Racialiser les publics de la old-time music et de la race music (1920-1945) : une autre histoire de la ségrégation
Auteur / Autrice : | Manuel Bocquier |
Direction : | Romain Huret, Sara Le Menestrel |
Type : | Thèse de doctorat |
Discipline(s) : | Histoire et civilisations |
Date : | Soutenance le 08/01/2025 |
Etablissement(s) : | Paris, EHESS |
Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale de l'École des hautes études en sciences sociales |
Jury : | Président / Présidente : Gabriel Segré |
Examinateurs / Examinatrices : Gabriel Segré, Laurence Cossu-Beaumont, Anne Stefani, Nicolas Barreyre, Paul Schor | |
Rapporteurs / Rapporteuses : Laurence Cossu-Beaumont, Anne Stefani |
Mots clés
Résumé
Cette thèse est une histoire sociale des publics de la race music et de la old-time music. Catégorisées et commercialisées à partir des années 1920, ces deux musiques inondent le marché et sont respectivement identifiées à la population noire et à la population blanche et associées au Sud des États-Unis. Ce travail étudie la racialisation de ces musiques et de leurs publics, ainsi que les effets de ce processus sur les pratiques de consommation de la musique. La première partie analyse le rapport entre les représentations de la old-time music et de la race music et de leurs consommateurs, d’une part, et les pratiques de consommation de ces musiques dans les magasins de disques des années 1920, d’autre part. En passant des représentations des consommateurs aux pratiques de consommation, je montre qu’en réalité la ségrégation musicale en amont de la production ne se retrouve pas dans la vente et l’achat de disques dans les magasins de musique : les maisons de disques ségréguent race music et old-time music dans des définitions et des représentations racialement opposées, mais les magasins les vendent ensemble à des consommateurs noirs et blancs, au sein d’une offre musicale plus large. Si les représentations racialement et régionalement distinctes des consommateurs de la musique n’agissent pas sur la manière dont la musique est effectivement consommée, elles construisent en revanche des publics légitimes et des publics illégitimes de la old-time music et de la race music et appuient des pratiques discriminatoires à l’encontre des consommateurs noirs dans les magasins. À travers l’analyse de lettres d’auditeurs et d’auditrices envoyées à des programmes radiophoniques de old-time music pendant les années 1930, la seconde partie montre l’identification de la old-time music à la population blanche et les effets de cette identification sur la composition de l’audience et les usages de cette musique. Elle met en lumière une audience hétérogène, sans lien avec le Sud ni avec la ruralité, qui s’approprie pourtant le discours sur l’authenticité du Sud rural. Alors que les consommateurs noirs ont accès à tout type de musique dans les magasins de disques, cette partie montre que la racialisation de la old-time music a pour effet concret de rendre illégitimes les auditrices et auditeurs noirs à interagir avec les programmes de old-time music et à leur écrire des lettres. La troisième partie étudie les effets de la racialisation des publics de la old-time music et de la race music sur l’écoute de la musique dans les juke-boxes à partir de la fin des années 1930. Elle démontre que les goûts musicaux ne sont pas aussi racialement stricts que pour les disques et la radio : en dépit d’une identification récurrente à la race music, les Africains-Américains apparaissent désormais comme légitimes à consommer tous types de musiques ; old-time music et race music sont proposées ensemble dans des espaces fréquentés par des Africains-Américains et dans des espaces fréquentés par une clientèle blanche. Alors que consommateurs noirs et blancs se rendent dans les mêmes magasins de musique, cette partie met en lumière que l’hétérogénéité des goûts musicaux visible dans l’usage des juke-boxes prend cependant place dans des établissements fortement ségrégués.