Thèse en cours

Adolphe d'Ennery (1811-1899) et le drame. Biographie d'une oeuvre et d'un siècle.

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Auteur / Autrice : Bérengère Levet
Direction : Jean-Claude YonStéphane Vachon
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire moderne et contemporaine
Date : Inscription en doctorat le 31/08/2017
Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres en cotutelle avec Université de Montréal
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École pratique des hautes études
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Savoirs et pratiques du Moyen Âge à l'époque contemporaine
établissement opérateur d'inscription : École pratique des hautes études (Paris ; 1868-....)

Mots clés

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Résumé

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Adolphe d'Ennery et le drame. S'ouvrant sur une rupture, celle que la Révolution française opère avec le monde ancien, le XIXe siècle se caractérise, en France, par une longue « transaction » (Ozouf, 2004, p. 10) entre l'Ancien Régime, fondé sur la hiérarchie (ordres, droit du sang, lignage), et la société issue de la Révolution, ayant pour principes la liberté, l'égalité et la fraternité, tandis que se succèdent retours des régimes (monarchie restaurée, IIe République, Second Empire) et poussées révolutionnaires (1830, 1848, 1871). Pour l'historienne Mona Ozouf, « [d]e cette guerre de cent ans entre l'Ancien Régime et la Révolution, la littérature est l'incomparable observatoire. » (Ozouf, 2004 p. 10) Si elle considère, pour sa part, que le roman, « genre composite », est le mieux à même de dépeindre cette société en tension entre ancien monde et monde nouveau, je propose, avec ma thèse, de montrer que le théâtre, dont le système des privilèges survit à la Révolution , le fait tout autant. C'est le cas plus spécifiquement du drame, genre tout aussi composite que le roman, et que Victor Hugo définit ainsi dans la préface de Marie Tudor : « le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie » (Hugo, 1882 [1833], p. 135). Dans la continuité de ma maîtrise qui portait sur Les deux orphelines, drame en cinq actes et huit tableaux d'Adolphe d'Ennery et Eugène Cormon [Paris, théâtre de la Porte-Saint-Martin 29 janvier 1874], le sujet de ma thèse trouve sa pertinence à de multiples égards : 1) La carrière du dramaturge Adolphe d'Ennery (1811-1899) se signale d'abord par sa longévité. Cette longévité inscrit durablement l'homme et son œuvre dans le XIXe siècle, de manière d'autant plus significative qu'à une ou deux exceptions près, ses pièces, malgré leur immense succès à l'époque, ne lui ont pas survécu : l'homme, l'œuvre et sa réception sont donc de leur temps, un temps dont ils sont les précieux témoins. 2) Ensuite, bien qu'ayant produit différents types de pièces (comédies-vaudevilles, revues, féeries, opéras comiques, sans oublier livrets d'opéra), le drame est le seul genre que d'Ennery a pratiqué toute sa longue carrière. Sa première pièce, qui date de 1831 , est un drame, tout comme la dernière (en 1886), ce qui porte à 86 (402 actes) le nombre total de ses drames . Les critiques, tout en vantant ses qualités de « faiseur » à l'égal d'un Eugène Scribe ou d'un Victorien Sardou, lui reprochèrent cette « fécondité » (Larousse, 1866, p. 441), jusqu'à l'accuser, comme le fit Théophile Gautier, de voler les idées des autres, voire de refaire toujours la même pièce (lui-même le revendiquant parfois). Au-delà de la réalité des faits (qui sera à interroger), ces critiques ont, pour moi, une valeur positive : en effet, d'un point de vue culturel, c'est bien la répétition qui fait sens. 3) Adolphe d'Ennery était reconnu par ses pairs pour avoir fait « tous les drames qui puissent se faire » (Ferrier, 1898, p. 919). L'étude de son œuvre constitue ainsi un point de départ crucial pour l'établissement d'une typologie d'un « autre théâtre romantique » (Revue d'histoire du théâtre, 2013), typologie qui reste à dresser dans un domaine de recherche en plein essor. 