Responsabilité pénale des forces de maintien de la paix : Rencontre entre le droit international humanitaire et le droit penal, source de souveraineté des Etats
Auteur / Autrice : | Djidjoho Nounawon kékéré |
Direction : | Rodolphe Mesa |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit Public |
Date : | Inscription en doctorat le 04/02/2020 |
Etablissement(s) : | Littoral |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale en Sciences humaines et sociales |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Laboratoire de Recherche Juridique |
Mots clés
Résumé
Sujet : La responsabilité pénale des Casques bleus : Rencontre entre le droit international humanitaire et le droit à la souveraineté pénale des États. 1. Présentement du contexte L'Organisation des Nations Unies (ONU) est l'unique organisation regroupant tous les États du monde. Née des cendres de la Société Des Nations(SDN), l'ONU s'est dotée d'une Charte plus contraignante que le Pacte de la SDN ou le Pacte de Briand Kellogg . Aux termes des dispositions de l'article 2 #4 de la Charte des Nations Unies : « les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.» Depuis l'adoption de cette Charte le 26 juin 1945 et son entrée en vigueur le 24 octobre 1945, le monde a déjà connu plusieurs conflits de natures différentes et multiformes. De guerres civiles au sein des États à l'agression entre deux États en passant par des attaques de groupes de fanatiques extrémistes, l'ONU est confrontée à de nombreux défis pour concilier le respect de sa Charte, (droit international public) aux enjeux politique des États. Pour répondre à sa mission de maintenir la paix au sein et entre les États, l'ONU a mis en place l'envoi de troupes militaires, dénommé, « Casques bleus » pour s'interposer entre les belligérants ou pour leur imposer une décision du Conseil de Sécurité; là, on parle d'imposition de paix. Quel que soit la forme de l'intervention militaire, le but est humanitaire, c'est-à-dire protéger les populations pour éviter les violations massives des droits de l'homme. Nouvel acteur de l'expression de la diplomatie de l'ONU, le Casque bleu intervient dans un environnement très peu codifié par le droit international. Du coup, l'ONU doit relever le défi de trouver à ce nouvel intervenant un statut juridique stable et conforme aux normes internationales. De ce contrat juridique nait les implications de responsabilité de l'ONU en tant qu'institution ou personne morale et l'individu qui incarne la mission de l'ONU sur le terrain. Pour y répondre, l'ONU a inventé plusieurs outils, plusieurs documents notamment le « Statut de la Force » . Chaque intervention militaire ou civile de l'ONU dans un pays en conflit ou en difficulté est aussi l'objet « d'un accord entre le Secrétaire général des Nations Unies et l'État sur le territoire duquel la mission est appelée à se déployer. Cet accord définit le statut des forces internationales au regard du droit et des juridictions locales » . Un autre accord est conclu entre le Secrétaire des Nations Unies et l'État qui fournit le personnel des Casques bleus. Malgré la particularité de chaque mission, certains éléments sont identiques à tous les accords; il s'agit de l'identification des forces, leur liberté de mouvement, les règles relatives aux échanges économiques et financiers, l'emploi de personnel civil sur place. Le respect des lois nationales du pays de déploiement est exigé de tous les fonctionnaires des Nations Unies, qu'il soit en mission de paix ou autres, militaire ou civils. Toutefois, des immunités d'exécution et de juridiction sont généralement prévues au profit du personnel dans l'exercice de ses missions. Il importe de retenir que tous ces accords fixent clairement que les Casques bleus « relève[nt] normalement de la compétence exclusive de [leur] État d'origine en ce qui concerne les infractions au droit pénal commises sur le théâtre des opérations » . Toutes ces précautions sur le statut juridique des Casques bleus ont pour unique objectif de les protéger contre d'éventuelles sources de pression et d'intimidation, mais au fil des années et des missions, certains évènements ont conduit les ONGs, les experts et les universitaires à démontrer les limites et les sources de violation du droit international que représentent ces différents accords ou immunités accordés aux employés militaires ou civiles des missions de paix. De plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer les violations des droits de l'homme commises par les Casques bleus, en occurrence les agressions sexuelles, contre les populations qu'ils sont chargés de protéger. De la mise en place d'accords ou de résolution pour protéger le Casque bleu, la communauté internationale, notamment le Conseil de Sécurité réfléchit depuis peu à protéger les populations contre les violations des droits de l'homme commises par des Casques bleus. L'ONU est partagée entre le respect du droit international humanitaire et le droit à la souveraineté pénale des États, étant entendu que les Casques bleus sont uniquement justiciables du droit pénal de leur pays de provenance. D'où le thème que nous avons choisi à savoir : La responsabilité pénale des Casques bleus : Rencontre entre le droit international humanitaire et le droit à la souveraineté pénale des États. 