Thèse en cours

Des animaux, des machines et des hommes : fonte et refonte des inégalités au fil de l'eau et de l'énergie - 70 ans d'histoire agraire en Inde du Sud semi-aride

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Triangle exclamation pleinLa soutenance a eu lieu le 19/12/2023. Le document qui a justifié du diplôme est en cours de traitement par l'établissement de soutenance.
Auteur / Autrice : Charlotte Hemingway
Direction : Claire Aubron
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Sciences agronomiques
Date : Inscription en doctorat le 01/12/2020
Soutenance le 19/12/2023
Etablissement(s) : Montpellier, SupAgro
Ecole(s) doctorale(s) : Biodiversité, Agriculture, Alimentation, Environnement, Terre, Eau
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : SELMET - Système d'élevage méditerranéens et tropicaux

Résumé

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Depuis l'indépendance de l'Inde, la place de l'élevage a été profondément modifiée par deux révolutions. Avec la révolution verte, l'essor de l'irrigation a bouleversé les systèmes de culture, tant en termes de nature des cultures, de nombre de cycles que d'emprise spatiale des zones cultivées, affectant les disponibilités alimentaires pour les ruminants jusque-là nourris pour l'essentiel au pâturage et à partir de résidus de culture. Les engrais de synthèse, en particulier azotés, dont la consommation ne cesse de s'accroître dans le pays, se sont par ailleurs substitués au moins pour partie aux déjections animales dans la gestion de la fertilité des sols cultivés. De même, la moto-mécanisation de certaines opérations culturales (travail du sol en premier lieu) et de transport des matières agricoles tend à faire diminuer le recours à la traction animale, jusqu'ici constitutive de l'agriculture des zones alluviales comme des plateaux de la péninsule du Deccan. La révolution blanche, quant à elle, a consisté en la mise en place d'un vaste réseau coopératif de collecte, transformation et distribution du lait, qui a contribué au développement de dizaines de millions d'élevages orientés vers la production laitière dans le pays. Les quelques vaches ou les bufflesses qu'ils détiennent se reproduisent pour beaucoup par insémination artificielle et reçoivent une alimentation dans laquelle la part d'aliments distribués tend à s'accroître, notamment sous forme de concentrés achetés. Les bouleversements de l'activité d'élevage ne sont pas uniquement techniques et ont également une composante sociale : dans ces systèmes agraires à l'organisation socio-foncière historiquement très inégalitaire et qui a été peu modifiée par les réformes agraires, l'élevage a pour ainsi dire « changé de mains » depuis 1950. Il tend en effet à être abandonné par les plus grands propriétaires fonciers qui n'en ont plus besoin ou qui trouvent de meilleures opportunités de revenus dans l'agriculture irriguée. Les familles moins bien dotées en terre et en eau – et pour certaines sans terres cultivées – développent à l'inverse une activité d'élevage afin de compléter leurs revenus. On assiste ainsi à une dissociation « socio-écologique » de l'agriculture et de l'élevage, qui prend toutefois de multiples formes et est poussée plus ou moins loin suivant les régions du sous-continent considérées. Ce mouvement, qui commence à être décrit par quelques travaux à l'échelle nationale (Goswami et al., 2017 ; Rajan et Shah, 2018), a été saisi et analysé à l'échelle micro-régionale au cours du projet IndiaMilk dans treize cantons de l'Inde (Aubron et al., 2019a). Si ses conséquences en termes de développement économique ont été étudiées dans ce même projet, un champ de recherche reste à instruire en matière d'évaluation environnementale. Les premiers travaux réalisés – consommations d'énergie fossile et émissions de gaz à effet de serre dans huit fermes d'élevage contrastées (Vigne et al., 2019) et reconstitution des flux d'azote à l'échelle d'un village (Aubron et al., 2019b) – suggèrent que les fortes consommations d'intrants de l'agriculture indienne et la dissociation agriculture élevage sont problématiques pour l'environnement. A l'heure où l'intégration agriculture élevage est présentée comme un axe majeur de renforcement de la durabilité de l'agriculture (Thornton et Herrero, 2001 ; Lemaire et al., 2014 ; Salton et al., 2014), poursuivre ces travaux dans