Thèse en cours

Les conversos de la ville de Valence. Prosopographie d'une communauté socio-religieuse à l'automne du Moyen Âge (1391-1482).

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Auteur / Autrice : Guillermo Lopez juan
Direction : Rica AmranFerran Garcia-oliver
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire et civilisations Histoire Médievale
Date : Inscription en doctorat le 17/10/2018
Etablissement(s) : Amiens en cotutelle avec Université de Valence
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale en Sciences humaines et sociales
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : CEHA Centre d'Etudes Hispanique d'Amiens

Résumé

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1- Introduction Le dernier siècle du Bas Moyen-Âge, entre les années 1391 et 1492, est une période décisive pour l'histoire de l'Europe. Après les profonds bouleversements qu'avait connus le continent au cours des décennies du milieu du XIVe siècle, marquées par les pénuries, la peste, les conflits sociaux et les tensions politiques qui débouchèrent sur des affrontements armés, les débuts du XVe siècle furent le théâtre d'une amorce de reprise à tous les niveaux : le développement progressif des routes commerciales entre les deux rives du détroit, le contrôle commercial croissant de l'Afrique du Nord par les puissances chrétiennes méditerranéennes et l'établissement progressif des fondements des futurs états modernes annoncent, tout au long du XVe siècle, les importantes transformations économiques, sociales et politiques qui se consolideront au XVIe siècle. C'est au cours de cette période de changements qu'apparaît la question de la conversion. La haine des juifs avait toujours été latente pendant les siècles médiévaux. Mais c'est le changement de conjoncture au milieu du XIVe siècle qui provoqua cette aversion avec la résurgence des tensions sociales. Les juifs furent, en fait, des boucs émissaires et servirent, en quelque sorte, de digues de confinement entre les « petits » et les « grands ». Dans ce contexte, les sermons anti-juifs incendiaires de Ferrand Martinez, archidiacre d'Écija et vicaire de l'évêque de Séville, exaltèrent la population chrétienne de Séville de telle sorte que, après une tentative infructueuse d'assaut du quartier juif au printemps, ils finirent par déclencher une persecution contre le quartier hébreu le 6 juin 1391. Dans la ville de Guadalquivir, malgré l'énorme violence qui éclatât contre cette minorité, la conversion forcée d'un nombre indéterminé mais élevé de juifs fut beaucoup plus importante pour la postérité que les morts ou les vols qui eurent lieu. Baptisés avec des prénoms chrétiens et membres involontaires d'une communauté qui, la veille, assaillait leurs maisons et assassinait leurs proches, les convertis sévillans ne furent ni les seuls, ni les derniers, à devenir membres de la chrétienté cet été-là : les violences anti-juives se propagèrent très rapidement en Castille et à la Couronne d'Aragon, attaquant successivement les grands quartiers juifs de Valence, de Palma et de Barcelone ainsi que les petites communautés hébraïques des villages de ces trois royaumes. En un été, une grande partie des juifs castillans et la majorité des juifs de la Couronne d'Aragon eurent, du moins officiellement, de nouveaux noms et pratiquèrent une autre religion. Cela ne les rendit pas pour autant indiscernables des autres chrétiens : les préjugés, la discrimination et un puissant sentiment d'altérité persistaient au sein d'une société qui, en quelques semaines à peine, avait vu se briser les frontières entre deux communautés différentes. C'est là que s'articule le projet du doctorant qui, dans cette thèse de doctorat, tentera de dresser le portrait de la nouvelle communauté convertie, dans la ville de Valence, pendant pratiquement tout le XVe siècle. Mais pourquoi étudier un groupe important de personnes qui ont cessé d'être juives et ont donc perdu la particularité religieuse qui les différenciait des chrétiens ? Peut-être parce que les noms changent, mais les préjugés restent. Cette suspicion des anciens chrétiens à l'égard des nouveaux chrétiens se dissipa tout au long du siècle, notamment chez les familles et dans les lignées les plus puissantes, qui mirent en œuvre de très importantes stratégies de reproduction sociale, patrimoniale et d'intégration afin de faire partie rapidement de la chrétienté. L'objectif du doctorant est d'étudier ce processus jusqu'à ce que, relancée par l'Inquisition, la question des conversions devienne une affaire d'État à l'aube de l'ère moderne. 