Interactions entre espèces de tortues d’eau douce natives et exotiques du genre Trachemys dans la Caraïbe insulaire
Auteur / Autrice : | Jeffey mackenzy Paul |
Direction : | Olivier Gros, Etienne Bezault |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Physiologie et biologie des organismes - populations - interactions |
Date : | Inscription en doctorat le 01/12/2020 |
Etablissement(s) : | Antilles |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Dynamique des environnements dans l'espace Caraïbes-Amériques (Pointe-à-Pitre ; 2022-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Equipe de recherche : Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques (Paris ; 2009-....) |
Résumé
Les tortues d’eau douce du genre Trachemys appartiennent à la famille des Emydidae et sont distribués sur le continent Américain (des Etats-Unis au Brésil) ainsi que dans les Antilles, formant des groupes biogéographiques distincts. Dans la Caraïbe, elles sont représentées par quatre espèces endémiques (Trachemys decorata, Trachemys decussata, Trachemys stejnegeri & Trachemys terrapen) et une espèce introduite, la Tortue de Floride, Trachemys scripta. Cette dernière, considérée comme une Espèce Exotique Envahissante (EEE), est suspectée d'avoir un impact négatif sur la biodiversité locale Caribéenne dans son ensemble, par la modification écologique des milieux et des réseaux trophiques dans les milieux dulçaquicoles, ainsi que sur les espèces natives de Trachemys par la compétition et/ou l’hybridation interspécifique. Toutefois, les données quantitatives sur l'impact réel des espèces de Trachemys introduites dans les Antilles font défaut. Dans ce contexte, le présent projet de recherche vise à étudier les populations natives et exotiques de Trachemys sur deux iles de la Caraïbe, Hispaniola et Guadeloupe. L’étude porte sur T. decorata, endémique d’Hispaniola, T. stejnegeri, originaire d’Hispaniola et Porto Rico, puis introduite dans différentes îles de la Caraïbe, possiblement pendant les commerces maritimes entre les iles, ainsi que T. scripta, introduite dans la caraïbe plus récemment via la commercialisation comme animal de compagnie. A cette fin, plusieurs axes de recherche ont été développés. Tout d’abord, le premier axe de ce travail s’attache à faire un état des lieux global de la recherche sur l’herpétofaune de la région. L’étude bibliométrique de l’attention scientifique sur l’herpétofaune endémique terrestre de la Caraïbe a mis en lumière les disparités de recherche entre les territoires insulaires et souligne les différents biais socio-économiques et géographiques influençant l’accès et le développement de la connaissance scientifique dans la région. Ces résultats illustrent l’impact de ces écarts sur la conservation des espèces endémiques et témoignent la nécessité de renforcer l’expertise caribéenne en écologie. Le second axe de ce travail s’intéresse à l’étude de T. decorata en Haïti, comme espèce endémique, vulnérable et peu étudiée dans la région. Une étude pilote de dynamique de population sur T. decorata dans l’Etang Trou-Caïman met en évidence les pressions anthropiques exercée sur le site naturel de l’espèce, corroborés par une forte présence d’individus retrouvés en captivité. Une parité de sex-ratio existant aussi bien en captivité qu’en milieu naturel a été observée chez T. decorata à Trou-Caïman . La fréquence des tortues présentant des lésions et déformations physiques était significativement plus élevée chez les individus captifs que chez les individus capturés dans l’Etang, alarmant sur un problème de bien-être animal en captivité. Basé sur des enquêtes socioéconomiques auprès des pêcheurs de l’Etang Trou Caïman, il a été estimé un niveau de prélèvement annuel supérieur à 1600 individus de T. decorata, ce qui s’avère une pratique non-durable. D’autre part, les résultats d’enquête sur les usages des tortues Trachemys prélevées à Trou-Caïman ont pu mettre en regard l’importance de ces prélèvements avec la forte demande de tortues liée à différents usages dont la consommation, la bijouterie artisanale, le commerce d'animaux de compagnie, le nettoyage des puits, les rituels vaudou et la médecine populaire. Ceci a été complété par des analyses génétiques menées sur la population de T. decorata dans l’Etang Miragoane, en Haïti. L’analyse de gènes mitochondriaux et nucléaires a permis de révéler au sein de cette population l’existence de polymorphisme ancestral, potentiellement issu de deux lignées divergentes, ainsi que de possible signatures d’introgression induites par l’hybridation entre T. decorata et T. stejnegeri. L’ensemble de ces résultats suggèrent ainsi l’existence de transferts de tortues Trachemys spp à l’échelle nationale, dont la mise en contact des deux espèces natives initialement allopatriques, T. decorata et T. stejnegeri, pourrait avoir entrainer des cas d’hybridation. Le troisième axe de recherche s’intéresse à l’impact des espèces exotiques de Trachemys spp sur les écosystèmes des Petites Antilles. En Guadeloupe, les résultats actualisés ont mis en exergue l’influence de l’anthropisation sur la distribution et l’expansion des espèces de tortues aquatiques invasives, avec une forte occurrence des Trachemys, T. scripta et T. stejnegeri. Ces données représentaient une nécessité primordiale de combler des lacunes existantes depuis plusieurs décennies. Nos résultats dans l’ensemble indiquent une forte influence du facteur anthropique, aussi bien en Haïti qu’en Guadeloupe, quant à la dispersion, l’expansion et les usages des tortues Trachemys, suggérant une place non négligeable des tortues dans l’imaginaire social de la Caraïbe. L’ensemble illustre également une vision panoramique de l’état de la recherche dans la région et témoignent de l’urgente nécessité d’acquérir plus de données et de connaissances pour permettre la mise en œuvre d’actions concrètes de conservation adaptés à chaque ile. Une réévaluation du statut IUCN de T. decorata est par ailleurs fortement recommandée en vue de mieux refléter l’état actuel des menaces pesant sur celle-ci.