Thèse soutenue

Politiser le harcèlement de rue : la constitution d'un problème public aux Pays-Bas et en France

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Auteur / Autrice : Mischa Dekker
Direction : Cyril LemieuxJan Willem Duyvendak
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Sociologie
Date : Soutenance le 12/05/2021
Etablissement(s) : Paris, EHESS en cotutelle avec Universiteit van Amsterdam
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales
Jury : Président / Présidente : Yannick Barthe
Examinateurs / Examinatrices : Yannick Barthe, Anne Revillard, Sarah Bracke, James M. Jasper, Cornelia Maria Roggeband
Rapporteurs / Rapporteuses : Anne Revillard, Marylène Lieber

Résumé

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Cette thèse propose une analyse de la constitution du harcèlement de rue comme objet de débat et de politique publique aux Pays-Bas et en France. Si cette comparaison montre des différences nationales récurrentes dans l’appropriation de la notion de « harcèlement de rue », elle montre également un point commun important entre la France et les Pays-Bas d’aujourd’hui. Si le fait de blâmer les victimes et de minimiser des actes politisés comme « harcèlement de rue » est encore courant dans des contextes non-publics, une fois exprimées dans des débats politiques ou dans les médias, de telles positions sont en général sévèrement critiquées, déclenchant alors des attentes d’excuses ou une reformulation du propos de la part de leurs premier·e·s énonciat·eur·rice·s. Alors que, depuis dix ans, le harcèlement de rue est devenu l’objet de condamnations publiques aux Pays-Bas et en France, qu’est-ce qui explique que sa politisation ait produit un tel malaise et une telle polarisation dans ces sociétés, et que les réponses locales afin d’y répondre aient été si variables ?Notre recherche est constituée de 104 interviews avec les acteurs et actrices principa.ux.les investi.e.s dans ce problème public – des politicien.ne.s, des fonctionnaires, des militant.e.s, des chercheu.r.se.s et des journalistes –, environ 250 heures d’observations de réunions organisées par ces personnes, et l’analyse de 380 articles de presse, ainsi que d’environ 230 documents d’action publique et militants, et des rapports de recherche.Cette thèse s’inscrit dans la continuité des travaux sur les problèmes publics et sur la « production des victimes ». Si la plupart des travaux dans ces domaines focalisent principalement leur attention sur les objectifs positifs que les personnes tentent d’accomplir – changer une loi, sensibiliser le grand public – et sur ce qui permet ou empêche ces personnes de les atteindre, de nombreuses personnes que nous avons rencontrées sur le terrain cherchent à éviter certaines façons d’aborder cette question. Certain.e.s militant.e.s français.e.s, par exemple, évitent de mentionner aux médias le profil ethnoculturel des personnes qui harcèlent par appréhension que cette information puisse être « instrumentalisée » par des partis de droite afin de justifier des politiques migratoires plus restrictives. Comme alternative à la notion de « blame avoidance », qui réduit l’action sociale à la logique de stratégie instrumentale, nous proposons d’analyser ces conduites d’évitement par l’usage du terme « appréhension ».Malgré des différences entre les arènes considérées – le journalisme, le militantisme, l’action publique – on observe des similitudes importantes entre les façons dont les personnes ont abordé la question du harcèlement de rue dans chaque pays. En France, les militantes féministes sont les premières entrepreneuses morales sur ce sujet, et l’ont encadré comme une question de domination masculine et une violence faite aux femmes. Aux Pays-Bas, au contraire, la question a été mise sur l’agenda politique par des politicien.ne.s de droite. Ces dernier.e.s ont encadré le harcèlement de rue comme une perturbation de l’ordre public créée par des jeunes hommes racisés. Cette thèse propose une explication configurationnelle de la « culture nationale » qui met l’accent sur l’interaction : un haut degré d’homogénéité nationale ou l’absence de celle-ci peut être expliqué par le degré d’interdépendance entre les arènes.Tandis que la crainte de blâmer la victime s’est généralisée, ce que nous appelons des appréhensions de « second degré » – notamment des inquiétudes concernant la stigmatisation des hommes racisés – ont créé des hésitations chez des personnes à s’approprier la catégorie de « harcèlement de rue » et des désaccords sur la meilleure façon de combattre ces actes. Cela a mené à une polarisation à propos de quelque chose dont presque tout le monde, au moins publiquement, était d’accord de définir comme un problème.