La mission militaire allemande en Roumanie (1940-1942)
Auteur / Autrice : | Loïc Bonal |
Direction : | Martin Motte |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire militaire, défense et sécurité |
Date : | Inscription en doctorat le 31/08/2019 |
Etablissement(s) : | Université Paris sciences et lettres |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École pratique des hautes études (Paris) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Histoire de l'art, des représentations et de l'administration dans l'Europe moderne et contemporaine (Paris) |
établissement opérateur d'inscription : École pratique des hautes études (Paris ; 1868-....) |
Mots clés
Résumé
La mission militaire allemande en Roumanie a joué un rôle crucial dans la préparation de l'agression allemande perpétrée contre l'URSS le 22 juin 1941 et dans la capacité du Reich à durer lors de ce conflit de proportions titanesques, jusqu'au printemps 1945. Déployée à partir d'octobre 1940, elle a été un acteur majeur dans l'établissement, l'approfondissement puis le maintien d'une relation de partenariat stratégique entretenue entre le Reich allemand et le royaume de Roumanie jusqu'à la fin du mois d'août 1944, lorsque le second abandonne la coalition de l'Axe pour entrer en guerre aux côtés de l'URSS. En dépit de ce rôle déterminant dans des relations bilatérales estimées vitales par l'un comme pour l'autre de ses deux membres, la mission militaire allemande en Roumanie reste un sujet d'études délaissé par les historiens qui privilégient comme champ d'étude les dimensions purement politiques, idéologiques ou militaires du nazisme, peinant le plus souvent à les articuler entre elles ; ou bien la Roumanie comme objet d'investigation décorrélé des influences extérieures pourtant essentielles qui se sont exercées sur ce petit pays balkanique. Une telle relégation de la mission militaire allemande dans ces zones de clair-obscur de la grande Histoire paraît hautement imméritée au regard : a) de l'importance qu'elle revêt dans le développement très poussé des relations diplomatiques germano-roumaines nouvelles initiées par le général Antonescu dès son accession au pouvoir en septembre 1940 ; b) du pragmatisme qu'elle révèle dans les orientations stratégiques du Reich, souvent considérées comme aléatoires ; c) des capacités au partenariat militaire opérationnel de la jeune Wehrmacht ainsi que son adaptation aux actions de formation multinationales qu'elle illustre. Par ailleurs, au-delà de l'intérêt avéré de mieux connaître le rôle de cet acteur secondaire aux actions si conséquentes, les raisons qui ont présidé à la mise en place et au déploiement en Roumanie de cette mission militaire ainsi que son action une fois à pied d'uvre au sein du royaume danubien ne peuvent se comprendre qu'à l'aune de plusieurs facteurs concomitants qui explicitent tant le choix roumain de se tourner vers l'Allemagne nazie contre les alliances traditionnelles du royaume que celui de Berlin d'envoyer une telle mission aux effectifs particulièrement significatifs : 1) la situation très précaire de la Roumanie sur les plans intérieur et extérieur à la fin des années 1930 et en 1940. La stabilité et le cours normal des institutions sont alors altérés par le mouvement d'inspiration fasciste, antisémite et ultranationaliste de la ''Garde de fer'', tandis que ses frontières sont directement menacées par les appétits révisionnistes de la Bulgarie, de la Hongrie et de l'URSS. Cette situation rend crédible tant l'éventualité d'une crise profonde de régime que celle d'un conflit régional. La Roumanie se tourne à l'été 1940, après l'effondrement français et l'expulsion des Britanniques du continent, vers la seule puissance capable de garantir son intégrité contre de telles menaces ; 2) l'importance décisive que représente pour l'effort de guerre allemand le pétrole roumain. Celui-ci est en effet le seul produit naturellement en mesure d'irriguer les besoins industriels et économiques sans cesse plus exigeants du Reich, dans une mesure bien plus importante que le pétrole soviétique exporté par l'URSS dans le cadre du pacte Molotov-Ribbentrop. La sécurisation de ces ressources stratégiques cruciales apparaît comme une priorité éminente des décideurs allemands, au premier rang desquels Hitler dont l'intérêt pointilleux pour les questions économiques et énergétiques est bien documenté. La libre disposition du pétrole roumain et la sécurisation des flux qui approvisionnent l'Allemagne sont donc des raisons déterminantes de l'engagement direct des Allemands en Roumanie, ainsi qu'un rouage essentiel dans l'explicitation du mécanisme qui a amené l'Allemagne nazie à agresser l'Union soviétique en juin 1941 ; 3) le glissement stratégique opéré par Hitler à l'été 1940, qui modifie contre toute attente la priorité donnée à l'Ouest et à la guerre contre le Royaume-Uni au profit de celle portée à l'Est et aux Balkans, en anticipant une guerre d'agression contre l'URSS dès le printemps 1941. Tant la base d'attaque idéale constituée par la Roumanie, située face à l'Ukraine, que l'armée roumaine, apte à jouer la supplétive de la Wehrmacht, sont considérées comme des éléments de nature à faciliter les opérations allemandes contre l'Armée rouge, bien que dans le même temps le royaume danubien et ses ressources pétrolières constituent également une vulnérabilité critique qu'il convient de défendre militairement à tout prix contre une réaction soviétique. Ces aspects influencent les réflexions et les décisions des planificateurs allemands lorsqu'ils mettent au point le plan d'opération pour ''Barbarossa'', dans une mesure qui mérite