Du désenchantement du matériel au choix du nécessaire : la pratique néo-chamanique, une voix vers un réenchantement spirituel.
Auteur / Autrice : | Benjamin Orliange |
Direction : | Réjane Hamus-vallee |
Type : | Projet de thèse |
Discipline(s) : | Sociologie, démographie |
Date : | Inscription en doctorat le 01/10/2015 |
Etablissement(s) : | université Paris-Saclay |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences de l'Homme et de la société (Sceaux, Hauts-de-Seine ; 2015-2020) |
Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre Pierre Naville |
établissement de préparation de la thèse : Université d'Évry-Val-d'Essonne (1991-....) |
Mots clés
Mots clés libres
Résumé
En France, le compagnonnage chamanique1 consiste pour l'organisation qui le propose en une initiation au chamanisme à des amateurs désireux de parfaire leurs connaissances et pour certains de devenir chamane. Cet enseignement se déroule sur trois ans et est composé de weekends pendant lesquels le candidat franchit plusieurs étapes dans son parcours initiatique. Organisées un peu partout en métropole, dans les campagnes, ces séances ont été mises au point par les chamanes à l'origine de la création de ce compagnonnage qui vise à une guérison personnelle par l'enseignement spirituel. Le chamanisme est ici enseigné à la fois pour soi et pour l'autre. C'est aussi un point d'ancrage dans le maintenant, le monde tel qu'il est, urbain et rural dans une société mondialisée qui souffre d'un profond morcellement auquel le chamane doit faire face pour proposer ses guérisons. A travers le parcours initiatique, l'individu renoue avec son environnement proche (le lieu de transmission du savoir) qui constitue le point de départ pour lui permettre ensuite de se tourner vers l'extérieur, vers l'autre. L'enseignement qu'il reçoit est divers au sens où les initiateurs chamanisent selon le courant auquel ils se rattachent (chamanisme d'Amérique Latine, Sibérie ). L'enseignement proposé consiste alors en un passage d'une pratique à l'autre en fonction de l'initiateur présent lors de ces différents weekends. L'approfondissement des connaissances se fera à l'issue du compagnonnage en fonction du désir du futur chamane de s'orienter vers une pratique plutôt qu'une autre. Cela pourra l'amener à se rendre dans les lieux d'origines du courant chamanique dont il souhaite approfondir ses connaissances. Le temps consacré à cet approfondissement dépend entre autre de la capacité de l'individu de financer ses weekends, déplacements, ainsi que son hébergement. Le coût de l'inscription est de 140 euros pour l'année et de 180 euros par weekend (hors frais de déplacement, d'hébergement). Si les services du chamane se sont toujours effectués sous forme de troc ou d'échange monétaire, l'initiation elle, était faite par les esprits. Le présent projet ne compte pas remettre en cause l'enseignement dispensé, mais plutôt de voir que la consultation d'un chamane peut être perçue comme un recours pour nos sociétés à une absence de repères spirituels. Le regard et le retour à la nature qu'il induit pourrait être l'ultime remède à une perte de sens (et de quel sens ?) chez les habitants des villes. L'initiation au chamanisme sous cette forme permet d'interroger son rôle social : pourquoi et qui s'initie au chamanisme aujourd'hui en France ? Cela revient à s'intéresser à la fois aux initiateurs et aux trajectoires des initiés. Parallèlement à la situation en France métropolitaine, en Sibérie, pendant l'été à olkhon, la plus grande île du lac Baïkal, la population de Khoujir est multipliée par quatre avec l'arrivée de touristes Russes, Européens, Asiatiques malgré le manque d'infrastructure pour les accueillir2. Les agences proposant des séjours touristiques ne manquent pas de rappeler que ce territoire est une terre de chamane. Certains parmi eux proposent leurs services facturés 100 dollars aux visiteurs3. A Touva, les chamanes se sont regroupés en associations, ce qui entraine une institutionnalisation des pratiques qui s'effectuent maintenant majoritairement en zone urbaine et participent à la remise en question de la manière dont un chamane est consacré comme tel aujourd'hui. Autrefois, son mode d'élection était inné, le futur chamane était initié par les esprits. La formalisation des pratiques dans lesquelles il peut être difficile pour un non initié de distinguer le chamane du charlatant entraine une redéfinition de son rôle par rapport aux demandes touristiques et aux attentes locales. A cet égard, Charles Stépanoff propose la définition suivante : « ensemble cohérent de schèmes représentationnels et de dispositifs relationnels qui impliquent logiquement et favorisent pratiquement une discontinuité entre des profanes et des chamanes »4. « Le chamanisme Bouriate ne cesse de se recomposer au gré des transformations sociales5». À travers l'exemple du tourisme chamanique sur l'île d'olkhon, on constate une recomposition sous deux formes : la première serait à des fins économiques et pratiquée par des non-chamanes tandis que la seconde qui se traduit par un regroupement associatif proviendrait d'un désir de préserver cette culture des influences étrangères, et d'une crainte des répressions6*. La lutte pour la pérennité du chamanisme ne se poserait pas dans une opposition binaire entre sa marchandisation et sa pratique « traditionnelle7 » mais plutôt en considérant que la nécessité de la consultation d'un chamane par le touriste et/ou la population locale permet d'en révéler le rôle social. On constate un double mouvement chez les populations européennes et plus particulièrement françaises à propos de l'intérêt qu'elles portent envers le chamanisme. Celui-ci va de l'intérieur vers l'extérieur pour ceux qui s'initient en France, et du lointain vers l'environnement proche pour ceux qui reviennent de Sibérie. D'un côté, l'intérêt va jusqu'à une initiation pour devenir chamane, tandis qu'il est plus éphémère pour ceux qui consultent lors d'un séjour touristique. Le présent projet émet l'hypothèse que ce double mouvement recouvre des agréments de mêmes natures pour les individus intéressés ou pratiquant le chamanisme : la recherche du symbolique, de repères spirituels, éthiques et moraux dans un monde mondialisé.