Y a-t-il une science ottomane ? Circulation des savoirs et fabrique des disciplines agronomique, forestière et vétérinaire (1840-1940)
Auteur / Autrice : | Meric Tanik |
Direction : | Marc Aymes, Michel Espagne |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations |
Date : | Soutenance le 03/07/2024 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Darina Martykánová |
Examinateurs / Examinatrices : Darina Martykánová, Harun Küçük, Stéphane Van Damme, Olivier Bouquet, Aleksandra Kobiljski | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Harun Küçük, Stéphane Van Damme |
Mots clés
Résumé
Cette thèse a pour objet les savoirs en mouvement. L’enjeu est d’explorer la construction transnationale de l’agronomie, de la sylviculture et de la médecine vétérinaire dans l’Empire ottoman tardif et la jeune Turquie républicaine (1840-1940) à l’aide des savoirs venus d’autres contrées, notamment de France. L’étude vise à répondre à deux questions : pourquoi et comment les savoirs relatifs à ces domaines naissants circulent-ils ? Qu’advient-il de ces savoirs dans leur nouveau contexte ?Mes recherches établissent que le gouvernement ottoman, fortement endetté à la fin du XIXe siècle, investit dans ces disciplines et finance la mobilité des personnes et des objets – étudiants, experts, instruments – principalement parce que les vastes ressources naturelles de l’Empire sont perçues comme capables d’atténuer la détresse économique en générant des gains financiers. Cette volonté de concentrer les efforts sur le secteur primaire convient aux puissances européennes puisqu’elles veulent importer ces biens et exporter des produits industriels vers l’Empire. Les mobilités savantes sont encouragées aussi parce que la France, en concurrence avec ses voisins dans sa quête de suprématie scientifique, cherche à faire rayonner la « science française » dans le monde. Mon approche micrologique permet de mesurer le poids des banales ambitions personnelles. Les experts français acceptent volontiers de partir pour l’Empire car ils y occupent des postes convoités mieux rémunérés qu’en France. C’est aussi l’occasion de mener des recherches dans une nouvelle zone géo-climatique et de publier des travaux inédits. Pour les étudiants ottomans, un diplôme étranger représente un moyen d’accéder à de meilleurs emplois dans l’Empire, sans compter les fonctions symboliques des études en Europe, qui leur confèrent la légitimité du statut d’homme cultivé.Ma thèse démontre qu’il n’existe pas de copie à l’identique. Contrairement aux travaux antérieurs qui tendent à réduire les scientifiques ottomans à de simples imitateurs, les sources que je mobilise révèlent que les savoirs agronomiques, forestiers et vétérinaires étaient nécessairement réinventés, la faune et la flore, les conditions pédoclimatiques et les maladies endémiques variant selon les régions du monde. Les scientifiques ottomans ont eux-mêmes insisté sur la nécessité d’adapter les savoirs étrangers aux besoins locaux et ont aussi inventé des néologismes pour décrire ce processus créatif tel memleketleştirme. Ils ont également produit des nouveaux savoirs et exporté les recherches originales qu’ils ont conduites, principalement par le biais d’articles publiés dans des revues européennes.Ce travail a des implications plus larges pour les études ottomanes et l’histoire des sciences. Il démontre l’inefficacité de la catégorie d’occidentalisation qui impose un paradigme civilisationnel là où il ne devrait pas y avoir. Sans référence aux colonies ni aux métropoles, il expose le modus operandi des circulations scientifiques plus routinières entre les espaces traditionnellement considérés comme « occidentaux » et « non occidentaux ».