2. Définitions sémantiques Responsabilité pénale Si la responsabilité pénale est l'obligation de répondre des infractions commises et de subir la peine prévue par le texte qui les réprime, l'interrogation qui s'impose est de savoir si la responsabilité pénale du Casque bleu peut être engagée en cas d'actes commis en violation du droit international humanitaire. Est-ce que le Casque bleu peut être justiciable devant un tribunal pénal international malgré les accords d'immunités juridictionnelle de sa mission? Est-ce que la Cour pénale internationale peut prendre le relais en cas de défaillance de la justice du pays de provenance? Est-ce que le principe de la compétence universelle peut-il s'appliquer aux Casques bleus? Certes, selon les documents actuels de l'ONU, les Casques bleus ne peuvent être poursuivis que devant des tribunaux de leur pays de provenance. Est-ce que cette position viole le droit international humanitaire? Au moment où les fondateurs de l'ONU mettaient en place le droit international humanitaire pour protéger les populations et particulièrement les enfants et les femmes, ils étaient loin d'imaginer que les fonctionnaires de l'ONU chargés de leurs applications, en seront un jour les transgresseurs. Quant au traité de Rome créant la Cour pénale internationale, il n'a pas prévu le cas des Casques bleus et l'esprit de ses règles de procédure ne répondent pas aux cas d'agressions sexuelles commises par les Casques bleus. Cette complexité de l'acteur principal en jeu, le casque bleu, conduit à plusieurs théories et courant de pensée. Nous en avons recensé principalement deux courants de pensée. Les premiers considèrent que les conventions, traités et normes internationales (droit international humanitaire) réprimant les agressions sexuelles dans le contexte des conflits n'ont pas considéré ou n'ont pas pris en compte le nouvel acteur qu'on appelle Casque bleus et que ces conventions ne peuvent pas lui être opposé. Ils considèrent aussi que le Casque bleu, de par sa définition n'est pas non plus un fonctionnaire de l'ONU et que les dispositions du statut des fonctionnaires de l'ONU ne lui sont pas opposables. Ils estiment que le Casque bleu est un nouvel acteur particulier pour lequel il faille créer une nouvelle convention ou une nouvelle norme pour définir son statut pénal. Ce courant de pensée a conduit l'ONU a élaboré des documents spéciaux et spécifiques qui régissent les casques bleus. Aux termes des dispositions de ces documents, notamment du « Statut de la Force», le Casque bleus pénalement responsable d'actes de quelque nature que ce soit, n'est justiciable que des tribunaux de son pays d'envoi. Autrement dit, le Casque bleu ne peut être jugé que par la justice de son pays d'envoi. Le second courant de pensée estime que le premier favorise l'impunité pour casques bleus car les pays fournisseurs sont réticents à juger leur soldat pour diverses raisons. Les statistiques montrent que les cas de jugements interviennent dans un 1/100. De plus la justice conclut à des jugements de non-lieu ou d'abandon de charge pour preuve non suffisantes . À cela s'ajoute la disparité dans la qualification pénale des faits. Les éléments constitutifs des infractions connexes aux agressions sexuelles sont différemment qualifiés d'un pays à un autre. La définition du viol n'est pas la même en Inde qu'au Bénin ou ailleurs. Pour ce courant de pensée, dont le CICR est le porte flambeau, les mesures prises par l'ONU ne permettent pas une vraie réparation durable pour les victimes. Casques bleus Un casque bleu est le nom employé pour désigner un soldat qui uvre dans le cadre d'une opération de paix conduite sous l'égide des Nations Unies . Parfois du personnel non militaire est aussi désigné sous ce vocable, mais dans le cadre de notre travail, nous nous intéressons exclusivement aux casques bleus militaires. Droit à la souveraineté pénale des États La souveraineté pénale désigne le lien intime qui unit la souveraineté et le ius puniendi (droit de punir) dont dispose