Apport d'un système de conseil à la prescription antibiotique en médecine de premier recours en France

par Tristan Delory

Thèse de doctorat en Épidémiologie

Sous la direction de Pierre-Yves Boëlle et de Florence Tubach.


  • Résumé

    Les antibiotiques permettent de traiter les infections bactériennes. Une conséquence indirecte non souhaitée de cette utilisation, est qu’elle entraîne la sélection de sous-populations de bactéries (multi) résistantes, qui peuvent diffuser de manière silencieuse au sein de l’ensemble de notre écosystème végétal, animal, humain. La majorité des prescriptions d’antibiotiques sont réalisées en soins primaires. Réduire la quantité prescrite ou améliorer la qualité des prescriptions pourrait contribuer à endiguer la diffusion des résistances. Les systèmes d’aide à la décision (CDSS – ‘Computerized Decision Support Systems’) pourraient être utiles à ces fins. Dans ce contexte, le premier objectif de travail a été de décrire l’utilisation d’un CDSS français, nommé Antiobioclic, par les professionnels de santé et de discuter de la généralisabilité de son utilisation dans d’autres contextes ou pays. Nous avons détaillé et conceptualisé le procédé utilisé par Antibioclic pour opérationnaliser les recommandations de pratiques cliniques et analysé les données de connexion à l’outil. Nous avons aussi rapporté le résultat de deux larges enquêtes transversales portant sur le profil des utilisateurs et leurs modalités d’utilisation, y compris l’appropriation de l’outil. Nous avons montré qu’Antibioclic a été développé à l’aide d’une approche systématisée simple visant à transformer les recommandations de pratiques cliniques complexes en recommandations informatisées adaptées à la pratique des soins primaires. Le système est utilisé quotidiennement par environ 5700 médecins généralistes, principalement localisés en Ile-de-France, soit ~10% de l’effectif des praticiens français de cette spécialité. Il délivre des recommandations sur le bon usage des antibiotiques directement au lieu où sont prodigués les soins, principalement pour les infections des voies aériennes supérieures, urinaires et de la peau et des tissus mous (~70% du volume des requêtes). Le niveau d’adoption et de suivi des recommandations produites par le système est élevé. Ces résultats suggèrent qu'il sera possible d’étendre le système à d’autres contextes, d’évaluer l’effet de ce type de système sur la quantité et la qualité de l’antibiothérapie prescrite, ou encore de produire des indicateurs de surveillance des infections bactériennes communautaires. Dans un second travail, nous avons cherché à illustrer cette dernière possibilité, dans le contexte des infections urinaires communautaires, en comparant les résistances observées pour les antibiotiques d’intérêt pour Escherichia coli au travers des systèmes de surveillance existants pour la France (MedQual et EARS-NET), versus celles ayant fait l’objet de requêtes dans Antibioclic/Antibioclic+. Nous montrons que les niveaux de résistance observés dans Antibioclic/Antibioclic+ pour l’amoxicilline, la ceftriaxone, les fluoroquinolones, ou les aminoglycosides sont intermédiaires entre ceux mesurés à partir de la surveillance tout venant des examens cytobactériologiques des urines de ville (MedQual), et ceux mesurés pour les infections invasives (EARS-NET). Les taux observés via le CDSS étant plus proches de ceux des infections invasives, avec un niveau de résistance aux fluoroquinolones pouvant atteindre 20% dans les infections urinaires hautes compliquées. Nous avons aussi montré qu’un gradient de résistance semble s’établir entre les infections urinaires basses non compliquées (cystite simple) et les infections urinaires hautes compliquées (pyélonéphrites compliquées et infections urinaires masculines). L’existence de ce gradient de résistance est d’intérêt car il pourrait conduire à proposer des recommandations différentielles dans le cadre des antibiothérapies probabilistes initiées dans le traitement des infections urinaires communautaires. Enfin nous décrivons un protocole visant à évaluer l’impact du système Antibioclic/Antibioclic+ sur la quantité et la qualité de l’antibiothérapie prescrite en médecine générale.

  • Titre traduit

    Contribution of a computerized decision support system for antibiotic prescribing among French primary care practitioners


  • Résumé

    Antibiotics are used to treat bacterial infections. Their use unfortunately leads to the selection of subpopulations of (multi) resistant bacteria, which can silently spread throughout our ecosystems, including plants, animals and humans. The majority of antibiotic prescriptions are initiated in primary care settings. Reducing the number of prescribed antibiotics or improving the quality of prescriptions could help stem the overall spread of bacterial resistance. To that end, Computerised Decision Support Systems (CDSS) could be useful. In this context, we first describe the use of a French CDSS called ‘Antibioclic’ by healthcare professionals and discuss about its direct or derived use in other contexts or countries. We have detailed and conceptualised the process used by Antibioclic to operationalise the clinical practice guidelines. We also analysed the data on queries made to the tool, as well as the results of two large cross-sectional surveys on the profile of users and their modalities of CDSS use, including the appropriation of the tool. We have shown that Antibioclic has been developed using a simple systematised approach to transform complex clinical practice guidelines into computerised interpretable guidelines, suitable for primary care practice. The system is fully integrated into the daily workflow of about 5,700 general practitioners, mainly located in the Ile-de-France region, which represents ~10% of the French practitioners in this speciality. It delivers recommendations on the appropriate use of antibiotics directly to the point of care, mainly for infections from the upper respiratory tract, the urinary tract and from skin and soft tissue (~70% of the volume of queries). The level of adoption and the uptake of the system is high. These results suggest that it will be possible to extend the system to other settings, to evaluate the effect of such a system on the quantity and quality of antibiotic prescribing. It may also be possible to use system data to produce surveillance indicators for community-acquired bacterial infections. In a second work, we sought to illustrate the latter possibility, in the context of community-acquired urinary tract infections, by comparing the resistance levels observed for the antibiotics of interest for treating Escherichia coli infections, through the existing surveillance systems for France (MedQual and EARS-NET), vs. those observed in Antibioclic/Antibioclic+. We show that the levels of resistance observed in Antibioclic/Antibioclic+ for amoxicillin, ceftriaxone, fluoroquinolones, or aminoglycosides are intermediate between those measured from the all-access surveillance of urine culture in primary care (MedQual), and those measured for invasive infections (EARS-NET). The rates observed via CDSS are closer to those of invasive infections, with a level of resistance up to 20% for fluoroquinolone in complicated upper urinary tract infections. We have also shown that a resistance gradient is existing between uncomplicated lower urinary tract infections (cystitis) and complicated upper urinary tract infections (complicated pyelonephritis and male urinary tract infections). This gradient of resistance is of interest because it could lead to differential recommendations for probabilistic antibiotic therapy initiated in the treatment of community-acquired urinary tract infections. Finally, we detail the protocol we aim at implementing to evaluate the impact of Antibioclic/Antibioclic+ on the quantity and the quality of antibiotic prescribing issued in primary care by general practitionners.