Thèse en cours

La subsistance dans la construction d’une culture vernaculaire de l’écologie. Une recherche par le projet, initiant une définition formelle, technique, et symbolique des nouvelles pratiques alternatives de résilience urbaine.

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Auteur / Autrice : Julie Brugier
Direction : Samuel BianchiniClaire BrunetEmanuele Quinz
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : SACRe, design
Date : Inscription en doctorat le 01/09/2016
Etablissement(s) : Université Paris sciences et lettres
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales (Paris ; 2010-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Équipe d'accueil SACRe - Sciences, arts, création, recherche (Paris)
établissement de préparation de la thèse : École nationale supérieure des arts décoratifs (Paris)

Mots clés

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Résumé

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Contexte sociétal, économique et/ou industriel Crise environnementale et urbanisme global La crise énergétique et environnementale que nous traversons aujourd’hui modèle depuis une dizaine d’années  un nouvel imaginaire de l’urbain. Des villes bioclimatiques construites de toutes pièces au Moyen-Orient (Masdar City, Abou Dabi), jusqu’aux projets du Grand Paris, on voit florir aux quatre coins de la planète de nouveaux projets d’urbanisme “vert”. La construction d’éco-quartiers, le mouvement des Villes en transition, ou encore les labels de Transition énergétique et écologique témoignent de cette “ écologisation ” des villes. Cependant, l’engouement généralisé pour la ville dite “intelligente” (Smart City) amène les décideurs à privilégier la haute performance énergétique et les technologies de pointe comme moyens d’action pour l’écologie urbaine. À cela s’ajoute l’uniformisation globale de ses formes construites. Au travers des grands projets d’aménagements urbains, l’architecture, l’urbanisme et le design mettent leurs armes au service d’un capitalisme esthétique, défini par le philosophe Olivier Assouly. Une esthétique mondialisée du durable se constitue au travers d’imaginaires souvent désincarnés, reproductibles, sans prendre en compte les spécificités géographiques, climatiques, culturelles et sociales. Ainsi, les grands aménagements de l’écologie urbaine nous apparaissent comme d’énièmes produits, consommés par les pouvoirs publics et les bailleurs privés, encore très éloignés des pratiques quotidiennes de vie des habitants. La subsistance : témoin d’un changement d’orientation dans la culture urbaine En marge des grands plans d’urbanisation des métropoles, la ville connaît une mutation plus discrète, d’une autre échelle, qui passe cette fois-ci par ses habitants, et qui répond aux enjeux de résilience urbaine d’une tout autre manière.  La prolifération de structures allant des jardins partagés, AMAP, composts collectifs, fab labs, éco-hacklab, recycleries participatives, ressourceries, jusqu’aux coopératives énergétiques, témoigne d’une autonomisation des citadins vis-à-vis du monde marchand. Ces initiatives autogérées de résilience urbaine, sont souvent hébergées par des structures associatives, montées avec peu de financements, et valorisent davantage le Low Tech, le Slow, l’autoproduction, le collaboratif et l’économie de moyens. C’est précisément sur ce second niveau d’action du développement durable que porte ma recherche, en le plaçant comme maillon essentiel de la construction d’une culture locale et vernaculaire d’écologie urbaine. D’autre part, ces lieux, installations éphémères ou pérennes, réintroduisent dans l’espace urbain des activités de subsistance. J’entends par là les activités humaines autonomes, non motivées par une idée d’échange, par lesquelles les individus font l’usage d’une ressource et répondent à des besoins essentiels. Auparavant, aller au lavoir était une activité de subsistance qui permettait de faire usage de l’eau, aujourd’hui récupérer l’eau de pluie des toitures pour alimenter des toilettes en est une autre. En 1980, Ivan Illich dans son ouvrage Le travail fantôme, dénonçait la disparition des activités de subsistance, et leur substitution par des produits marchands. Selon lui, la consommation imposerait un labeur qui éclipse le mieux-être qu’elle promet. Aujourd’hui, la réapparition d’activités de subsistance en milieu urbain confirme la volonté des citadins de s’extraire du système marchand, par la reprise en main de la fabrique, de l’acheminement et de l’accessibilité de nos ressources (eau, nourriture, énergies, internet, matériaux, etc.). C’est ainsi que dans le département de l’Yonne, une association de passionnés d’informatique (PcLight) s’est improvisée fournisseur d’accès à internet en câblant toute une zone blanche (zone non alimentée par les opérateurs privés), le tout à l’aide de technologies simples et peu coûteuses. Ces initiatives invitent à repenser le développement