Thèse en cours

Les bombardements alliés sur la France pendant la Seconde Guerre mondiale

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Auteur / Autrice : Boris Leval-DuchÉ
Direction : Olivier Wieviorka
Type : Projet de thèse
Discipline(s) : Histoire, histoire de l'art et archéologie
Date : Inscription en doctorat le 01/09/2012
Etablissement(s) : université Paris-Saclay
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Sciences de l'Homme et de la société (Sceaux, Hauts-de-Seine ; 2015-2020)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut des sciences sociales du politique (Nanterre ; 2006-....)
établissement de préparation de la thèse : École normale supérieure Paris-Saclay (Gif-sur-Yvette, Essonne ; 1912-....)

Mots clés

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Résumé

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Ma thèse, commencée en septembre 2012, porte sur les bombardements alliés qui ont touché la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Je suis parti du constat suivant : si la France a été le pays d’Europe le plus affecté, derrière l’Allemagne, par les attaques aériennes du second conflit mondial – en cinq années de guerre, les bombes alliées ont causé la mort de plus de 60 000 civils et la destruction de plusieurs dizaines de villes françaises –, les bombardements demeuraient très mal connus, dans l’ombre à la fois de la mémoire nationale et de la connaissance historique. À l’origine, l’orientation qui guidait mes recherches était très large : une histoire politique, diplomatique, militaire, économique, sociale et culturelle des bombardements, pour laquelle il s’agissait de varier les points de vue afin de saisir le phénomène dans son ensemble. L’étude se voulait transversale, depuis les débats et la prise de décision au sommet, issus d'une certaine stratégie militaire, jusqu'aux conséquences matérielles et psychologiques à court, moyen et long terme sur la population et la société française, en passant par le déroulement de l'acte militaire lui-même, du point de vue respectif des assaillants, des défenseurs et des civils, et par les mesures prises « à terre » pour limiter les dégâts. Un sujet large, donc, qui par conséquent mobilise un répertoire de sources très vaste et très varié. Au cours des trois premières années de ma recherche, j’ai donc dépouillé un vaste corpus de sources, conservées dans de nombreux centres d’archives en France comme à l’étranger : archives nationales britanniques (à Londres) et américaines (à Washington), Bibliothèque du Congrès de Washington et archives du Président Eisenhower à Abilene (Kansas) ; en France, archives nationales (à Pierrefitte-sur-Seine), archives de la Défense à Vincennes et archives diplomatiques à La Courneuve. Je me suis d’abord intéressé au processus de décision et aux difficultés spécifiques que pose le bombardement de la France dans la stratégie alliée, du point de vue tant militaire que politique, diplomatique et psychologique. Ont en particulier retenu mon attention la question délicate des victimes civiles et à la manière dont les stratèges alliés ont conçu l’acte de bombarder eu égard à l’opinion française et à l’équilibre futur du continent européen, en vue de l’après-guerre. Le but était ainsi de comprendre pourquoi et comment les Alliés ont bombardé, en se plaçant du point de vue des « décideurs » pour analyser les enjeux stratégiques de cette guerre aérienne. Ma réflexion sur la signification des bombardements sur la France dans l’esprit des stratèges alliés a notamment fait l’objet d’un article publié dans la revue Urbanités en mai 2015 (http://www.revue-urbanites.fr/wp-content/uploads/2015/05/Urbanite%CC%81s-5-Leval-Duche%CC%81.pdf). Entre temps, au printemps 2014 était paru un ouvrage de synthèse qui faisait le point en une quinzaine de chapitres concis sur la plupart des grands aspects du sujet : œuvre d’un historien anglais, Andrew Knapp (Les Français sous les bombes alliés, 1940-1945), il m’a dans une certaine mesure coupé l’herbe sous le pied, puisque son approche synthétique s’est avéré être proche de celle que je comptais mettre en œuvre. Paru la même année, un ouvrage d’un autre éminent historien anglais, Richard Overy, (The Bombing War. Europe 1939-1945), comporte un chapitre consacré au bombardement du territoire français et notamment à la tension, au sein de l’état-major allié, entre impératifs militaires et préoccupations politiques et morales à l’idée de tuer des civils français (point par lequel j’avais commencé ma recherche). J’ai par ailleurs appris qu’une thèse avait été soutenue à l’Université Paris-IV à la fin de l’année 2015, sur un aspect essentiel de la stratégie de bombardement alliée à la veille du débarquement de Normandie (printemps 1944) : le Transportation Plan (Jean-Charles Foucrier, Le Transportation Plan : histoire et représentations, sous la direction de Jean-Paul Bled). Je n’avais jusqu’alors jamais entendu parler de cette thèse et de son auteur, malgré la dizaine de colloques au cours desquels j’ai présenté mes recherches depuis le début de mon travail. Ces deux parutions, ainsi que cette thèse m’ont contraint à réorienter ma recherche et à reconsidérer la manière dont j’abordais le sujet pour adopter un point de vue moins vaste et me concentrer sur les aspects peu traités dans ces trois productions. De point aveugle de l’historiographie, les bombardements alliés étaient devenus un nouveau champ de recherche dynamique dans lequel il fallait que je trouve ma place. J’ai donc réalisé un état de la recherche qui a donné lieu à