Métamorphoses diagrammatiques et rythmes expérientiels : la pratique visuelle des scientifiques dans l'analyse de données en virologie
Auteur / Autrice : | Estelle Chaillat |
Direction : | Annie Gentès, Uriel Hazan, Anne Lefebvre |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Design |
Date : | Soutenance le 27/02/2024 |
Etablissement(s) : | université Paris-Saclay |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences sociales et humanités (Versailles ; 2020-....) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre de recherche en design (Gif-sur-Yvette, Essonne ; 2019-...) |
Référent : École normale supérieure Paris-Saclay (Gif-sur-Yvette, Essonne ; 1912-....) | |
graduate school : Université Paris-Saclay. Graduate School Humanités-Sciences du patrimoine (2020-….) | |
Jury : | Président / Présidente : Michela Deni |
Examinateurs / Examinatrices : Catherine Allamel-Raffin, Fabienne Martin-Juchat, Béatrice Cahour | |
Rapporteur / Rapporteuse : Catherine Allamel-Raffin, Fabienne Martin-Juchat |
Résumé
Cette thèse propose de considérer que la transformation des données scientifiques en informations pertinentes pour la recherche, en tant qu'elle est réalisée au travers de la manipulation de formats visuels, est un phénomène pratique de médiation. Ce phénomène articule des dimensions temporelles, affectives et perceptuelles avec des opérations matérielles et des propriétés sémiotiques. Dans ce cadre, il s'agit de décrire et de qualifier la relation phénoménologique tissée entre les formats visuels, le scientifique qui les manipule et les données qu'ils imagent d'un point de vue matériel et expérientiel. Cette recherche prend place dans le domaine de la microbiologie et doit nous permettre de mieux comprendre comment les formats visuels soutiennent le travail d'exploration sémantique des données par les scientifiques.Pour ce faire, la recherche entreprise mobilise une approche ethnographique afin d'observer in situ les pratiques des scientifiques au travail d'analyse de leurs données expérimentales et d'en décrire le déroulé. Elle se concentre sur les activités d'analyse individuelle sur ordinateur. Pour rendre compte finement des pratiques visuelles des scientifiques comme expérience sensible, temporelle, interactive et matérielle, nous avons mis en place une méthode de récolte et d'analyse des données du terrain en « articulation fine » qui permet d'en intégrer le caractère à la fois diachronique et synchronique. Afin d'explorer nos trois études de cas, nous mettons en dialogue trois types de matériaux récoltés sur le terrain. L'enjeu est de pouvoir analyser dialogiquement le « vécu expérientiel » des acteurs, la dimension procédurale de l'activité (tâche, opérations, actions) et les manipulations matérielles des formats visuels au cours (diachronique) de l'activité. Pour ce faire, une analyse thématique de transcriptions d'entretiens d'explicitation est croisée à une analyse procédurale de l'activité réalisée par transcription pictographique des actions et de leurs effets visuels.Il s'agit alors de mener une réflexion sur la relation phénoménologique entre formats visuels et scientifiques au travail. D'une part, cette relation apparait relever d'une « économie de l'attention » qui permet à l'activité de se poursuivre grâce à la dynamisation du processus d'analyse, lui-même rythmé par une alternance de phases « machinales » et « réflexives » qui se rapportent à des postures adoptées par le scientifique. En nous appuyant sur les travaux de Donald Schön, nous montrons que cette alternance permet au scientifique de gérer la complexité de son activité pratique : elle est soutenue par la réactivité des formats visuels avec lesquels le scientifique « converse » et qui actualisent chez lui une capacité de projection pratique et émotionnelle. Cette dynamique conversationnelle met en avant l'importance de la manipulabilité des formats visuels pour l'analyse et leur valeur de médium : les images permettent d'explorer les objets d'étude par des expérimentations sémiotiques. Nous indiquons que cette manipulabilité repose sur le régime « diagrammatique » des formats visuels mobilisés en analyse. Les visuels indexent certaines relations structurelles des objets qu'ils aident à renseigner à leurs éléments morphologiques, constitué en système notationnel modulable. Nous montrons que dans l'activité, des « coupures sémiotiques » peuvent se produire : elles dévoilent que le scientifique travaille activement à maintenir la « diagrammaticité » des images scientifiques afin d'assurer à leurs images et leur analyse une « valeur scientifique ». Cet entretien se réalise par des explorations diverses menant à des compromis sur la base de tâtonnements : le phénomène de médiation apparait alors comme le fruit d'une expérience progressive au long de l'activité qui souligne sa dimension émergente, matérielle et expérientielle.