Thèse soutenue

L’écologie domestiquée : zéro déchet, engagement féminin et écologisation du quotidien.

FR  |  
EN
Auteur / Autrice : Océane Sipan
Direction : Marc BessinGeneviève Pruvost
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 18/03/2025
Etablissement(s) : Paris, EHESS
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Sylvie Tissot
Examinateurs / Examinatrices : Sylvie Tissot, Philip Balsiger, Sylvie Ollitrault, Viviane Albenga, Bénédicte Zimmermann
Rapporteurs / Rapporteuses : Philip Balsiger, Sylvie Ollitrault

Mots clés

FR  |  
EN

Résumé

FR  |  
EN

Cette thèse porte sur un mode d’engagement dans une écologie individuelle et largement domestique qui, de prime abord, pourrait sembler échapper aux structures collectives, à travers le cas de la démarche zéro déchet (ZD). Comment tiennent ensemble engagement individuel et ambition d’un changement social de grande ampleur ? Quelles définitions de l’écologie et de l’engagement écologique sont ainsi promues ? Comment s’insèrent-elles dans l’espace de la cause écologiste ? En quoi dépendent-elles des positions de classe et de genre des personnes qui s’y engagent ?La thèse explore ces questions à partir de matériaux empiriques variés : entretiens avec des personnes pratiquant le zéro déchet, enquête ethnographique à Roubaix où une politique publique « zéro déchet » est mise en œuvre depuis 2014, enquête quantitative et qualitative sur des groupes Facebook dédiés, observations dans les foyers et analyses de livres de promotion de la démarche.À partir de l’étude des différentes instances de prescription du zéro déchet (livres, politiques publiques locales et nationales), la thèse montre d’abord que cette écologie proche du développement personnel est peu soucieuse de prendre en compte les rapports sociaux de classe, de race et de genre qui traversent les rapports différenciés aux enjeux écologiques, et promeut un cadrage universaliste et moral qui s’adresse davantage aux classes moyennes et supérieures. En tant qu’écologie du quotidien, le zéro déchet est aussi inscrit dans le prolongement des tâches domestiques et ce cadrage l’oriente vers un public largement féminin.L’étude des parcours biographiques qui mènent à l’engagement ZD confirme qu’il s’agit effectivement d’un engagement féminin qui fait écho à des dispositions genrées au care, mais aussi à des dispositions socialement situées à l’ascétisme. Dans une perspective attentive aux rapports sociaux de classe et de genre et à leurs intersections, la thèse propose de saisir l’écologisation du quotidien comme un engagement de l’indisponibilité biographique, susceptible d’attirer des femmes qui, par leurs positions professionnelles socialement valorisées, leurs responsabilités familiales et leur inscription dans la conjugalité hétérosexuelle, auraient beaucoup à perdre à s’engager dans d’autres modes d’action écologistes, et trouvent préférable ce mode d’action inscrit dans la sphère domestique.Explorer le déploiement de l’écologisation au sein du foyer amène à rendre compte du poids des ressources matérielles sur ce processus. Il s’agit aussi d’objectiver les manières dont les goûts, l’organisation temporelle et les évaluations budgétaires se trouvent réformées, ainsi que les négociations familiales et conjugales de cet engagement. Il en ressort que les composantes familiales et conjugales de l’indisponibilité biographique des femmes viennent poser des limites à la réforme des pratiques.En étudiant les politisations ambivalentes du zéro déchet, la thèse montre enfin que l’écologie domestique ainsi promue et mise en œuvre peut être lue comme une appropriation ordinaire des idées et pratiques écologistes, qui contribue à leur domestication. Familière, intégrée à l’espace domestique et rendue inoffensive pour l’ordre social et de genre, l’écologie zéro déchet est une écologie domestiquée. Inscrite dans les structures néolibérales, en particulier dans sa conception du changement social, elle ne menace pas l’ordre établi, contribuant du reste au verdissement du capitalisme. En outre, ne politisant pas la répartition du travail domestique ni du travail d’écologisation (réalisé par les femmes), l’écologie ZD se tient à distance des féminismes et des écoféminismes. En définitive, elle apparait comme une écologie policée et conformiste, qui ne politise pas l’espace domestique et les rapports de domination genrée qui s’y jouent.