Thèse en cours

Poetique du bricolage dans la fiction narrative de Percival Everett

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Auteur / Autrice : Ivo Janjusevic
Direction : Anne Ullmo
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Littérature Comparée
Date : Inscription en doctorat le 09/10/2019
Etablissement(s) : Tours
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Humanités et Langues (Centre-Val de Loire ; 2018-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Interactions culturelles et discursives (Tours)

Mots clés

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Résumé

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L'objet de cette thèse sera d'explorer la manière dont la fiction de l'écrivain américain Percival Everett met en œuvre ce que nous appellerons une « poétique du bricolage ». Il s'agira d'analyser ce qui, dans sa fiction narrative, relève du potentiel mytho-poétique du bricolage, pour reprendre les termes de Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage ; à mi-chemin entre l'art et la technique, les percepts et les concepts, le signifiant et le signifié tels que les conçoit Saussure, le bricolage s'entend également dans sa fonction médiatrice de signe. Il s'agira d'analyser les rapports de disjonction entre les textes de Percival Everett et les matériaux hétérogènes qu'ils incorporent. Se posera alors la question du sens et de la matérialité de la langue qui se fait corps pour embrasser le monde. Professeur de théorie littéraire à l'Université de Californie du Sud, mais également peintre et musicien, Percival Everett est un auteur américain contemporain dont l'œuvre prolifique et hétérogène comprend une trentaine d'ouvrages, principalement des romans mais également des recueils de poèmes et de nouvelles. Bien qu'il se défende d'écrire autre chose que de la fiction, c'est à une réflexion sur la nature de la langue que cet admirateur de Wittgenstein nous invite. Wittgenstein, dont la notion du langage comme « boite à outils » imprègne ces récits fragmentaires et hétérogènes qui n'en finissent pas de mettre à mal le code herméneutique. Projets en apparence hermétiques, les récits de Percival Everett semblent contenir tous les genres, toutes les formes scripturales, tous les arts et en appellent à l'histoire et à la philosophie sur un mode intertextuel aux variations infinies. Le palimpseste devient alors un jeu où le lisible devient illisible pour laisser sa place au visible : entre allusions, pastiches, dessins et graphiques, le bricolage a maille à partir avec le jeu, tour à tour figuré par l'enfant surdoué de Glyphe ou par le bourreau taquin aux digressions philosophiques de Le supplice de l'eau. Un jeu qui donne à voir la langue comme un assemblage de briques aux combinaisons inattendues. La notion de bricolage peut être transposée aux hyper-narrateurs d'Everett, dont la présence intrusive éloigne la figure de l'auteur tout en mettant l'accent sur la construction narrative en tant que travail manuel. Bricolage et travail manuel sont par ailleurs thématisés et l'on ne compte plus les modes d'emploi et autres petits traités touchant à des domaines aussi variés que la pêche ou la menuiserie qui opèrent comme un ancrage tout à la fois pragmatique et hyperréaliste. Dans la confrontation entre l'hyperréel et le fantastique, fiction et réalité s'imbriquent en effet pour aboutir à des scènes dont la nature surréaliste rapproche encore cette fiction labyrinthique de la poétique du bricolage mise en œuvre par les mouvements modernistes. C'est au surréalisme et à sa dimension insurrectionnelle que Percival Everett fait appel pour tourner en dérision les certitudes formelles et les binarités constitutives de la culture occidentale. Une culture dont les piliers – morale, religion, catégorisations abusives ou formalismes théoriques – cèdent le pas à la logique alternative des rêves et de l'inconscient. Ces formalismes, la fiction de Percival Everett en fait ironiquement sa matière première en incorporant sa propre déconstruction, tout en discréditant les maîtres à penser de la French Theory, vénérés par certains des personnages et dont les préceptes sont discrédités à la faveur de superpositions parodiques. Difficile, alors, d'aborder de front avec les outils usuels de la critique littéraire des textes qui citent Derrida, Barthes ou Wittgenstein de telle façon qu'ils en ressortent exsangues. Le sentiment d'absurde est trop puissant pour que l'on puisse prétendre à autre chose qu'à une vision de biais, à des outils critiques eux-mêmes bricolés qui puissent, sans le déstabiliser, donner à voir et à entendre l'astucieux jeu de construction que sont ces fictions ludiques. Mais le caractère ludique de ce bricolage dissimule la tragédie d'une société américaine imprégnée de stéréotypes raciaux dont Everett ne cesse de démonter les rouages invisibles ; une invisibilité qui renvoie au roman d'Ellison Homme invisible, pour qui chantes-tu ? dont le protagoniste anonyme a inspiré les personnages everettiens, aux noms-palimpsestes. Pris au piège d'une culture absurde qui perpétue un exotisme nauséabond aux relents esclavagistes, ces (anti-)héros se sentent impuissants face à une folie dont Everett exploite les ressorts parodiques. Plus qu'un simple jeu, le bricolage textuel et ses effets de collage, d'assemblage, ses dispositifs complexes et son hybridité constitutive sont le ferment d'une satire acerbe aux accents surréalistes qui, en « défamiliarisant » le réel, en souligne à la fois l'absurdité et les potentialités créatrices. Le bricolage est alors, pour les protagonistes comme pour l'écrivain, l'unique moyen de survie.