon
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Droit public
Date : Inscription en doctorat le 28/11/2017
Etablissement(s) : Université de Lorraine
Ecole(s) doctorale(s) : SJPEG - SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES, ECONOMIQUES ET DE GESTION
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : IRENEE - Institut de Recherches sur l'Evolution de la Nation Et de l'Etat

Mots clés

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Résumé

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La décentralisation à Djibouti : La nécessaire adaptation d'un modèle importé « La décentralisation ne peut être pensée et surtout appliquée que par rapport au temps…le temps apparait toujours comme un facteur important de la réforme de l'organisation locale » a écrit Jean-Marie Pontier. Le processus de décentralisation est un processus nécessitant une mise en place lente et progressive et diverses lois afin d'atteindre les objectives poursuivis. Ainsi, dix-huit ans après la mise en place de la décentralisation à Djibouti, nous pouvons faire un état des lieux, examiner et identifier les difficultés, essayer de comprendre les raisons du blocage pour tenter d'apporter les solutions adéquates. Résumé et justification du sujet : Comme toutes les ex-colonies françaises, Djibouti a déjà connu une expérience de décentralisation sous la colonisation française. En effet, d'abord dénommé Côte française des Somalis, le pays se voit doté en 1884 de la même charte que Saint-Pierre et Miquelon , puis devenu Territoire des Afars et des Issas suite au referendum de 1967, la colonie acquérait de plus en plus des responsabilités dans les affaires locales notamment par la mise en place de nouvelles institutions pour administrer le territoire. Cette période a été marquée par une forte présence des autorités de l'État et une excessive centralisation administrative. Cette première expérience durant la période de colonisation va aussi marquer un certain nombre de mutation du point de vue spatial et institutionnel par la mise en œuvre d'importantes reformes qui vont fixer les choix de l'avenir de Djibouti. Le territoire accède à l'indépendance le 27 Juin 1977, mais la pratique de décentralisation connait un temps d'arrêt de 1977 à 1999 suite à la mise en place d'un régime autoritaire car dans l'esprit des dirigeants post-colonial, le commencement de l'État devait aller de pair avec la protection de l'Unité nationale et la légitimation du parti unique . Suite à la guerre civile de 1991-1994, Djibouti s'est lancée dans un processus de décentralisation afin de sortir de crise. L'objectif était de renforcer le multipartisme reconnu comme une nouvelle ère de démocratie, moyen d'expression du peuple, de même que comme technique d'organisation, d'acquisition, de gestion et de dévolution du pouvoir. A l'origine, perçu comme source de divisions, ce dernier a ensuite été vu comme la garantie d'un changement durable et sa diffusion permettait une plus grande participation du niveau local dans la prise de décision et la réalisation de l'intérêt général. Celle-ci s'est cristallisée dans le concept de la « décentralisation » La décentralisation est une méthode de division de pouvoir au sein d'un État unitaire qui rapproche le citoyen du pouvoir de décision et favorise la démocratie de proximité. C'est l'idée de partage du pouvoir administratif consentie par l'État aux collectivités territoriales qui s'administrent librement et bénéficient de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. L'intérêt de la décentralisation pour les autorités djiboutiennes est que la dynamique économique positive (6.5% de croissance en 2016) puisse profiter à l'ensemble du pays et redynamiser les régions. Ainsi et vu l'héritage historique de cette ancienne colonie, le modèle français de décentralisation apparaissant comme le « grand-œuvre » et ayant valeur d'exemple, Djibouti a naturellement adopté ce dernier. Or d'une part, les circonstances varient d'un pays à l'autre, les politiques de décentralisation et les stratégies de mise en œuvre doivent être adaptées au contexte spécifique de chaque pays. D'autre part, la France et Djibouti n'ont ni les mêmes préoccupations, ni le même niveau de développement. Ainsi la principale difficulté du processus de décentralisation à Djibouti en particulier et en Afrique en générale, réside dans la déconnexion des institutions informelles coutumières et les institutions formelles transplantées. Ce qui explique pourquoi le processus de décentralisation est actuellement bloqué, voire dans l'impasse. Jean-William Lapierre affirmait qu' « on ne peut avancer dans la connaissance sans remettre en question ses hypothèses de travail. Le rôle de la critique est d'obliger à le faire.» . Inspirés par cette assertion nous allons, à travers une évaluation, nous interroger sur les difficultés que rencontre le processus de décentralisation à Djibouti. Sachant que ces difficultés sont de plusieurs ordres, juridique, économique, financier, sociogéographique, structurel et surtout politique. Sans oublier d'évoquer les inconvénients du système de décentralisation français suite aux différentes reformes territoriales manquant de « projet territorial global », démontre que la France reste un État centralisé (ou « ré-centralisé »). Ceci étant perceptible à travers la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. Avec les suppressions de la taxe professionnelle, de la taxe d'habitation et la baisse globale des dotations de l'État, les collectivités territoriales manquent de capacités d'initiatives et d'investissement. D'où l'enjeu de la libre administration des collectivités territoriales. Par conséquent, comme l'a énoncé Jacques ABEN , le modèle français pouvait fournir des solutions ponctuelles aux États africains au début mais ce n'est pas un modèle idéal ni une solution à long terme. La création d'un nouveau ministère le 12 Mai 2016, exclusivement réservé à la décentralisation démontre la volonté des dirigeants d'engager le pays vers un processus démocratique et d'affirmation de l'État de