Incertitudes et modélisation de la propagation des coûts indirect du changement climatique via les chaînes d'approvisionnement
Auteur / Autrice : | Samuel Juhel |
Direction : | Fabio D'andrea, Vincent Viguie |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sciences du climat, de l'atmosphère et des océans, terrestres et planétaire |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2020 |
Etablissement(s) : | Université Paris sciences et lettres |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale des sciences de l'environnement d'Île-de-France |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LMD - Laboratoire de Météorologie Dynamique |
établissement opérateur d'inscription : Ecole normale supérieure |
Mots clés
Résumé
Même lorsqu'elle est localisée, une catastrophe naturelle peut entraîner indirectement des pertes économiques dans une zone qui peut être vaste, via les liens commerciaux et les chaînes d'approvisionnement des entreprises. Le coût total de ces pertes indirectes est souvent bien supérieur au coût direct des catastrophes, mais les mécanismes de propagation restent peu connus. C'est l'une des difficultés majeures dans l'évaluation du coût potentiel du changement climatique, et dans la définition de stratégies d'adaptation. L'une des conséquences du changement climatique est l'augmentation de l'intensité et de la fréquence des catastrophes naturelles (Voir le rapport SREX IPCC (2012) ou plus récemment le rapport 1.5°C (IPCC 2018)), et ces catastrophes peuvent avoir un coût très important (Voir par exemple Rapport Moodys (2019) ou le Sigma 2 (2020 SwissRe). Ce coût peut être scindé en deux : le coût lié aux impacts directs des catastrophes sur les biens et personnes ainsi qu'aux pertes d'exploitations conséquentes; et le coût lié aux pertes d'exploitations non consécutives ou indirectes subies par les acteurs en amont et en aval des chaînes économiques du fait de l'impossibilité de s'approvisionner ou de la perte de ses clients. Or si l'évaluation des pertes directes a fait l'objet de nombreuses études, celle des pertes indirectes, plus complexe, a encore peu été étudiée. Pourtant, comme le suggère Dasaklis et Pappis (2013) ou plus récemment, Ghadge, Wurtmann et Seuring (2020) ou Shrughrue et al. (2020) les pertes indirectes peuvent être de grande ampleur, voire supérieures aux pertes directes. La diffusion de pertes économiques via les chaînes d'approvisionnement est par exemple un phénomène très visible, en ce moment, dans un contexte différent, dans le cadre de la pandémie mondiale. Dans un article très récent, Guan et al., (2020) étudient l'impact des mesures de contrôle de la pandémie sur les chaînes d'approvisionnement. Dans leurs conclusions, ils interpellent sur le fait que la propagation des impacts n'est pas toujours intuitive, et sur l'importance de considérer les effets des mesures sur les chaînes d'approvisionnement, qui influencent très largement les retombées économiques. Ainsi, les répercussions en cascade dans l'économie des chocs issus de catastrophes naturelles peuvent pénaliser les différents secteurs économiques à court et moyen terme, en raison des nombreuses interdépendances dans les chaînes de production, interdépendances qui peuvent mener à des problèmes d'approvisionnement temporaires. Il est donc important de mieux comprendre comment et dans quelle mesure ces impacts indirects se propagent, e. g. comprendre quels secteurs sont principalement touchés, à quel point, pendant combien de temps, etc. Répondre à ces questions doit permettre de comprendre quels seraient les effets des mesures d'adaptation/résilience dans ce type de situation, pour identifier les mesures pertinentes, ou évaluer leur coût réel. La configuration infranationale de l'économie joue un rôle important dans la propagation des impacts indirects et il en va de même pour le comportements des secteurs au niveau micro-économique, il est donc essentiel de prendre en compte ces deux aspects dans cette analyse afin de produire des modélisations réalistes. En plus de cela, cette approche permet d'observer l'effet de la mise en place de mesures de prévention, ou lors du rétablissement, au niveau national comme à des échelles plus locales. Ceci permettrait de mieux guider leur élaboration et leur mise en place. Par ailleurs, des études récentes soulignent l'importance d'étudier les impacts de la combinaison de plusieurs extrêmes rapprochés ou répétés (compound events), comme Zscheischler, van den Hurk et al. (2020). Turner et al. (2019) étudient par exemple les retombées de plusieurs impacts du changement climatique en interaction, sur le secteur de l'énergie (effets de vagues de chaleur sur la consommation de climatisation et de sécheresses sur l'hydroélectricité) et en particulier le risque d'insuffisance de production par rapport à la demande. Considérer de tels évènements apparaît comme nécessaire lors de l'évaluation de la résilience. Ce projet de thèse s'intéressera donc à la relation entre la structuration économique locale et les questions de résilience/vulnérabilité en apportant une réflexion quantitative à cette relation. Il se trouve ainsi à l'interface d'un questionnement de recherche de fond et d'objectifs pratiques concernant l'analyse des impacts indirects des catastrophes : Questionnement de recherche : Quels coûts indirects des catastrophes en France dues au changement climatique ? Objectifs pratiques : Calibrer un modèle d'analyse de coûts indirects des catastrophes sur la France et améliorer la représentation des impacts des catastrophes naturelles et des politiques d'adaptation dans ce modèle, ainsi que le fonctionnement microéconomique. Dans ce cadre, ce projet de thèse se propose : I. de calibrer un modèle économique adaptatif d'analyse d'impacts indirects sur la France métropolitaine, II. d'étudier grâce à ce modèle