4) Adolphe d'Ennery a d'abord adapté les romans des autres en drames, puis ses propres drames en romans et enfin l'un de ses romans en drame. Il a ainsi navigué entre tous ces genres composites – entre représentation scénique et écriture narrative, entre saisons théâtrales et périodicité feuilletonesque, entre théâtres et maisons d'édition. Il incarne donc, et de manière exemplaire, l'exceptionnelle plasticité et la fécondité de la dramaturgie dans le temps long de la vie théâtrale du XIXe siècle. 5) Adolphe d'Ennery, inventeur de la « croix de ma mère », signe de reconnaissance et procédé théâtral qui permet de réunir les familles au dénouement (Zola, 1881, p. 348), reconnaît, sur son lit de mort, une fille naturelle et en fait sa légataire universelle, au détriment des héritiers jusque-là désignés. C'est l'affaire, fameuse en son temps, du « Testament d'Adolphe d'Ennery » (Chevalier-Marescq, 1900). Ainsi, au soir de sa vie, A. d'Ennery se trouve comme rattrapé par son œuvre qui met en scène de manière répétée enfants naturels, héritages et reconnaissance filiale. Cette troublante interférence de l'œuvre et de la biographie exige d'être étudiée pour mieux comprendre l'homme et ses productions. Dans une visée interdisciplinaire, sous la supervision de Stéphane Vachon (département des Littératures de langue française, Université de Montréal), et dans le cadre d'une cotutelle à l'École pratique des hautes études (Paris) sous la supervision de l'historien des arts du spectacle Jean-Claude Yon, ma démarche allie donc étude littéraire et recherche historique autour du biographique avec pour finalité de proposer une définition du drame non pas tant comme matière même du théâtre (l'action, δρᾶμα), non pas tant comme genre composite qui intéresse aussi bien le spectacle que la littérature, mais comme « matrice » (Vaillant, 2016) par laquelle s'interprète le monde au XIXe siècle. « Adolphe d'Ennery (1811-1899) et le drame. Biographie d'une œuvre et d'un siècle » S'ouvrant sur une rupture, celle que la Révolution française opère avec le monde ancien, le XIXe siècle se caractérise, en France, par une longue « transaction » (Ozouf, 2004) entre l'Ancien Régime, fondé sur la hiérarchie (ordres, droit du sang, lignage), et la société issue de la Révolution, ayant pour principes la liberté, l'égalité et la fraternité, tandis que se succèdent retours des régimes (monarchie restaurée, IIe République, Second Empire) et poussées révolutionnaires (1830, 1848, 1871). Pour l'historienne Mona Ozouf, « De cette guerre de cent ans entre l'Ancien Régime et la Révolution, la littérature est l'incomparable observatoire. » (Ozouf, 2004) Si elle considère, pour sa part, que le roman, « genre composite », est le mieux à même de dépeindre cette société en tension entre ancien monde et monde nouveau, je propose, avec ma thèse, de montrer que le théâtre, dont le système des privilèges survit à la Révolution1, le fait tout autant. C'est le cas plus spécifiquement du drame, genre tout aussi composite que le roman, et que Victor Hugo définit ainsi dans la préface de Marie Tudor : « le mélange sur la scène de tout ce qui est mêlé dans la vie » (Hugo, 1882 [1833]). Mon projet se situe dans la continuité de ma maîtrise et dans une visée interdisciplinaire, dans le cadre d'une cotutelle École pratique des hautes études (codirecteur : Jean-Claude Yon) / Université de Montréal (codirecteur : Stéphane Vachon). Ma démarche allie, en effet, étude littéraire et recherche historique autour du biographique avec pour finalité de proposer une définition du drame non pas tant comme matière même du théâtre (l'action, δρᾶμα), non pas tant comme genre composite qui intéresse aussi bien le spectacle que la