droit en mettant en place une véritable redynamisation du processus de décentralisation par une application progressive de ses différents aspects : transfert des compétences et du mode de financement des collectivités locales. Cela s'inscrit dans le cadre des « grands équilibres » prévus par les articles 85 et 86 de la Constitution djiboutienne. Donc, la problématique centrale de notre recherche visera un double objectif. D'une part, identifier les inconvénients du modèle de décentralisation importé, et d'autre part, comment mettre en place un modèle adapté à la réalité locale. Notre but est de démontrer, à travers l'analyse du cadre juridique des lois de décentralisation djiboutienne de 2002 et 2005, que le maintien du système français est inadapté aux évolutions souhaitées pour sortir de l'impasse que connait le processus de décentralisation. Ensuite, nous allons proposer un modèle ad hoc de décentralisation pour sortir de la défaillance de l'inventivité juridique sans avoir la prétention d'être irréfutable ou un modèle pour les autres pays. Le choix d'une telle problématique est lié à l'importance de la décentralisation dans le plus petit pays de la Corne de l'Afrique, seul pays actuellement encore en paix dans cette région, mais aussi à l'intérêt que les populations du monde attachent à la démocratie. Enjeux Malgré une définition considérant le processus de décentralisation comme un système légal, par lequel l'Etat accorde la personnalité morale et l'autonomie financière à une collectivité territoriale pour que l'organe délibérant puisse gérer les affaires locales, le cadre légal djiboutien manque de moyens humains, matériels et financiers pour préciser la notion de décentralisation et pour permettre la détermination des compétences à transférer de l'Etat vers les collectivités territoriales. Par ailleurs, le transfert de compétences et de ressources vers les collectivités est en dessous par rapport aux ambitions affichées car le pouvoir central transfère certaines de ses prérogatives aux collectivités locales tout en essayant de garder la mainmise sur ces dernières en ne les dotant pas « de véritables moyens techniques» pour administrer librement les affaires locales. Le premier enjeu est donc de définir un cadre juridique pour accompagner les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales. Ensuite, comme dans beaucoup de pays d'Afrique, les dotations de l'Etat sont insuffisantes, le recouvrement des impôts et des taxes très faibles et le partenariat avec des collectivités territoriales étrangères dans le cadre de la coopération décentralisée est inexistant et comporte des risques empêchant toute indépendance financière. Il faut donc réfléchir à la mise en place d'une autonomie financière effective, qui ne se résume pas aux seules subventions accordées par l'Etat central. Par conséquent, pour une effectivité de l'autonomie financière des collectivités locales : - L'Etat doit s'impliquer davantage en développant des mécanismes permettant d'améliorer les possibilités de mobilisation des moyens et doit mettre en œuvre des bases juridiques plus solides pour un régime de ressources locales satisfaisant. - Les collectivités locales ne doivent pas se contenter des dotations de l'Etat ; elles doivent nécessairement s'impliquer en mettant en œuvre des solutions plus adaptées, plus originales et donc plus performantes. Les défis que les collectivités locales doivent relever pour relancer un développement local fort se situent alors dans la mise en place d'autres voies d'optimisation de leur ressource mais également dans la gestion financière participative. - Méthodologie Nous venons d'évoquer les obstacles auxquels se heurte la mise en place du processus de la décentralisation à Djibouti, qui est en partie dû à la complexité et aux spécificités des pays africains. Dès lors, notre travail va consister à comprendre les lois de 2002 et de 2005 dans un contexte national et international, en faisant ressortir les inconvénients de ce système français adopté par Djibouti alors que les réalités socioéconomiques, culturels et spatiaux différent. Nous y assortirons des propositions pour sortir du blocage dû aux problèmes mis en exergue à travers la proposition d'un modèle ad hoc plus adapté. Mais nous ne pouvons étudier la décentralisation djiboutienne sans prendre en considération les caractéristiques du modèle français de décentralisation auxquels elle emprunte la plupart de ses critères. Cependant, le sujet exerce une faible attractivité au sein de la doctrine en Afrique subsaharienne et encore moins dans la Corne de l'Afrique à majorité Anglophone. A Djibouti, hormis une thèse portant sur les institutions, aucune autre étude n'a été menée sur la décentralisation. Par conséquent même les reformes sont inspirées par celles en cours en France. Nous allons utiliser la comparaison juridique intégrative, pour chercher un autre modèle de décentralisation et permettant une meilleure prise en compte de la réalité locale. Autrement dit, nous allons étudier d'autres modèles européens, par exemple le modèle Italien, qui se rapproche de celui de la France de par sa forme unitaire et centralisée, avec un régionalisme poussé et des transferts des compétences basés sur des « principes fondamentaux » , des modèles fédéraux (Allemagne), sans oublier la Charte européenne de l'autonomie locale. Nous pourrons nous inspirer de ces droits et prendre des solutions applicables à la réalité djiboutienne pour permettre d'instaurer une réelle redynamisation du processus de décentralisation et ne pas rester dans la transposition pur et simple d'un modèle, sans en avoir mesuré la pertinence et sa possible adaptation au contexte local, et surtout en tenant compte du rôle primordial et central dont jouissent les ethnies à Djibouti. Pour réussir une décentralisation, il faut des textes clairs, prendre en compte ce qui excite pour éviter les conflits entre les reformes misent en place et les institutions informelles dont les populations locales sont familières et enfin comprendre les dynamiques interne de ces dernières.