les coûts économique indirects des catastrophes naturelles pour la France, ainsi que l'influence de mécanismes d'aides financières sur ce coût et sur la vulnérabilité, III. de s'intéresser à l'effet de catastrophes à répétition sur les impacts indirects, IV. d'analyser les répercussions d'une transition vers une économie décarbonée sur la résilience aux catastrophes et sur leur coûts indirects. Nous utiliserons pour cette thèse le modèle Disrupt Supply Chain, un modèle récent liant analyse IO, une modélisation par agents et une désagrégation spatiale de l'économie. Le modèle repose sur les travaux de thèse de Célian Colon (Colon, 2016) ainsi que le modèle ARIO (Hallegatte, 2008) et s'intéresse particulièrement aux questions de résilience (Colon, Hallegatte et Rozenberg, 2019). La revue réalisée par Botzen, Deschenes et Sanders (2019) souligne plusieurs pistes à suivre pour la modélisation du coût indirect des catastrophes : Les modèles futurs devraient davantage considérer l'aspect géographique. La modélisation par agents devrait être intégrée dans les modèles existant notamment pour une meilleure prise en compte des décisions à l'échelle micro. Il est important de développer et tester davantage des hypothèses sur les chaînes de causalité par lesquelles les catastrophes affectent l'économie. Nous chercherons donc à suivre ces différentes pistes, notamment sur l'aspect représentation des impacts, en intégrant d'une part les travaux récents sur les liens entre extrêmes météorologiques et changement climatique (Jézéquel 2018, Pfleiderer 2020) et d'autre part en s'inspirant de méthodologies récentes de représentation d'impacts comme Jenkins (2013), qui propose par exemple une quantification de l'impact des sécheresses sur l'économie en Espagne avec le modèle ARIO, ou Mao (2019) qui a travaillé sur les inondations. Par ailleurs la représentation du rétablissement des entreprises à la suite d'un choc dans les modèles IO a fait l'objet de quelques travaux dont nous pourrons nous inspirer. Goldbeck, Angeloudis et Ochieng (2020) proposent par exemple très récemment de prendre en compte les investissement pré et post-catastrophe et en introduisant une représentation des chaînes de réparation en parallèle des chaînes de production. Li et al. (2013) proposent quant à eux une étude du rétablissement de la ville de Londres après une inondation. Nous nous intéresserons également aux interactions entre les coûts indirects des catastrophes et les pertes de productivité chroniques et les évolutions de l'économie liées au changement climatique. Pour cela nous nous appuierons sur les modélisations des modèles IMACLIM du laboratoire d'accueil, qui produisent notamment des tables entrée sortie représentant l'économie dans une économie décarbonée ou sujette à des politiques d'atténuation tel la mise en place d'une taxe carbone. L'objectif sera d'étudier les liens entre adaptation, atténuation et coûts indirects des catastrophes afin de proposer des recommandations sur le sujet. La première année de thèse sera consacrée à la calibration du modèle sur la France et en particulier à la régionalisation des tables entrée sortie nationale. L'année suivante se concentrera sur l'amélioration du modèle et son utilisation pour analyser les coûts indirects possibles selon différents aléas et différentes stratégies d'adaptation. La dernière année de thèse étudiera plus précisément les effets de compound events d'une part, et ceux de différentes trajectoires économiques de long terme, sur les coûts indirects. Le bilan de ce projet de thèse et de l'étude de cas choisie devrait permettre de mieux comprendre les chaînes causales donnant lieu à des perturbations, d'offrir des outils permettant d'évaluer la résilience économique, d'identifier les mécanismes de l'économie augmentant ou diminuant la résilience, en particulier les effets d'une transition vers une économie décarbonée et enfin de proposer des recommandations sur les stratégies à adopter en prévision de l'augmentation en fréquence des extrêmes climatiques. Le CIRED, laboratoire d'accueil, fournira pour cette thèse l'encadrement nécessaire à son bon déroulé, ainsi que l'accès au modèle IMACLIM et à ses bases de données. Une collaboration étroite avec le LMD permettra quant à elle d'apporter des éléments précis sur le régime des extrêmes climatique afin de produire des projections les plus réalistes possible. Par ailleurs cette thèse disposera d'un cadre de recherche transversal, propice à l'étude interdisciplinaire qu'elle propose. Elle s'appuiera ainsi sur des collaborations avec Célian Colon (IIASA) auteur du modèle Disrupt Supply Chain (Colon, 2016) et Michael Ghil (CERES) son directeur de thèse, ainsi que leurs collaborateurs de la Banque Mondiale à l'origine du modèle ARIO et de l'article appliquant le modèle Disrupt Supply Chain à la Tanzanie (Colon, Hallegatte et Rozenberg, 2019). Concernant l'évaluation des risques, des collaborations avec des laboratoires comme l'Urban Risk Lab de l'École des Ponts ou le Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS) également de l'École des Ponts sont envisagées. -------------- Références Botzen, W J Wouter, Olivier Deschenes et Mark Sanders (1er août 2019). « The Economic Impacts of Natural Disasters : A Review of Models and Empirical Studies ». In : Review of Environmental Economics and Policy 13.2, p. 167-188. issn : 1750-6816, 1750-6824. doi : 10.1093/reep/rez004. Colon, Célian (2016). « Modeling Economic Resilience ». Thèse de doctorat. Colon, Célian, S. Hallegatte et Julie Rozenberg (juin 2019). Transportation and Supply Chain Resilience in the United Republic of Tanzania : Assessing the Supply-Chain Impacts of Disaster-Induced Transportation Disruptions. World Bank. Doi : 10.1596/31909. Dasaklis, Thomas K. et Costas P. 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