Thèse soutenue

Victimes en tant qu'hommes ? La construction victimaire des hommes qui dénoncent des violences au sein du couple

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Auteur / Autrice : Auréliane Couppey
Direction : Yannick Barthe
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 12/12/2024
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Janine Barbot
Examinateurs / Examinatrices : Janine Barbot, Solenne Jouanneau, Jean-Noël Jouzel, Pauline Delage, Mélanie Gourarier
Rapporteurs / Rapporteuses : Solenne Jouanneau, Jean-Noël Jouzel

Mots clés

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Mots clés contrôlés

Résumé

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En considérant la condition de victime comme le résultat d’un processus collectif, cette thèse veut mettre au jour la manière dont les hommes interrogés « deviennent » victimes de violences au sein du couple. En effet, à une époque où les violences au sein du couple ont été publicisées et où prédomine un cadrage féministe qui inscrit ces violences dans le problème plus large des violences faites aux femmes, comment un homme en couple (ou ayant été en couple) avec une femme en vient-il à se dire victime de violences conjugales, à désigner sa partenaire ou ex-partenaire comme étant l’autrice de ces violences, et à demander à être reconnu comme victime ? Et ce même lorsque cet homme a exercé des violences et a été condamné pour cela ? Pour le comprendre, au fil des entretiens effectués avec cinquante-quatre hommes qui ont contacté des associations d’aide aux victimes masculines (Help Hommes Maltraités et Aidons les Hommes Maltraités), nous nous sommes intéressée à la manière dont les enquêtés se pensent, dont ils pensent la condition de victime, les violences subies et exercées. Que signifie subir une violence ? Ressentir de la souffrance équivaut-il à avoir vécu des violences ? En approfondissant dans le détail la prise de conscience des violences et l’établissement des liens de causalité, nous avons pu observer la mise au jour du préjudice, et le rôle central des tiers auxquels s’adressent les hommes afin d’obtenir soutien et conseils. Nous avons également analysé la production des perpétrateur·rice·s. L’ex-conjointe d’abord, souvent pathologisée, caractérisée comme déviante, et coupable d’avoir une intention de nuire dévorante, ce qui nous a amené à réfléchir sur les dynamiques contemporaines de la responsabilisation. Cette réflexion a été approfondie en portant notre attention sur l’autre perpétrateur, l’État, au travers des parcours judiciaires des enquêtés. Qu’ils aient engagé des démarches judiciaires ou qu’ils aient été accusés de violences, les hommes interrogés dénoncent un traitement étatique biaisé en faveur des femmes, et estiment vivre des formes de violences de la part de l’État. L’État, ordinairement responsable politique, devient responsable causal. En montant en généralité, les hommes interrogés en viennent à dénoncer un rapport de genre dans lequel ils seraient les « nouveaux » dominés. Le développement d’un style de pensée conservateur, dans sa déclinaison masculiniste, s’accompagne d’une dénonciation des mouvements et luttes féministes contemporaines et de la demande d’un retour en arrière, à une société perçue comme plus juste. Ce discours masculiniste aboutit à former une catégorie d’hommes victimes des femmes, de l’État et des mouvements féministes. Cela influe sur quelle personne peut devenir victime : les femmes sont en permanence soupçonnées d’avoir provoqué leur compagnon et d’être responsables des violences qu’elles subissent. Dès lors, tous les hommes, y compris ceux ayant exercé des violences meurtrières, peuvent devenir victimes de leur partenaire ou ex-partenaire. Pour autant, le développement de cette pensée conservatrice se heurte à l’individualisme égalitaire qui prévaut dans la société contemporaine. Les enquêtés oscillent à divers moments entre des formes conservatrices et individualistes de victimisation et de responsabilisation, et ne peuvent complètement se départir de la référence à l’égalité homme-femme, y compris lorsqu’ils en viennent à la critiquer.