Les charmeurs d'oiseaux. Modalités d'action, techniques du corps et relations interspécifiques dans les pratiques 'traditionnelles' d'oiselage dans les Landes
Auteur / Autrice : | Léa Filiu |
Direction : | Charles Stepanoff |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Anthropologie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/09/2019 |
Etablissement(s) : | Université Paris sciences et lettres |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École pratique des hautes études |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LABORATOIRE D'ANTHROPOLOGIE SOCIALE |
établissement opérateur d'inscription : École pratique des hautes études (Paris ; 1868-....) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
Sur fond de crise écologique et de mondialisation culturelle, les « chasses traditionnelles », comme les appelle le droit cynégétique français actuel, sont régulièrement placées sous le feu de la critique sociale et morale, mettant en évidence un conflit cosmologique de grande ampleur concernant la place de l'être humain par rapport au vivant. A partir de la comparaison des chasses landaises à l'ortolan à la matole, à l'alouette à la matole et aux pantes et de la palombe aux pantes, auxquelles s'ajoute à titre de comparaison la chasse de la palombe au fusil en palombière, cette thèse se propose de faire un pas de côté et d'investir plusieurs méthodes de collecte de données (observation participante, entretiens semi-directifs, questionnaires systématiques à visée statistique, archives historiques) pour comprendre ce qu'impliquent concrètement ces pratiques de capture d'oiseaux sans armes dans la relation des oiseleurs au vivant. Beaucoup d'oiseleurs contemporains aiment à considérer que « les chasses traditionnelles, c'est un mode de vie, notre mode de vie », nourrissant un puissant sentiment d'autochtonie. Au-delà de telles revendications identitaires, il s'agit de s'interroger surtout sur les changements sociétaux de modes de vie, notamment à travers les évolutions contemporaines de la ruralité et des modes de subsistance. Les relations homme-animal-végétal y tiennent une place importante, et sont analysées à l'aune des savoirs, des savoir-faire et des relais de leur transmission, tant sur le plan des techniques, des techniques du corps (Mauss 1950) que des régimes d'imagination (Stépanoff 2019) impliqués par l'oiselage. La fascination incontrôlable que tous les oiseleurs disent éprouver pour la migration aviaire, en l'absence de toute arme, se traduit par une logique cynégétique d'action fondée sur la séduction éthologique des oiseaux en migration et met en jeu des schèmes cognitifs spatiaux (Levinson 2004 ; Danziger 2010) et des capacités projectives qui dépassent la seule dimension terrestre et mammifère de l'oiseleur. Sur le plan pragmatique, la séduction des oiseaux migrateurs repose sur une « prédation familiarisante » (Fausto 2000) qui attribue à certains oiseaux capturés un statut singulier d'oiseau auxiliaire en tant que leurre-leurré-leurrant. Dotés d'un prénom, nourris quotidiennement, abrités au sein même des espaces domestiques des oiseleurs, souvent dressés, parfois élevés, ces oiseaux familiers ne sont jamais ni tués, ni mangés, à rebours des oiseaux capturés pour être transformés en gibier à manger. L'acte de la mise à mort, qui se fait systématiquement à la main, implique des émotions contrastées qui exacerbent le dilemme moral de la figure bifrons de l'oiseleur en tant que charmeur d'oiseaux à double entente. L'intégration des oiseaux chassés dans un giron social humanisé passe ainsi par deux modalités d'action différenciées quoiqu'interdépendantes : un attachement réciproque des oiseaux auxiliaires apprivoisés d'un côté, et la métabolisation cérémonielle des oiseaux chassés pour être mangés de l'autre. Partant, l'oiselage s'inscrit dans une convivialité (Illich 1973) fondée à la fois sur une cohabitation entre humains et oiseaux auxiliaires, sur un lien intime et gestuel au terrestre nourricier et sur une remise en cause concrète de la segmentation industrielle qui oriente nos modes de subsistance « modernes » et invisibilise la mort qui nous nourrit. Cette convivialité, en se chargeant d'une telle dimension politique, s'inscrit dans le prolongement direct du statut historiquement ambigu de ces pratiques, constamment placées à la marge subordonnée (Scott 2019) des hiérarchies socio-symboliques et des rapports de pouvoir depuis l'Ancien Régime. La convivialité plurielle de l'oiselage met ainsi en évidence un rapport cosmologique au vivant qui bat en brèche la division tranchée de la « nature » et de la « culture », caractéristique des cadres naturalistes du monde occidental contemporain (Descola 2005).