2- État des lieux Les conversions massives entraînèrent, à moyen et long termes, l'impossibilité de distinguer les anciens juifs des anciens chrétiens, générant des tensions et des débats théologiques autour de la question de l'évitement des déviances, du retour partiel ou total au judaïsme et même de la pratique secrète de la religion hébraïque chez les convertis. Les anciens juifs faisant alors partie de la chrétienté, ils pouvaient être traduits devant le tribunal de l'Inquisition s'ils étaient accusés d'apostasie ; raison pour laquelle cette institution fut utilisée dès 1450 en Castille et 1460 dans la Couronne d'Aragon comme moyen de répression de ces tendances. Une grande partie des approches historiographiques de l'étude des convertis de la péninsule ibérique s'est par conséquent concentrée sur le phénomène inquisitoire dans toutes ses dimensions : la véracité ou non des accusations de crypto-judaïsme, les implications économiques de la confiscation des biens des condamnés, les débats théologiques générés par la pratique des inquisiteurs, les études sur l'institution elle-même, etc. En prenant comme point de départ les dernières décennies du XVe siècle, puis en se concentrant principalement sur la dureté de l'action du Saint-Office tout au long du XVIe siècle. En raison de la nature même des sources et des approches méthodologiques de leurs auteurs, ces travaux négligent souvent la dimension sociale de la vie des convertis persécutés par l'Inquisition. D'autres études, qui portent sur le fonctionnement et les logiques internes des communautés de convertis, l'abordent souvent sous un angle tangentiel. Dans le cas de la ville de Valence et de son arrière-pays, l'espace géopolitique sur lequel nous entendons développer ce projet, des travaux monographiques ont été publiés au cours des vingt dernières années, qui étudient la communauté des convertis de manière collatérale, sous des aspects tels que l'action inquisitoriale, le crédit, l'intégration de ses membres au groupe commercial urbain ou à l'industrie de la soie. À ces études monographiques, il faut encore ajouter une multitude d'articles, dont nous ne citerons que quelques-uns, et qui souffrent également de cette approche limitée de l'objet de l'étude. Toute cette production historiographique, pour la plupart de grande qualité, s'accompagne depuis peu de travaux monographiques, tels que l'édition réalisée par José María et Enrique Cruselles sur le recensement inquisitorial de l'année 1506 et une intéressante étude introductive qui met en lumière la population valencienne convertie, maltraitée pendant près de trois décennies après l'action inquisitoriale dans la ville. La nature fragmentaire des connaissances académiques que nous avons sur la communauté convertie de la ville de Valence pourrait bénéficier d'une monographie qui non seulement ferait un résumé complet de cette question, mais élargirait également la base de connaissances sur ce segment de population depuis sa naissance, le 9 juillet 1391. Ceci est précisément l'objectif de notre projet : reconstruire l'histoire de la communauté valencienne convertie sur la base de l'identification et du suivi de ses membres. La chronologie de notre projet couvre la période allant de 1391 à 1482, année au cours de laquelle les inquisiteurs Juan Cristóbal de Gualbes et Juan Orts s'installèrent à Valence, l'Inquisition espagnole étant alors définitivement implantée dans la ville. Le choix de cette date comme limite ultime de notre travail n'est pas un hasard : à partir de cette année-là, la communauté convertie de la ville de Valence subira les persécutions des implacables frères dominicains, qui modifieront non seulement les données démographiques du groupe, mais également , dans de nombreux cas, les activités économiques, les patrimoines et les stratégies de reproduction sociale de ses membres. Nous pensons que la période qui suivit le lancement de l'action du Saint-Office à Valence a fait l'objet d'études plus poussées que le siècle antérieur, et que le siècle précédant l'apparition de l'Inquisition mérite une attention particulière. Une fois la période d'étude établie, le projet poursuit une série d'objectifs bien définis. Le premier est la réalisation d'une analyse prosopographique de la communauté convertie de Valence, afin d'identifier à partir de l'année 1391 le plus grand nombre possible d'individus et de lignées convertis. Cette pratique est particulièrement difficile à partir de l'année 1420, où les convertis cessèrent d'être explicitement identifiés dans les sources, ce qui nécessite de connaître leurs noms et leurs liens familiaux pour pouvoir les détecter. Le deuxième objectif consiste à déterminer quelles étaient les principales activités