territorial, l’organisation urbaine, la relation entre producteurs et consommateurs, et contribuent à renouveler la façon dont le développement durable est aujourd’hui envisagé. C’est au travers de ces nouvelles pratiques vernaculaires, dans ces lieux associatifs et alternatifs que semble aujourd’hui poindre une culture locale et urbaine de l’écologie. La subsistance n’y est plus une contrainte, mais bien un choix, une valeur, un moyen de renouveler nos modes d’habiter. C’est ce que cette recherche tentera dans un premier temps de démontrer. Vers une réintroduction de la gratuité en milieu urbain : redécouverte de nos communs naturels Par ailleurs, la réapparition d’activités de subsistance réactualise dans l’espace urbain des brèches de gratuité longtemps oubliées : nos communs naturels. En effet, l’eau de pluie, le compost, la lumière du soleil, et le vent sont autant de ressources accessibles et disponibles pour tous dans l’espace urbain. Depuis peu, ces dernières suscitent de l’intérêt auprès des citadins, devenant de potentielles sources d’énergie gratuites et inépuisables (récolte d’eau pluviale dans les habitats coopératifs, chauffage d’espaces associatifs au biogaz, etc.). L’irruption d’alternatives portées par les enjeux de la crise environnementale met donc aujourd’hui en lumière des communs inexploités, en libre accès pour tous. Contexte Scientifique Les nouveaux aménagements de subsistance : une solution pour la résilience urbaine La réapparition d’activités de subsistance, nous amène à nous pencher sur les aménagements qui les accompagnent. J’entends par là l’ensemble des constructions (éphémères ou pérennes) qui prélèvent, transportent, mettent à disposition une ressource à un individu ou à une collectivité - moyennant finance ou en libre accès. Ces aménagements furent nombreux par le passé - fontaines, moulins, puits, pompes, béliers hydrauliques, séchoirs, composts, réservoirs, pigeonniers, etc. - mais ils ne sont aujourd’hui plus utilisés et se sont inscrits dans nos petits patrimoines régionaux. Ils nous intéressent ici car ils induisent par leurs usages et leurs formes un rapport particulier aux ressources, à l’environnement, et à la nature. Ils peuvent en cela être porteur d’aménité, comme la fontaine qui met en scène la présence de l’eau et en permet l’usage quotidien. Ce type d’aménagements construits sont actuellement peu présents en milieu urbain. Les seuls dont nous avons encore l’usage sont les fontaines d’eau potable (et non potable), les toilettes publiques, les panneaux solaires ou encore les petites éoliennes partagées. Ainsi, la première hypothèse que pose ce projet de recherche est la suivante : dans le contexte de crise environnementale et de transition urbaine, le design a un rôle crucial à jouer, pour inventer des aménagements de subsistance contemporains qui mettent en scène dans l’espace public les ressources naturelles en présence (vent, eau, énergies, aliments). L’espace public peut-il devenir le lieu du libre accès aux communs naturels (eau, vent, énergies renouvelables) ? Ce libre accès peut-il assister durablement les crises sociales les plus urgentes (grande pauvreté, hébergement d’urgence, migrations, campements) ? Quels imaginaires le design peut-il alors constituer autour de ces nouvelles pratiques de subsistance ? Quel paysage pour ce nouveau territoire des ressources locales et renouvelables ? Pour répondre à l’hypothèse précédemment énoncée, ce projet de recherche considèrera la subsistance comme une valeur positive, ouvrant un vaste champ d’expérimentations et d’innovations pour le design. La subsistance comme mode de vie : un enjeu fort pour les disciplines créatives Beaucoup d’artistes, d’architectes, et de designers se sont penchés par le passé sur les questions de subsistance. Une véritable histoire de la subsistance dans les disciplines créatives pourrait être constituée, se divisant en deux approches. D’un côté ceux qui s’attaquent à la subsistance comme milieu ou terrain de conception : Lucy Orta ou encore Krzysztof Wodiczko et son Homeless vehicule project. De l’autre côté, ceux qui posent la subsistance comme une valeur positive capable de renouveler nos cadres et modes de vie, accompagné d’un idéal symbolique et esthétique. On peut ici citer le mouvement des Arts and Crafts, le Phalanstère de Fourier, l’architecture et le design utopiste dont le collectif américain Ant Farm, mais aussi le design radical italien des années soixante, Archizoom Associati, Superstudio, ou encore les Néotribalistes, et de manière plus récente le mouvement du Slow Design. La question de l’écologie s'insère également dans ce champ de réflexion. Stevens Grahams dans son œuvre Desert Cloud de 1972 propose une structure volante soulevée uniquement par la chaleur du soleil, produisant des points d’ombre dans le désert. Cette pièce constitue un réel manifeste pour une architecture écologique. Les travaux et écrits de l’architecte inventeur