Le Sens de la distance. Friedrich Nietzsche face à l'hypothèse mimétique : éléments génétiques, critiques et philosophiques

The Sense of Degree. Friedrich Nietzsche and the mimetic hypothesis: genetic, critical and philosophical elements

• Auteur / Autrice : Alexandre Avril
• Direction : Paolo D'Iorio
• Type : Projet de thèse
• Discipline(s) : Philosophie
• Date : Inscription en doctorat le 01/09/2017
• Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres
• Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales (Paris ; 2010-....)
• Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : INSTITUT DES TEXTES ET MANUSCRITS MODERNES
• Partenaire(s) de recherche : établissement opérateur d'inscription : École normale supérieure (Paris ; 1985-....)

Mots clés

Mots clés libres

Désir mimétique

Nihilisme

Volonté de puissance

Mimetism

Nihilism

Will to power

Résumé

L'objet du présent travail porte sur la confrontation de l'hypothèse dite ''mimétique'' – théorie générale du désir, de la violence et du sacré formulée par René Girard depuis Mensonge romantique et vérité romanesque (1961) – à la vie et à l'oeuvre de Friedrich Nietzsche. Le rapprochement des deux auteurs n'a rien d'évident tant ils paraissent aux antipodes. Pourtant, René Girard fut un grand lecteur de Nietzsche et la confrontation de leurs pensées, pour originale soit-elle, nous semble d'une grande fécondité intellectuelle. La première partie de notre travail consiste en une enquête génétique permettant de démontrer que René Girard, contre toute apparence, était un excellent connaisseur de Nietzsche. Établie sur des archives inédites et sur l'étude de la bibliothèque de René Girard (ouverte pour la première fois à un chercheur et dont nous avons établi le catalogue scientifique dans le cadre de ce travail), nous proposons de démontrer l'importance de la lecture de Nietzsche dans l'exogenèse girardienne. Croisant l'analyse diachronique des écrits de Girard à l'histoire de ses lectures de Nietzsche, que nous pouvons établir par l'étude de sa bibliothèque ainsi que par la reconstitution de ses écrits (pour certains inédits en français) et l'examen de ses marginalia et notes de lecture. Cette enquête permet de montrer sur la base de quelles connaissances (et parfois, de quelles erreurs), Girard s'est appuyé dans la conception des hypothèses originales au sujet de Nietzsche. Dans un second temps, nous proposons de confronter ces lectures de René Girard à l'état de nos connaissances contemporaines sur Nietzsche afin d'en établir un examen critique. La méthode utilisée est triple : présenter les hypothèses de Girard (qui a peu écrit sur Nietzsche) dans une démarche de reconstitution herméneutique, établir l'exogenèse de ses considérations (identifier leurs sources et influences) puis les confronter à l'état de nos connaissances contemporaines sur Nietzsche, notamment de ses manuscrits. Et ce, sur différents éléments du ''Cas Nietzsche'' : ses relations amoureuses, son amitié avec Lou Salomé, sa relation à Richard et Cosima Wagner, mais également sur ses analyses de Parsifal ou au sujet de la ''mort de Dieu''. Une fois établi le dossier ''scientifique'' de la lecteur girardienne de Nietzsche (ce que Girard en savait, ce qu'il en a dit, ce que l'état de nos connaissances nous permet d'en dire nous-mêmes), il s'agit de montrer dans une troisième partie consacrée à l'enquête philosophique, que la confrontation de l'hypothèse mimétique à la pensée de Nietzsche n'est pas sans intérêt pour la Nietzsche Forschung. Les notions de ressentiment et de volonté de puissance sont capitales dans la théorie mimétique, qui en postule l'identité profonde. Dans ce cadre, nous pensons qu'à mesure que le concept de ''Wille zur Macht'' évolue du champ psychologique à un principe ontologique, un autre concept prend le relai pour dire quel est la véritable puissance du surhumain : la faculté de se tenir à distance. À travers une étude thématique du ''Pathos der Distanz'', nous voulons montrer que cette exigence constitue le meilleur rempart aux affres de la contagion mimétique. En nous invitant à une juste distance avec eux, il réaffirme la structure hiérarchique et organisée qui nous permet d'échapper à la hantise des autres et à l'esclavage de leurs désirs, de prévenir la terrible et décadente tendance à l'uniformisation du monde par l'égalisation de nos désirs et de nos conditions, par le rapetissement de l'homme. Au ''tous sont égaux et chacun veut la même chose'' de la crise mimétique bien comprise par Zarathoustra, Nietzsche vante les mérites de l'antique distinction, des degrés et de la différence. L'amour de la distance est l'unique solution pour conserver notre capacité à admirer et à nous imiter sans devenir rivaux, à échapper à l'esclavage de l'égalisation et à nous libérer de tout ressentiment. La passion de la distance, voilà la véritable puissance.

