Thèse en cours

Religion et superstition : la tolérance et la laïcité en question à partir de la philosophie de Spinoza

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Auteur / Autrice : Koffi Abraham Abana
Direction : Pierre Ancet
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Philosophie
Date : Inscription en doctorat le 23/10/2020
Etablissement(s) : Dijon, Université Bourgogne Europe
Ecole(s) doctorale(s) : SEPT - Sociétés, Espaces, Pratiques, Temps
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches

Mots clés

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Résumé

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Notre travail de thèse se propose de partir de la philosophie de Spinoza (telle qu'elle s'expose notamment dans le Traité théologico-politique et dans l'Éthique) pour traiter des rapports entre superstition, politique et religion. Si notre choix s'est porté sur Spinoza, c'est pour plusieurs raisons dont, notamment, la suivante, qui touche à l'histoire et à l'actualité non seulement internationales mais plus spécifiquement africaines. Les réalités contemporaines africaines de la religion, pour ce qui est des dogmes, connaissent une expansion problématique. Les lieux de culte sont devenus de véritables lieux de « business », l'esprit mercantile habite les guides religieux ; et les fidèles en majeure partie ignorants et angoissés sont enclins à la superstition : la superstition est ce fer pesant qui maintient l'homme africain dans la caverne de l'obscurantisme, dans l'inertie du sous-développement, en anesthésiant sa force créatrice. Or la philosophie spinoziste apparaît comme un moyen pour dynamiter ce trouble de l'esprit. Cette philosophie a émergé à une époque où une crise généralisée touchait tous les secteurs de la vie humaine et frappait l'Europe toute entière. Ainsi, Spinoza fut confronté à des questions vives qui retracent une époque intense, et notre investigation tâchera d'expliquer et d'illustrer la vigueur intacte de ses réflexions, et l'importance de sa relecture aujourd'hui. Car le débat sur la religion et la superstition est loin d'être obsolète en ce XXIe siècle. Notre époque est marquée par une crise religieuse qui se manifeste par des pratiques diverses. Ces pratiques sont parfois contraires à la vie humaine au point qu'elles donnent naissance à une crise. Nous nous sommes proposé de mener avec Spinoza un examen critique des rapports entre religion et superstition. On remarque que Spinoza s'oppose à la superstition comme étant un recours à l'irrationnel par le biais de l'imagination. L'homme se livre à des associations arbitraires vis-à-vis de la réalité. La superstition va à l'encontre de la philosophie elle-même. À partir de la raison, on peut comprendre que la superstition nous conduit à l'illogique, l'insensé et à l'absurde. Pour Spinoza c'est parce que nous sommes ignorants, que nous ne connaissons pas notre avenir que nous sommes superstitieux. Il cherche à montrer également que la superstition, les préjugés des théologiens sont néfastes à la fois pour la raison et pour la philosophie. Plus de trois siècles plus tard, les textes de Spinoza sont d'une actualité très brûlante notamment en ce qui concerne le fanatisme religieux de tous bords : aujourd'hui, le fanatisme fleurit toujours, tantôt sous forme de fondamentalisme partisan, religieux, tantôt sous forme de nationalisme, tantôt comme pseudo-religion utopiste sectaire, il embrase régulièrement la vie publique et politique. Dans la préface du Traité théologico-politique, Spinoza montre comment le pouvoir politique et religieux s'accordent pour instaurer la peur chez les individus. Spinoza explique que si les êtres humains pouvaient être sûrs d'être heureux, ils ne cèderaient jamais à la superstition, qui prend sa source dans leurs inquiétudes, leurs craintes et leurs angoisses. Les pouvoirs politiques et religieux s'en rendent bien compte et en profitent. Spinoza est un penseur libre et a connu des esprits libres, rattachés à diverses confessions. On peut le considérer comme un précurseur des pensées de la tolérance et de la laïcité, qu'il nous faudra cependant distinguer. Il faudra également se demander dans quelle mesure on doit le ranger, comme l'a voulu Jonathan Israël, dans la préhistoire des « Lumières radicales ». L'idée de la laïcité n'est pas directement présente dans la théorie spinoziste du rapport de l'État et de la religion ou des religions. Ici, il est nécessaire d'interpréter la laïcité dans un esprit spinoziste si nous voulons, dans l'espace public, une laïcité positive ne se réduirait pas à la tolérance, mais inclurait une libre démarche rationnelle et critique. Le problème de Spinoza c'est la nécessité éthique, politique, et épistémologique d'accorder le droit de la pensée rationnelle à s'exprimer dans nos espaces publics. Avec Spinoza, il s'agit d'une critique négative en même temps positive de la tolérance. Il est clair aussi qu'un État qui exigerait un respect inconditionnel à l'égard des opinions reviendrait à un État qui interdirait de philosopher. Un État qui instituerait comme valeur suprême la tolérance dans le seul domaine épistémologique (d'ailleurs c'est le plus important) conduirait à définir comme intolérante toute pensée critique (confusion de la tolérance et du respect). Il s'agit d'une défense, donc, de la liberté de philosopher, et non d'une défense de la tolérance ; pourtant le Traité théologico-politique est bien aussi, en un sens, une défense de la tolérance. Spinoza dépasse encore cette exigence de la tolérance vers une exigence plutôt « éthique ». De la politique à l'éthique, à l'encouragement à la vertu toute pure, les pensées et affects rationnels ont une chance de ne pas laisser l'espace public aux pensées stupides ou simplistes. Spinoza tente de donner à la raison toute sa place ; notamment, en promouvant une interprétation de l'Ecriture qui soit strictement rationnelle. La critique de Spinoza ne veut rien moins que restaurer l'Écriture dans son authenticité et la religion à sa vraie pratique. Après avoir mis à leurs places respectives la religion et la superstition, nous serons naturellement conduits aux questions connexes mais distinctes de la tolérance et la laïcité. Cependant, la laïcité ce n'est pas l'athéisme. Ce n'est pas l'irréligion. Encore moins une religion de plus. La laïcité ne porte pas sur Dieu, mais sur la société. Ce n'est pas une conception du monde ; c'est une organisation de la Cité. Ce n'est pas une croyance ; c'est un principe, ou plusieurs : la neutralité de l'État vis à-vis de toute religion comme de toute métaphysique, son indépendance par rapport aux Églises comme l'indépendance des Églises par rapport à lui, la liberté de conscience et de culte, d'examen et de critique, l'absence de toute religion officielle, de toute philosophie officielle, le droit en conséquence, pour chaque individu, de pratiquer la religion de son choix ou de n'en pratiquer aucune, le droit de prier ou de blasphémer, tant que cela ne trouble pas l'ordre public, enfin, mais ce n'est pas le moins important, l'aspect non confessionnel et non clérical – mais point non plus anticlérical – de l'école publique. L'essentiel tient en trois mots : neutralité (de l'État et de l'école), indépendance (de l'État vis à-vis des Églises, et réciproquement), liberté (de conscience et de culte) . C'est en confrontant ces trois lectures possibles de la philosophie spinoziste du rapport entre religion, politique et superstition – qui en font un père des pensées tantôt de la tolérance, tantôt de la laïcité, tantôt des Lumières radicales – que nous espérons éclairer notre présent.