économiques des membres de cette communauté, dans quelle mesure et dans quelle chronologie ils s'intégrèrent aux réseaux de sociabilité et de solidarité professionnelles typiques de la communauté chrétienne (confréries, corporations) et quelle était l'importance relative que ce groupe avait dans les métiers traditionnellement considérés comme typiques des convertis, tels que les tisserands de soie, les tailleurs, les courtiers et les marchands de tissus, ainsi que leur implication dans d'autres activités économiques telles que le crédit (dans lequel les juifs furent très actifs tout au long du XIVe siècle) ou le marché immobilier. Le troisième objectif consiste à explorer quelles stratégies de reproduction sociale et familiale furent mises en pratique par les membres de la communauté convertie pour survivre dans un environnement qui, après la conversion générale, leur était hostile. Les stratégies matrimoniales, la répartition de la fortune familiale à partir de testaments ou de dons et la collaboration entre les membres d'une même lignée ne sont que quelques-uns des aspects que nous analyserons. Le quatrième objectif consiste à déterminer quel était le degré d'accès des convertis aux cercles de pouvoir et aux institutions politiques municipales et royales. Certains travaux, tels que celui précédemment cité de Rafael Narbona, suggèrent que l'accès des nouveaux chrétiens à la gestion (et à l'exploitation) du gouvernement municipal de la ville fut beaucoup plus rapide que l'on pourrait le penser, c'est pourquoi une analyse en profondeur des stratégies de promotion sociale et de projection politique des lignées les plus puissantes, imitant probablement celles pratiquées par l'ancienne oligarchie municipale, pourraient fournir des informations surprenantes à notre recherche. Enfin, une fois toutes les données et informations possibles collectées, nous étudierions le groupe de convertis à l'aide de la méthodologie sociologique de l'analyse des réseaux sociaux, qui met en évidence les liens entre les individus et permet de transformer des connaissances qualitatives en graphiques à partir desquels il est possible d'étudier l'endogamie au sein de la communauté ou le volume des affaires effectuées à l'intérieur et à l'extérieur de celle-ci. Lorsque les cinq objectifs du projet seront atteints, nous aurons pu élargir les connaissances académiques que nous possédons sur les convertis valenciens, non seulement en reconstituant des trajectoires sociales ascendantes et descendantes, mais également en ouvrant la voie à des travaux futurs dans des chronologies plus avancées. 3- Méthodologie et sources De toute évidence, les premières lignes directrices méthodologiques de ce travail nous renvoient à la méthode historique, consistant en la lecture et l'analyse critique des sources principales, dans le cas présent de nature documentaire, à la fois publiques et privées. La majeure partie de notre documentation provient des riches fonds notariaux conservés à la fois dans les archives du Séminaire du Collège royal de Corpus Christi de Valence et dans les archives du Royaume de Valence, qui contiennent une énorme quantité d'informations sur les activités et affaires privées de la communauté urbaine convertie. Dans une moindre mesure, nous utiliserons également des documents provenant d'écrivains publics, conservés principalement dans les archives du Royaume de Valence, les archives municipales de Valence et les archives de la Couronne d'Aragon, pour déterminer quelle était l'implication des nouveaux chrétiens dans la gestion publique et la politique de la ville. La méthodologie de recherche que nous appliquerons est la méthode prosopographique, l'accumulation du plus grand nombre possible de données biographiques sur différents individus appartenant à un même groupe, pour ensuite élaborer de petites biographies individuelles qui nous permettront à la fois d'élaborer des profils sociaux et d'observer des trajectoires extraordinaires. Cette méthode bénéficie également d'une grande acceptation et d'une tradition dans la ville dans laquelle ce projet sera développé, et sa mise en œuvre a débouché sur des travaux remarquables en termes de qualité et de profondeur. Après la prosopographie, nous procéderons à une analyse sociologique des réseaux sociaux, afin de générer une image claire de la structure sociale générale et de la communauté elle-même, en la stratifiant dans des hiérarchies internes basées sur divers marqueurs de position tels que le niveau de patrimoine familial, le capital social des individus et des lignées ou leur proximité et leur participation aux institutions détentrices du pouvoir politique.