Les infractions sans victimes ; analyse de droit comparé franco-américain-mauricien
Auteur / Autrice : | Sabir Kadel |
Direction : | Romain Ollard |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Droit privé et sciences criminelles |
Date : | Inscription en doctorat le 01/11/2016 |
Etablissement(s) : | La Réunion |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences humaines et sociales (Saint-Denis, La Réunion ; 2010-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de Recherche Juridique |
Résumé
L'idée centrale de la thèse sera de déterminer si de telles « infractions sans victimes » ont leur raison d'être en tant qu'infractions pénales (remplissant les conditions légales que doit réunir un comportement pour être incriminé) et si elles méritent de faire l'objet d'un régime juridique autonome eu égard à leurs spécificités. On dégagera pour ce faire les traits caractéristiques de telles infractions, en examinant leurs éléments matériel et moral pour définir leur spécificité par rapport aux autres infractions, ainsi que les causes d'irresponsabilité pénale ou les modes de participation criminelle relatifs à ces infractions. Nous verrons si on peut réellement parler d'infractions « sans victimes », et si on répond par l'affirmative, si le concept même de victime ne devrait pas être modulé, notamment au regard de la notion de « consentement de la victime ». En effet, quand le droit affirme que « le consentement de la victime n'est pas un fait justificatif », il prend déjà position sur la problématique, ce qui fait qu'il n'est même pas besoin de préciser que ce n'est pas un fait justificatif, puisque l'on part du principe que l'un des protagonistes est une victime. En effet, comment une victime pourrait-elle donner son consentement en ne s'extirpant pas, en même temps, de son statut de victime ? On examinera également comment il faut apprécier les notions de « dommage » et de « préjudice » au regard de ces infractions ; et on analysera si le « dommage » du point de vue des infractions contre les personnes, ne devrait pas s'entendre uniquement de l'absence de consentement, en s'attardant notamment sur l'expression du « droit au respect de son intégrité physique ou psychique ». Ainsi, la notion de « respect » n'impliquerait-elle pas, de facto, le fait qu'il n'y ait pas d'infraction en cas de consentement. Après avoir vu qu'aucune de ces notions (dommage, préjudice, consentement) ne permet d'incriminer les infractions sans victimes, nous verrons comment le droit a recours à des concepts comme ceux de « dignité humaine », de « bonnes murs » et « d'ordre public », qui sont les raisons principales avancées pour incriminer ces infractions. Nous verrons également que rien ne semble justifier que le consentement transforme le viol en rapports sexuels licites, mais que le même consentement ne puisse pas rendre légales, par exemple, les activités sadomasochistes. Le seul raisonnement qui semble tenir, c'est que les « gens normaux » ont des rapports sexuels, alors qu'ils n'ont pas de rapports sadomasochistes. De la même façon, en ce qui concerne la prostitution, où les « gens normaux » ne sont pas supposés se livrer sexuellement contre de l'argent, alors même que le boxeur se livre, lui, quitte à mourir sur le ring, toujours pour de l'argent. Ainsi, quand bien même on raisonnerait sur les notions de dommage plutôt que de préjudice concernant les infractions sans victimes, au vu des exemples cités, aucune justification juridique classique ne paraît venir justifier leur incrimination, sinon que le droit tend à une « normativisation » des citoyens, et aspire à bannir tout comportement qui serait en marge de ce pratiquerait la majorité, et ce même en l'absence de préjudice social. Ce qui explique l'application, bien souvent maladroite, de la notion de « dignité humaine » à ces infractions, pour justifier de leur interdiction, alors qu'il semble plutôt être une tentative de l'État d'intervenir dans les conceptions du bien et de la morale des citoyens en imposant la sienne. Enfin, au vu de tous les éléments dégagés, nous nous poserons la question de savoir s'il faudrait réserver un régime spécifique à ces infractions sans victimes, étant donné que les infractions sans victimes, d'un point de vue strictement juridique, ne tomberaient pas dans les catégories suivantes : infractions non intentionnelles, infractions formelles, infractions contre la chose publique, infractions matérielles, au même titre que les infractions dites classiques. La spécificité du régime découlera principalement entre la distinction du dommage et du préjudice, le premier étant une atteinte objectivement constatable et le second étant la lésion d'un intérêt qui résulterait de cette atteinte. Pour ce faire, nous nous inspirerons, entre autres du Model Penal Code américain, des dispositions des Code pénaux allemand et italien, et de l'Homicide Act anglais, le tout gravitant autour de la notion de « bien juridique protégé » dégagée par Xavier PIN. La justification de cette thèse découle des problèmes auxquels la plupart des juridictions sont confrontées pour condamner les auteurs d'infractions sans victime. Un vaste débat a lieu sur le point de savoir si les infractions sans victime ont un effet réel sur la société et sur la manière de les poursuivre pénalement en l'absence d'une victime concrète contre laquelle les infractions ont été commises ou en l'absence d'une partie plaignante et d'une non constitution de partie civile. Par conséquent, il est nécessaire de développer une solide compréhension juridique de la manière dont ces infractions peuvent être poursuivies pénalement du point de vue de l'élément matériel, de l'élément moral et de la responsabilité pénale.