l'un des plus grands pays d'élevage du monde apparaît essentiel. A l'échelle d'un canton de l'Inde, la thèse s'attèlera à répondre aux questions suivantes : quelles sont les transformations du métabolisme territorial induites par les révolutions successives de l'Inde ? Quelle est la place de l'élevage dans ces transformations ? Quelles sont les conséquences environnementales de ces transformations ? Le métabolisme territorial comprend les flux de matière, de nutriments, d'énergie au sein du territoire et avec l'extérieur (Nghiem, 2005 ; Barles, 2007). Une attention particulière sera portée au rôle des différents types de fermes dans ces flux, de manière à rendre compte de l'organisation socio-foncière spécifique de l'Inde et à alimenter les travaux sur la diversité sociale dans les évolutions des relations homme environnement (Fabinyi et al., 2014 ; Stojanovic et al., 2016 ; Gizicki-Neundlinger et Güldner, 2017). Le choix de l'échelle micro-régionale est justifié par le fait qu'il permet à la fois de saisir les pratiques agricoles, notamment en matière d'élevage (par exemple détail des opérations culturales réalisées à la traction animale), et les relations sociales (par exemple échanges de fumure ou flux de main-d'œuvre), de manière beaucoup plus fine qu'en travaillant à l'échelle d'une région ou d'un pays. Le canton étudié pourrait être Gundlupet, dans l'Etat du Karnataka, où un observatoire piloté par l'Indo-French Cell for Water Sciences rattaché à l'Indian Insitute of Sciences fonctionne depuis plus de dix ans. Concernant l'approche historique, de nombreux travaux, y compris sur le métabolisme territorial à différentes échelles (Billen et al., 2009 ; Kovanda et Hak, 2011 ; Krausmann et al., 2011 ; Bonaudo et al., 2016 ; Soto et al., 2016), s'accordent sur le fait qu'elle constitue un moyen de mieux comprendre les situations actuelles et de réfléchir aux perspectives d'évolution. Le pas de temps considéré dans la thèse – entre quatre et six décennies suivant l'époque de démarrage de la révolution verte dans le territoire d'étude choisi – est justifié par les profonds bouleversements qu'a connu l'activité d'élevage depuis lors, et les effets associés sur le fonctionnement du territoire, qui pourront être ainsi étudiés précisément. Le travail de recherche doctorale sera organisé en trois grandes étapes : (i) compréhension des transformations du métabolisme territorial et de la place de l'élevage dans ces transformations (caractérisation de la situation avant la révolution verte, identification et explication des différentes étapes de transformation, caractérisation de la situation actuelle) ; (ii) représentation du métabolisme passé et actuel (types de fermes impliquées, pratiques agricoles et d'élevage, flux de matière et d'énergie qui en découlent) ; (iii) évaluation comparée de ces métabolismes, notamment en termes d'impacts environnementaux locaux et globaux, avec des indicateurs adaptés à définir (par exemple bilan de nutriments et efficience de leur utilisation, consommations d'énergie, empreinte hydrique, bilan carbone, émissions de gaz à effet de serre…). En termes de méthodes, la thèse combinera une analyse agronomique des pratiques dans une approche d'agriculture comparée (Cochet et Devienne, 2006 ; Cochet, 2015 ; Lacoste et al., 2016 ; Aubron, 2019) et différentes méthodes d'évaluation environnementale (Brohmann et al., 2002 ; Audouin, 2014 ; Vigne et al., 2013). La perspective historique adoptée la rapprochera des travaux conduits en Long-term socio-ecological research (Krausmann, 2004 ; Fischer-Kowalski et Haberl, 2007 ; Garcia-Ruiz et al., 2012 ; Grillot et al., 2018 ; Guzmán et al., 2018 ; Le Noë et al., 2018 et 2019), dont les cadres d'analyse pourront être adaptés à la problématique de la thèse. Une différence importante avec ces travaux est la moindre profondeur historique de la thèse (les travaux cités remontent pour certains jusqu'au XIXe siècle, ou au début du XXe). Cela permettra, à l'aide des méthodes de l'agriculture comparée, de saisir et de reconstituer le fonctionnement des systèmes agricoles passés par le biais d'enquêtes et d'observations (Aubron et al., 2016), et pas seulement via la consultation de données d'archives existantes. L'ensemble pourrait déboucher sur un travail de construction et d'évaluation de scénarios d'évolution du métabolisme territorial dans le futur.