une intervention lors d’un colloque au Havre en septembre 2014, et à une publication dans un ouvrage collectif sur le thème des bombardements (« Les bombardements alliés dans l’histoire des années noires : historiographie et perspectives » in Bombardements 44, Presses Universitaires de Rouen et du Havre (PURH), collection « Histoire et patrimoines », juillet 2016), qui a confirmé le dynamisme du domaine de recherche. Certes, le « déblayage » du sujet est en bonne voie d’accomplissement. Mais l’émergence très récente du champ indique que le travail est loin d’être fini. Si le sujet a été bien défriché, il reste en effet de nombreuses pistes à explorer. J’ai donc entamé au cours de ma quatrième année une réflexion sur les répercussions sociales des bombardements sur la population et l’État français pendant la guerre. Les témoignages recueillis notamment au Mémorial de Caen et un séjour aux archives municipales de Nantes m’ont permis de lancer un travail sur la manière dont les bombardements ont été racontés, remémorés ou au contraire passés sous silence voire oubliés à la fois pendant et après la guerre ; ainsi que sur la façon dont les autorités françaises (dans le climat politique et moral spécifique de la France de Vichy) ont géré ces événements qui ont été dans la plupart des villes et pour la plupart des Français les seuls qui concrétisaient la violence de la guerre en cours. On remarque par exemple la distribution de « primes de fidélité » pour les fonctionnaires demeurés à leur poste sous les bombardements, et à l’inverse des blâmes, des sanctions ou des renvois pour ceux qui n’ont pas accompli leur tâche : la vie civile, confrontée directement à la violence de guerre, finit par se conformer en partie aux usages militaires, et les victimes civiles sont rangées dans des catégories (héros, lâches ou traîtres) qui sont bien celles de la guerre. Se dégage ainsi une vision normée de l’attitude à avoir ou au contraire à ne pas avoir sous les bombes ; une manière « civile » d’être en guerre, une sorte d’éthique civile et civique de la guerre. De nombreux documents concernent aussi l’octroi d’aides financières ou matérielles aux populations bombardées, qui signalent le rôle spécifique tenu par Vichy, recouvrant toutes les dimensions de la catastrophe dans une entreprise de gestion à visée exhaustive. Ces archives sur l’organisation des secours et de l’assistance et la prise en charge des dommages de guerre permettent de mettre en perspective l’émergence d’un État-Providence et d’établir à ce sujet une continuité avec l’État d’après-guerre. Par-delà leur dimension catastrophique, les bombardements apparaissent d’ailleurs dans ces archives comme des leviers permettant à l’État français de construire une nouvelle communauté nationale fantasmée : en ces occasions, la propagande de Vichy développe une rhétorique très précise pour exprimer l’idée que la France humiliée, traumatisée et occupée non seulement existe encore, mais peut encore se prévaloir de motifs de fierté (puisqu’elle est meurtrie, puisqu’elle se relève, puisqu’elle compte encore des héros qui sont ceux du quotidien, ces nouveaux héros de cette nouvelle guerre). Ces documents doivent permettre de retracer la fabrique d’un discours officiel sur la France vaincue et relevée, le mythe d’une France unie sous les bombes qui permet de recréer une forme d’identité (d’honneur ?) nationale – un mythe puisque si un sujet fut précisément clivant dans la France occupée, c’est bien peut-être celui des bombardements alliés, comme le montrent par ailleurs les sources faisant état de l’opinion des Français sur le sujet. À partir de cette ébauche, mon but serait donc de recentrer mon travail sur une histoire sociale et anthropologique des bombardements, c’est-à-dire une étude de la société et de la population françaises en guerre au prisme des bombardements : la manière dont les liens sociaux se sont préservés, modifiés et reconstruits sous les bombes. À ce sujet, mes recherches aux archives britanniques et américaines resteraient profitables, par exemple une documentation abondante trouvée à Washington sur les rapports entre les pilotes abattus dans le ciel français et la population française (qui leur prêtent assistance ou les dénoncent) – les « Missing Air Crew Reports » et les « Evasion & Escape Reports » disponibles aux archives américaines et britanniques et qui donnent un aperçu inédit des rencontres entre la population française et ceux qui bombardaient la France, en relatant le sort des pilotes abattus dans le ciel français ; mais aussi de nombreux rapports des services secrets anglais et américains sur la population française sous les bombes. Je souhaiterais mettre à profit l’année 2016-2017 pour achever mon travail d’archives, en systématisant le travail réalisé à Nantes et dans certaines municipalités bombardées de la région parisienne (notamment Boulogne-Billancourt) par la visite d’un certain nombre de centres d’archives de province, dans une visée comparatiste : a priori, encore quatre ou cinq à choisir entre Lyon, Saint-Étienne, Marseille, Lille, Rouen, Brest, Lorient et Royan – à raison de deux à trois jours sur place par centre d’archives. Un séjour à Lorient et à Brest est déjà prévu fin octobre. Il me restera encore à consulter les documents portant sur les bombardements aux archives de la Préfecture de Police de Paris (au Pré-Saint-Gervais). Une fois ce travail de terrain achevé, je compte achever la retranscription de mes archives l’été prochain, et entamer à l’automne 2017 la rédaction, pour une soutenance fin 2018.