Thèse soutenue

Débrouilles rurales : les modestes économes au prisme de l'ethnographie ethnocomptable de leurs espaces domestiques

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Auteur / Autrice : Fanny Hugues
Direction : Claude RosentalGeneviève Pruvost
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 15/11/2024
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : David Pontille
Examinateurs / Examinatrices : David Pontille, Faustine Régnier, Yasmine Siblot, Muriel Darmon, Nicolas Renahy
Rapporteurs / Rapporteuses : Faustine Régnier, Yasmine Siblot

Résumé

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Cette thèse porte sur les débrouilles rurales, c’est-à-dire des modes de vie caractérisés par la modicité des revenus et une importante économie de subsistance. La précarisation du marché de l’emploi et le recul des droits sociaux depuis la fin du XXᵉ siècle, le contexte contemporain de forte inflation, tout comme l’invisibilisation – voire la stigmatisation – dont ils font l’objet invitent à questionner les conditions sociales et matérielles qui font tenir ces modes de vie minoritaires au sein de la morphologie sociale rurale.Comment vit-on concrètement avec peu de revenus dans les campagnes françaises, sur la durée et sans être dans la survie ? Autrement dit, quelles sont les ressources monétaires et non monétaires localisées qui assurent la reproduction des débrouilles rurales ? Comment sont-elles constamment combinées, agencées et assemblées en fonction des contraintes et des possibilités matérielles, spatiales, temporelles et techniques ? En quoi sont-elles inégalement accessibles et mobilisées ? Qu’est-ce qui compte, que compte-t-on, sur quoi et sur qui compte-t-on pour considérer bien vivre avec peu de revenus en milieux ruraux ?Les résultats proposés dans cette thèse s’appuient sur une enquête ethnographique multi-située et ethnocomptable menée auprès de 31 foyers dans des espaces ruraux situés au sein de 6 départements. Tout en soulignant les pratiques communes aux modestes économes, les monographies de ménages permettent de déceler les (petites) différences socio-économiques qui induisent des manières inégales de se débrouiller. Aussi, cette thèse s’inscrit dans une approche attentive aux dispositions, aux trajectoires et aux rapports sociaux.La thèse s’organise en cinq parties. La première partie rend compte de l’intérêt d’une méthodologie hybride pour enquêter les débrouilles rurales depuis les espaces domestiques. Elle dessine un espace des débrouilles rurales fondé sur la typologie de 4 groupes sociaux : « femmes précarisées », « retraité·e·s agricoles », « ouvrier·e·s et paysan·ne·s » et « petit·e·s intermédiaires ». La seconde partie explore les conditions matérielles d’existence des modestes économes, soit leurs ressources monétaires et foncières. La gestion de leurs budgets restreints et leur stabilité résidentielle s’avèrent cruciales pour maintenir l’équilibre de leurs économies domestiques. Leurs socialisations économiques éclairent l’homogénéité de leurs conduites ascétiques, tandis que l’étude de leurs trajectoires immobilières révèle l’hétérogénéité de leurs parcours. La troisième partie étudie la manière dont l’espace domestique élargi, qui constitue la scène principale des débrouilles rurales, est inégalement investi et s’inscrit sur un continuum entre subsistance et consommation. L’espace à soi et le temps à soi sont incontournables pour mener les pratiques de subsistance, telles que la production domestique alimentaire et de bois de chauffe. Elles font l’objet d’arbitrages économiques, temporels et symboliques qui reflètent des positions de classe, de genre et d’âge. La quatrième partie s’intéresse aux savoir-faire techniques de bricolage et aux sociabilités d’entraide sur lesquels repose l’essentiel des débrouilles rurales. L’interdépendance des économies domestiques au sein d’espaces locaux offre l’accès à des biens et services sinon inabordables par la voie marchande, sans pour autant échapper aux rapports de pouvoir qui structurent les débrouilles rurales. La cinquième partie examine les écologies morales des modestes économes et leurs rapports à la question environnementale, particulièrement à l’égard des normes écologiques dominantes. Le sens pratique et moral qui guide leurs pratiques économes, hérité de l’enfance et réactualisé tout au long des trajectoires, les conduit à affirmer trois formes d’écologies morales socialement situées : « anti-gaspillage », « paysanne » et « anti-consumériste ».