Mobilités sociales traditionnelles au sein de l’élite anglicisée des Bhadralok. Renégociations de caste menées par les Kayastha au Bengale, 1793-1885.
Auteur / Autrice : | Kevin LE BRICQUER |
Direction : | Kapil Raj |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations |
Date : | Inscription en doctorat le 07/12/2016 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Mots clés
Résumé
En 1765, la saisie du Dewani du Bengale par l’East India Company y amorça la mise en place d’un nouveau système aux nombreuses déclinaisons. Celui-ci reprenait certains éléments de l’ancien régime moghol et son fonctionnement reposait sur la participation d’Indiens. Ce fut notamment le cas au niveau foncier avec le Permanent Settlement (1793) qui fit des zamindar, fermiers traditionnellement chargés de lever les impôts agricoles, de véritables propriétaires terriens. Ainsi libérés de leur attachement aux terres, ceux-ci émigrèrent massivement à Calcutta où ils prospérèrent en tant qu’intermédiaires entre la puissance britannique et la population locale. Ils avaient ainsi accès à des opportunités inédites qui leurs permettaient de se différencier du reste de la population locale en acquérant une connaissance de l’anglais, en s’enrichissant grâce aux activités britanniques et en adoptant des comportements inspirés des mœurs anglaises. Au début du XIXe siècle, ces individus appartenant principalement aux jati de Brahmanes, Baidya et Kayastha formèrent la nouvelle élite bengalie des bhadralok. Alors que cette nouvelle élite investit tout le spectre social, culturel et politique de la scène bengalie contemporaine, les modèles historiographiques dominants se sont focalisés largement sur son anglicisation au détriment des autres aspects de ses activités, et encore moins de la façon dont elle composait avec les hiérarchies traditionnelles de la société hindoue. En effet, les étudiant par le prisme moderniste et en s’appuyant principalement sur des sources coloniales, les historiens ont tendance à décrire les Bhadralok comme un bloc monolithique composé d’Indiens de hautes castes dont les comportements visaient uniquement à s’angliciser et qui se servaient ainsi de leur statut de caste pour légitimer leur statut de classe. Ainsi, l’utilisation de ce prisme pour interpréter les sources ne rend compte que d’une partie des comportements des Bhadralok. Toutefois, en consultant des sources coloniales telles que des documents administratifs officiels, des productions scientifiques contemporaines, des recensements, des sources judiciaires ; mais également des sources locales en bengali telles que des sources littéraires, des traités religieux, ainsi que des généalogies, nous avons observé que les Kayastha bengalis, également membres des Bhadralok, étaient considérés comme des Satsudra et n’appartenaient donc pas aux hautes castes. Nous nous sommes demandé comment leur appartenance aux Bhadralok interagissait avec ce statut de caste inférieur et avons remarqué que ce nouveau statut de Bhadralok leur permettait de renégocier leur place au sein de la hiérarchie des castes. Pour approfondir ce constat, nous avons relu un ensemble de sources, qu’elles soient rédigées en anglais ou en bengali, afin d’y percevoir les signes des renégociations de caste menées par les Kayastha appartenant aux Bhadralok. Nous avons ainsi montré que les Kayastha saisirent d’abord les opportunités de projeter un statut de haute caste, puis qu’ils cherchèrent à légitimer ce statut en fabriquant des preuves scripturaires de leur appartenance au varna de Ksatriya, pour enfin en obtenir la reconnaissance par la population bengalie à travers l’équivalent de jugements de caste tels que les recensements décennaux et les verdicts prononcés par les tribunaux britanniques. En 1885, date à laquelle s’arrête cette thèse, les Kayastha n’étaient pas encore reconnus comme des Ksatriya. Nous invitons donc à remettre en question les connaissances établies à propos des Bhadralok en resituant leurs comportements dans le contexte singulier de la société bengalie du XIXe siècle, et ainsi en fournir une meilleure compréhension.