L'épreuve du doute en partage : une philosophie de la rencontre en médecine
Auteur / Autrice : | Marie-olivia Chandesris |
Direction : | Roberto Poma |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Philosophie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/12/2019 |
Etablissement(s) : | Paris 12 |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Cultures et Sociétés (Créteil ; 2010-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : LIS - Lettres Idées Savoirs |
Mots clés
Résumé
La médecine dite scientifique, fondée sur les preuves, en particulier expérimentales, fait largement autorité dans le monde médical. Il est un fait que les progrès passés et actuels en la matière ne cessent d'améliorer l'état de santé et l'espérance de vie des populations. Fondée sur des données objectives, rationnelles, contrôlées et vérifiables, la médecine scientifique tiendrait son efficience sur l'organique d'un rapport rigoureux au réel. Mais, ce réel qu'est en l'occurrence l'humain se voit dès lors nécessairement réifié, parcellisé en organes et fonctions, appréhendé sous un prisme techniciste et déterministe. Or, ce qui sous-tend leur puissance met tout autant en exergue l'insuffisance et les limites inhérentes à de telles certitudes scientifiques. Alors même que la pratique médicale est bien souvent conjecturelle, le protocole expérimental implique des conditions (précises) de production des preuves que la vie ne reproduit pas. D'autant que ces preuves sont par ailleurs le résultat d'interprétations (voire d'opinions) qui dépendent d'une certaine conjoncture telle que le contexte historique et le pouvoir politique. La mathématisation de la médecine ne résiste pas à l'infinie complexité tout autant qu'à l'aléa du vivant. Maitrise mouvante, fragmentaire, relative donc tout comme le savoir qui la fonde. Si l'insuffisance de connaissances n'est pas niée voire est avancée par les scientifiques pour justifier les limites du savoir médical et de ses applications, leur relativité est, quant à elle, plus généralement occultée. Ainsi, si le doute s'invite nécessairement comme rempart évident au dogmatisme, au réductionnisme, au déterminisme et à toute autre forme d'autoritarisme, il fait pour autant craindre aux praticiens qui s'en défendent le spectre de l'inertie clinique. Un tel pragmatisme décisionnel visant l'action, en la matière le « soin », n'est pourtant pas antagonique avec le doute dans l'action comme outil de recherche, d'élaboration, d'adaptation et de réflexion dynamique et évolutive sur le soin. Les uvres d'Edgar Morin et d'Olivier Rey aident à penser cette question de la place et de l'importance du doute en science. Mais, quel est-il ce doute ou plutôt quels sont-ils ? Sollicitant l'analyse de Claudine Tiercelin pour l'appréhender d'un point de vue ontologique, métaphysique, dans toutes ses significations possibles, en particulier celles relatives à la pratique clinique et en extraire une typologie possible, il s'en suit une nécessaire analyse épistémologique. Car le doute oscille entre des extrêmes contraires, il peut tout autant être banni que mis en exergue, être constructif et structurant que destructif et anéantissant. Les conditions, le contexte, le sens, les conséquences ainsi que les moyens du doute convoquent pour y réfléchir Gaston Bachelard, Michel Foucault, Georges Canguilhem. Ces variations du doute font certes écho à la relativité de nos connaissances mais également à la complexité d'une part de la relation de soin, unique, contextuel, humaine, d'autre part à la complexité du sujet, au sens générique, qu'il soit soignant ou patient, chacun étant singulier, pris dans une histoire individuelle autant que collective, dans une société avec ses traditions et ses croyances, dans un système de santé empreint d'historique et de politique, dans un monde fait de rationalité et de passion. Ainsi se pose la question d'une approche phénoménologique du‧des « sujet‧s doutant » pour laquelle Maurice Merleau-Ponty et Paul Ricur apportent un éclairage essentiel. Enfin, au-delà de la nécessaire critique du pouvoir médical à laquelle nous invite notamment Ivan Illich, c'est, bien plus qu'à la nécessité, à la bonne manière de douter que nous imposent de réfléchir les patients. Car, que les incertitudes fragilisent les décisions médicales et mettent en tension la relation de soins, pour autant elles ne les figent, ni l'une ni l'autre, donnant au contraire place à la révision toujours possible des réalités pathologiques, à l'interrogation créative tout comme, peut-être, à une authentique démocratie sanitaire dont elles seraient l'essence même. Il s'agit, en somme, de penser le doute en termes de méthode, d'économie politique et d'éthique, tout autant de la théorie que de la pratique qui fondent la médecine.