d'être réévaluée. La mission militaire allemande en Roumanie est donc le vecteur d'une réappropriation de la place réelle du royaume danubien sur l'échiquier régional, balkanique, et dans la grande fresque du second conflit mondial avec pour conclusion que celle-ci est largement sous-estimée, au moins dans le cadre européen. Considérée comme la solution aux problèmes stratégiques posés par la situation intérieure de la Roumanie ainsi que par la donne régionale et internationale nouvelle induit par les choix hitlériens, elle a en outre été la cheville ouvrière méconnue mais déterminante de la génération de forces qui a permis à l'Allemagne d'envahir simultanément la Yougoslavie et la Grèce en avril 1941, dans une double opération dont la fulgurance du succès n'a d'égale que la complexité de sa phase préparatoire. Base arrière et pilote de la constitution de la force ''Marita'' en Bulgarie puis de la force ''25'', elle a là encore joué un rôle de l'ombre ô combien décisif au vu des résultats stratégiques de ces deux offensives allemandes. De manière plus limitée, elle y a d'ailleurs contribué en engageant sous son autorité propre des moyens militaires au combat afin d'assurer la libre circulation du Danube dès le début des hostilités avec la Yougoslavie. Enfin, elle a aussi permis l'implication de la Roumanie dans la grande guerre germano-soviétique débutée le 22 juin 1941. Celle-ci a été suffisamment importante pour que la Roumanie soit considérée comme le troisième partenaire de l'Axe (derrière l'Allemagne et le Japon mais devant l'Italie) par certains auteurs, et que son armée participe significativement à des épisodes aussi importants pour le sort de la guerre germano-soviétique que le siège d'Odessa, la conquête de la Crimée ou la bataille de Stalingrad. Si le sujet de l'armée roumaine au combat bénéficie de publications de qualité, aucune ne met en valeur l'impact de la formation dispensée par la mission militaire à plusieurs grandes unités de l'armée royale, et rares sont celles qui évoquent le rôle de conseil qu'elle a joué par le biais de ses détachements de liaison (Deutsche Verbindungskommandos) jusqu'en 1943. Il est généralement admis que l'armée roumaine s'est pauvrement comportée au feu, comme le prouveraient les exemples d'Odessa à l'été et l'automne 1941, puis de la débâcle des Armate 3 et 4 sur les flancs de la 6. Armee allemande engluée dans Stalingrad en novembre 1942. Il reste toutefois à considérer dans quelle proportion l'instruction et le conseil apportés par la mission militaire allemande aux unités roumaines impliquées dans la lutte à mort entre la Wehrmacht et l'Armée rouge leur furent profitables, c'est-à-dire si la raison d'être officielle qui a présidé à son déploiement se justifia de manière satisfaisante. À ces éléments, fruit d'un contexte très riche et mouvant, dont chacun des aspects mériterait une étude séparée, il convient d'ajouter enfin qu'il s'agit de la seule mission d'assistance opérationnelle pensée, planifiée, organisée et menée à bien par la Wehrmacht entre 1935 et 1945, possédant un volume et une cohérence initiale dont même la fameuse Legion ''Condor'' n'avait pas bénéficiés lors de son engagement en Espagne entre 1936 et 1939. On remarquera pourtant que cette dernière fait l'objet de publications autrement plus nombreuses que la mission militaire en Roumanie. À une époque où les armées occidentales se convertissent majoritairement à ce type d'action indirecte, s'appuyant sur des forces supplétives locales pour agir efficacement au niveau politico-stratégique, il paraît intéressant de donner l'exemple des choix réalisés en la matière par une armée allemande alors au sommet de son art et de ses victoires, entre l'effondrement de la France et les combats acharnés pour la possession d'une grande ville industrielle sur les bords de la Volga. Cette étude bénéficie de sources primaires inédites qui présentent un intérêt majeur pour la recherche. Ce sont principalement les archives tirées du fonds allemand de la National Archives and Records Administrative américaine : journaux des marches et opérations des différents départements de la mission militaire ; ceux des grandes unités impliquées dans la formation de l'armée roumaine ; correspondances avec les états-majors berlinois, etc. en tout quelques 28 000 pages microfilmées en 1945. S'y ajoute une bibliographie étendue, patiemment constituée, comprenant en particulier les notes quotidiennes prises par le chef d'état-major de l'armée de Terre allemande, Franz Halder (Kriegstagebuch: Tägliche Aufzeichnungen des Chefs des Generalstabes des Heeres, 1939-1942) ; les minutes des réunions de l'état-major personnel d'Hitler, l'Oberkommando der Wehrmacht (Kriegstagebuch des OKW 1940 -1945) ; ainsi que la somme fondamentale d'Andreas Hillgruber sur les relations germano-roumaines entre 1938 et 1944 (Hitler, König Carol und Marschall Antonescu: die deutsch-rumänischen Beziehungen, 1938-1944). Ces sources primaires et secondaires ainsi que ma connaissance approfondie de la Seconde Guerre mondiale et du conflit germano-soviétique en particulier autorisent un travail de recherche méthodique, organisé et exhaustif, sur ce sujet très spécifique. En l'appuyant sur le travail déjà conséquent fourni à l'occasion de mon mémoire de master l'an dernier, je pense être en mesure d'offrir une étude unique, précise et détaillée sur le contexte qui a amené au déploiement de la mission militaire, sur les conditions de sa projection en Roumanie, sur sa mission duale de formation de l'armée roumaine et de protection des installations pétrolières locales, pour finir par considérer son efficacité.