un État sur ses citoyens. C'est en respect à ce principe intimement lié à la souveraineté que l'ONU conclu des accords d'immunité de juridiction pénale pour les Casques bleus. Au fil des années, ce principe a connu quelques mutations qui ont conduit à la mise en place de tribunaux pénaux internationaux. Les États ont ainsi aliéné une partie de leur souveraineté au profit d'organe extra étatiques pour juger leurs citoyens. C'est le cas du Traité de Rome qui a créé la Cour pénale internationale. Dans le cas des casques bleus, la problématique de la souveraineté pénale des États bloque-t-elle la mise en uvre de la justice pénale internationale ? Est-ce qu'en cas de défaillance de l'État d'origine, le casque bleu peut-il être responsable ou justiciable des tribunaux internationaux ? Autrement dit, la souveraineté pénale des États continue-t-elle de s'appliquer lorsque le casque bleu viole une disposition du droit international qu'il est chargé de protéger et de défendre ? Y a-t-il conflit entre le droit international humanitaire, au nom duquel le Secrétaire général de l'ONU déploie les casques bleus et le droit pénal national des États fournisseurs des contingents ? Dans le cas d'espèce, les casques bleus sont régis à la fois par le droit international humanitaire et le droit pénal national de leur État. Cette rencontre des deux droits ne facilite certainement pas une meilleure applicabilité de la responsabilité pénale des Casques bleus en cas de violation du droit international humanitaire. Face à ces multiples interrogations, il reste à présenter la démarche et le plan qui conduiront l'analyse et le traitement de ces différentes problématiques. Il convient tout d'abord de dire que, dans le cadre de ce travail porte sur la dualité de l'application du droit international humanitaire et la souveraineté pénale des États; il s'agit d'analyser les interactions que cette rencontre fait naître entre les deux branches du droit international public que sont le droit international humanitaire et le droit à la souveraineté pénale des États. Dans le cadre de cette recherche, un effort sera fait pour répertorier et analyser tous les travaux (rapports, comptes rendus ou documents) réalisés par la doctrine et les documents du département des opérations de maintien de paix de l'ONU. Pour élaborer ce travail, les principes des corps de règles qui sous-tendent chaque branche du droit international (droit international humanitaire, droit international pénal et droit à la souveraineté pénale des États) sera visité. Il s'agira de vérifier comment une définition de la responsabilité pénale du Casque bleu ou des conditions de sa mise en uvre peuvent se concevoir et s'énoncer dans le respect de ceux-ci. Cette méthode a pour particularité de vérifier en quoi et comment cette dualité juridique peut se construire ou être élaboré, de façon à s'insérer dans chacun des corpus juridiques déjà en vigueur sans le violer ou sans entrer en contradiction avec lui. Il est vrai qu'en optant pour cette démarche, ce travail consisterait seulement à déterminer les points de non convergence d'un côté et ceux qui conflueraient de l'autre côté et enfin justifier en quoi l'un se retrouve dans l'une des catégories et pas dans l'autre. Ces précisions apportées, il est important de présenter et d'analyser toutes les différentes interrogations nées de la rencontre, dans le cadre de la responsabilité pénale du Casque bleu, de ces deux branches du droit international public que sont le droit international humanitaire et le droit à la souveraineté pénale des États, et dans ce but il conviendra dans un premier temps, d'étudier la nature juridique de la protection dont bénéficie une personne travaillant pour ou sous la bannière de l'ONU, ici le Casque bleu. On étudiera dans un second temps, le conflit ou la complémentarité qui naitrait de la rencontre des deux droits sur les actes d'un même sujet, le casque bleu. 3. Formulation de l'hypothèse de recherche En considérant toutes les interrogations susmentionnées, nous avons formulé notre hypothèse de recherche ainsi qu'il suit. Notre principale hypothèse est : « la responsabilité pénale des casques bleus dépend à la fois du Droit international humanitaire, du Droit pénal international et du droit pénal national découlant du droit à la souveraineté pénale des États. Il ressort de cette hypothèse une autre sous hypothèse : L'impunité quasi pratique dont bénéficie le casque bleu et l'immobilisme de l'ONU trouveraient leur justification dans le conflit ou la dualité entre le droit international, les relations internationales et le droit à la souveraineté pénale des États. Djidjoho Hermann Nounawon Kékéré