Richard Buckminster Fuller méritent également d’être cités. Écologiste avant l’heure, il s’intéresse déjà dans les années 1960 aux énergies renouvelables et expérimente de nouveaux modèles architecturaux. De manière plus contemporaine, on peut pointer le travail de l’artiste Tomas Saraceno et son expérience Aerocene de 2015, dans laquelle il construit une structure capable de transporter une personne - soulevée par la simple énergie du soleil - une manière de revoir nos déplacements terrestres sous l’angle de l’autonomie et de la poésie. Le jeune collectif de designers Land Art Generator Initiative travaille sur le développement d’infrastructures de production d’énergie renouvelable et questionnent les formes construites des technologies vertes. Dans leur projet Windnest, ils proposent des installations pour l’espace public, constituées de générateurs d’énergie éolienne et solaire, mais dans lesquels la question de la mise à disposition de cette ressource ne se pose malheureusement pas encore. Ainsi, une grande effervescence anime aujourd’hui la scène créative autour de ces sujets. Vers un rapport plus convivial aux techniques : pour un open source de nos ressources naturelles? On ne peut aborder la question des aménagements de subsistance sans aborder la question de la technique. En effet, celle-ci a toujours joué un rôle dans la mise en forme physique de nos moyens de subsistance - qu’il s’agisse d’outils (la charrue), de machines (la machine de Marly de Louis XIV), ou d’aménagements collectifs (les puits et lavoirs du XIXe et XXe siècle). Il sera intéressant ici de se pencher sur ce que les techniques ont pu construire comme rapport entre l’homme et son environnement naturel. Quels nouveaux imaginaires de la technique dans un contexte de restriction des ressources et d'empathie environnementale ? À l’ère du numérique, la question de la technique se pose de plus en plus vivement pour les concepteurs de nos cadres de vie. La technique est bien souvent masquée ou rendue peu accessible aux usagers. Cela freine la construction d’une réelle culture des objets et des lieux, ces derniers n’étant pas profondément apprivoisables. Le philosophe Gilbert Simondon dénonce, dans son ouvrage Du mode d’existence des objets techniques, la domination de la technique par l’économie, et la production d’objets techniques fermés. La technique pouvait selon lui devenir médiation entre nature et sacré. Il prônait d’ailleurs un rapport d’amicalité à l’égard des machines, et les définissait comme objets potentiellement éternels - un pied de nez à l’obsolescence programmée de nos objets du XXIe siècle. On peut également citer le philosophe André Gorz, qui dans son ouvrage Écologica de 2008 distingue les technologies ouvertes qui favorisent la coopération - des technologies verrous qui dépossèdent l’homme de son milieu de vie. Les écrits d’Ivan Illich nourrissent également ce débat en opposant l’activité de subsistance au travail fantôme généré par la consommation, et en définissant les techniques conviviales qui accroissent le champ de l’autonomie. On retiendra surtout sa volonté de réhabiliter la valeur d'usage au détriment de la valeur d'échange (Le travail fantôme, Éditions du Seuil, 1981). Le dérèglement de notre rapport aux techniques se manifeste aujourd’hui par la fermeture de l’ensemble des objets de nos cadres de vie, et par leur inévitable obsolescence prématurée (souvent même programmée). La lutte citoyenne pour la réhabilitation de la technique prend aujourd’hui une ampleur d’autant plus grande que le numérique s’est installé profondément dans nos vies. Elle se manifeste au travers de grands mouvements citoyens, comme celui de l’open source et des hackers, ou encore celui du réemploi et du D.I.Y (Do It Yourself), initié par le designer Enzo Mari il y a déjà une trentaine d’années. En luttant pour une “ouverture” des systèmes techniques, ces initiatives recherchent avant tout à instaurer des cadres de vie plus durables et plus “connaisseurs”. Ils participent en cela à la construction d’une culture de l’écologie. On pourra s’appuyer sur les recherches du designer Ernesto Oroza, notamment sur son analyse de la désobéissance technologique observées à Cuba, aux riches créations populaires qui y sont nées, et à ce qu’il nomme la production industrielle vernaculaire. Ce designer-chercheur offre une analyse des rapports qu’entretiennent les crises économiques et l’invention populaire, au travers d’une démarche très singulière, située entre la pratique, le terrain et la théorie. Il s’agira donc durant cette thèse, d’interroger la relation entre l’homme et son environnement au travers des techniques, et la manière dont la crise environnementale se couple aujourd’hui à une volonté de réhabilitation connaisseuse de celles-ci. Après avoir été longtemps au service du progrès scientifique et de l’économie, la technique pourrait devenir une arme au service de la résilience urbaine, voire de la décroissance.