The aim of the present work is to compare the so-called ''mimetic hypothesis'' - a general theory of desire, violence and the sacred formulated by René Girard since Mensonge romantique et vérité romanesque (1961) - with the life and work of Friedrich Nietzsche. There's nothing obvious about bringing the two authors together, given their seemingly polar opposites. However, René Girard was a great reader of Nietzsche's work, and we believe that the comparison of their thoughts, however original, is of great intellectual fruitfulness. The first part of our work consists of a genetic investigation to demonstrate that René Girard, against all appearances, was an excellent connoisseur of Nietzsche. Based on unpublished archives and a study of René Girard's library (opened to researchers for the first time, and for which we have compiled a scientific catalog as part of this work), we propose to demonstrate the importance of reading Nietzsche in Girard's exogenesis. We combine a diachronic analysis of Girard's writings with a history of his reading of Nietzsche, which we can establish by studying his library, reconstructing his writings (some of them unpublished in French) and examining his marginalia and reading notes. This investigation enables us to show the knowledge (and sometimes, the errors) on which Girard based his original hypotheses about Nietzsche. Secondly, we propose to compare these readings of René Girard with the state of our contemporary knowledge of Nietzsche, in order to establish a critical review. The method used is threefold: to present the hypotheses of Girard (who has written little on Nietzsche) in a process of hermeneutic reconstitution, to establish the exogenesis of his considerations (identifying their sources and influences) and then to confront them with the state of our contemporary knowledge of Nietzsche, particularly his manuscripts. This is done in relation to various elements of the ''Nietzsche case'': his love affairs, his friendship with Lou Salomé, his relationship with Richard and Cosima Wagner, as well as his analyses of Parsifal and the ''death of God''. Once the ''scientific'' dossier of Girard's reading of Nietzsche has been established (what Girard knew about it, what he said about it, what our state of knowledge allows us to say about it ourselves), the third part of the book, devoted to philosophical inquiry, shows that the confrontation of the mimetic hypothesis with Nietzsche's thought is not without interest for Nietzsche Forschung. The notions of resentment and the will to power are central to mimetic theory, which postulates their profound identity. Within this framework, we believe that as the concept of ''Wille zur Macht'' evolves from a psychological field to an ontological principle, another concept takes over to say what the true power of the superhuman is: the faculty of keeping oneself at a distance. Through a thematic study of ''Pathos der Distanz'', we aim to show that this requirement constitutes the best bulwark against the throes of mimetic contagion. By inviting us to distance ourselves from them, it reaffirms the hierarchical and organized structure that enables us to escape the haunting of others and the enslavement of their desires, to prevent the terrible and decadent tendency to standardize the world through the equalization of our desires and conditions, through the dwarfing of man. To the ''all are equal and everyone wants the same thing'' of the mimetic crisis well understood by Zarathustra, Nietzsche extols the merits of ancient distinction, degrees and difference. The love of distance is the only way to preserve our ability to admire and imitate each other without becoming rivals, to escape the slavery of equalization and free ourselves from resentment. A passion for distance is true power.