Thèse soutenue

Identification d'anticorps spécifiques aux curares : Des patients allergiques jusqu'aux applications thérapeutiques

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Auteur / Autrice : Alice Dejoux
Direction : Pierre BruhnsAurélie Gouel-Chéron
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Biologie moléculaire et cellulaire
Date : Soutenance le 21/06/2024
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Physiologie, Physiopathologie et Thérapeutique (Paris ; 2000-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Institut Pasteur (Paris). Anticorps en Thérapie et Pathologie
Jury : Président / Présidente : Nathalie Heuzé-Vourc'h
Examinateurs / Examinatrices : Dan Longrois, Sophie Siberil
Rapporteurs / Rapporteuses : Sinisa Savic, Mauro Gaya

Mots clés

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Résumé

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Le rocuronium (roc) est un curare de 530Da utilisé lors des interventions chirurgicales afin de bloquer la jonction neuromusculaire des muscles striés squelettiques, facilitant ainsi l'intubation et la chirurgie. Les curares ont deux effets secondaires graves : l'hypersensibilité aiguë (1:10,000 procédures d'anesthésie) et la curarisation résiduelle persistante après la fin de l'intervention chirurgicale en l'absence de monitorage adapté. Le roc est un curare non dépolarisant largement utilisé, induisant un blocage neuromusculaire de durée intermédiaire et possédant l'incidence d'anaphylaxie la plus élevée. Les causes les plus plausibles d'anaphylaxie aux curares demeurent l'existence d'anticorps anti-curares chez les patients, impliquant des lymphocytes B spécifiques. Cependant, aucun anticorps spécifique anti-roc n'a été décrit et aucun outil biologique n'existe pour les détecter. Un seul médicament approuvé, le sugammadex, peut inverser le blocage neuromusculaire profond induit par le roc, mais ce médicament provoque aussi des effets secondaires allergiques. Ce travail a donc étudié les répertoires d'anticorps IgG des patients allergiques aux curares afin de comprendre leurs (poly)clonalité et d'identifier des anticorps susceptibles d'antagoniser le blocage neuromusculaire profond.Le roc étant une petite molécule non immunogène et chimiquement inerte, de nouveaux bioconjugués de roc ont d'abord été produits par couplage sur une protéine porteuse (phénomène d'hapténisation). Le répertoire d'anticorps des lymphocytes B mémoire de patients présentant une hypersensibilité suspectée au roc a ensuite été étudié à l'aide d'un système de culture cellulaire différenciant les lymphocytes B mémoire spécifiques en plasmocytes. Les anticorps ont été caractérisés par mesures d'affinité et de spécificité et, à l'aide d'outils bioinformatiques, les répertoires d'anticorps ont été analysés chez trois patients. Des anticorps spécifiques au roc provenant de souris immunisées ont également été générés par des méthodes distinctes: hybridomes et tri microfluidique. Les résultats montrent que les répertoires d'anticorps IgG anti-roc des patients allergiques sont polyclonaux, avec une grande diversité parmi les gènes V(D)J codant pour les régions variables sans preuve de groupes clonaux. Les anticorps se sont avérés posséder une affinité moyenne à faible, mais celui ayant la plus forte affinité a réussi à activer les mastocytes et à déclencher une anaphylaxie passive chez des souris transgéniques sous forme d'isotype IgE. Les anticorps isolés de souris immunisées étaient cependant d'une forte affinité et les répertoires oligoclonaux avec des familles V(D)J prédominantes. Exprimés sous forme d'IgE humains, les anticorps ont déclenché la dégranulation des mastocytes, des basophiles et ont induit une anaphylaxie systémique passive avec de très faibles doses d'anticorps et d'antigène. Leurs modes de fixation avec le roc ont été décryptés par cristallographie, permettant d'identifier l'ammonium quaternaire comme l'épitope allergènique potentiel. Un modèle prophylactique de prévention du blocage neuromusculaire a été établi chez la souris pour tester la capacité des anticorps à capturer le roc in vivo. L'anticorps avec la plus grande affinité pour le roc a réussi à inhiber le blocage neuromusculaire profond dans un modèle de primates avec un temps d'antagonisation compétitif avec le sugammadex. Nous rapportons pour la première fois les répertoires d'anticorps dirigés contre les curares provenant d'humains et décrivons les premiers anticorps monoclonaux anti-roc en termes de spécificité, d'affinité, de structure et d'efficacité thérapeutique. Ce travail devrait permettre d'élucider les causes sous-jacentes des réactions d'hypersensibilités aiguës aux curares, d'améliorer les outils de diagnostic et de valider une nouvelle stratégie thérapeutique potentielle pour l'antagonisation du blocage neuromusculaire.