littérature, mais comme matrice sensible par laquelle s'interprète le monde au XIXe siècle, ouvrant alors la perspective sur notre siècle, lui-même friand de “drames” de toutes natures. Ma thèse s'inscrit dans le courant contemporain de réinscription du biographique dans l'histoire littéraire, et notamment dans les pas des travaux menés par Paul Aron qui, au nom même de la poétique (celle de Genette et des formalistes russes) et de la sociologie littéraire de Pierre Bourdieu, défend le biographique comme exigence d'un « ancrage dans le réel », comme « forme la plus économique d'inscription contextuelle d'une œuvre littéraire », comme « forme vide […] facteur de liberté convenant à tous » et qui ne « présuppos[e] aucune valeur littéraire », comme un genre dont « [l']hybridité […] favorise un dialogue entre des univers de recherche a priori dissociés et ouvre la voie à des études transversales, à l'interdisciplinarité, au comparatisme » (Aron, 2017). Le sujet de ma thèse, « Adolphe d'Ennery (1811-1899) et le drame. Biographie d'une œuvre et d'un siècle », y trouvera donc sa pertinence à de multiples égards : 1). La carrière du dramaturge Adolphe d'Ennery (1811-1899) se caractérise d'abord par sa longévité. Cette longévité inscrit durablement l'homme et son œuvre dans le XIXe siècle, de manière d'autant plus significative qu'à une ou deux exceptions près, ses pièces, malgré leur immense succès à l'époque, ne lui ont pas survécu : l'homme, l'oeuvre et sa réception sont donc de leur temps, un temps dont ils sont les précieux témoins. 2). Ensuite, bien qu'ayant produit différents types de pièces (comédies-vaudevilles, revues, fééries, opéras-comiques, sans oublier livrets d'opéra), le drame est le seul genre que d'Ennery a pratiqué toute sa longue carrière. Sa première pièce, qui date de 1831, est un drame, tout comme la dernière (en 1886), ce qui porte à 86 (402 actes) le nombre total de ses drames. Les critiques, tout en vantant ses qualités de « faiseur » à l'égal d'un Eugène Scribe ou d'un Victorien Sardou, lui reprochèrent cette « fécondité » (Larousse, 1866), jusqu'à l'accuser de « voler » les idées des autres (Gautier, 2007-2017), voire de refaire toujours la même pièce (lui-même le revendiquant parfois). Au-delà de la réalité des faits (que nous interrogerons), ces critiques ont pour nous valeur positive : en effet, d'un point de vue culturel, c'est bien la répétition qui fait sens. 3). Adolphe d'Ennery était reconnu par ses pairs pour avoir fait « tous les drames qui puissent se faire » (Ferrier, 1898). L'étude de son œuvre constitue de ce fait un point de départ crucial pour l'établissement d'une typologie de « l'autre drame romantique » (Revue d'Histoire du théâtre, 2013), typologie qui reste à dresser dans un domaine de recherche en plein essor. 4). A. d'Ennery a d'abord adapté les romans des autres en drames, puis ses propres drames en romans, et enfin l'un de ses romans en drame. Il a ainsi navigué entre tous ces genres composites – entre représentation scénique et écriture narrative, entre saisons théâtrales et périodicité feuilletonnesque, entre théâtres et maisons d'édition. Il incarne donc, et de manière exemplaire, l'exceptionnelle plasticité et la fécondité de la dramaturgie dans le temps long de la vie théâtrale du XIXe siècle. 5). Adolphe d'Ennery, dont « la croix de ma mère » qui réunit les familles au dénouement était la marque de fabrique (Zola, 1881), reconnaît une fille naturelle et en fait sa légataire universelle. C'est l'affaire, fameuse en son temps, du « Testament d'Adolphe d'Ennery » (Chevalier-Marescq, 1900). Ainsi, au soir de sa vie, A. d'Ennery se trouve comme rattrapé par son œuvre qui met en scène de manière répétée enfants naturels, héritages et reconnaissance filiale. Cette troublante interférence de l'œuvre et de la biographie exige d'être étudiée pour mieux comprendre l'homme et ses productions.