Thèse soutenue

Arts d'aimer et livres de conduite. Discours prescriptifs pour les femmes au Moyen Âge

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Auteur / Autrice : Claudia Tassone
Direction : Sylvie LefèvreRichard Trachsler
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Littératures du Moyen Âge
Date : Soutenance le 15/06/2024
Etablissement(s) : Sorbonne université en cotutelle avec Universität Zürich
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Mondes anciens et médiévaux (Paris ; 2000-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Études et édition de textes médiévaux (Paris ; 2008-....)
Jury : Président / Présidente : Yasmina Foehr-Janssens
Rapporteur / Rapporteuse : Fabienne Pomel, Isabelle Fabre

Résumé

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Les arts d'aimer et les livres de conduite sont deux traditions littéraires très en vogue entre les XIIIe-XVe siècles. Grâce à leur célébrité et à leur longévité ils ont contribué à façonner la pensée de l'époque et au-delà.Sous la catégorie « arts d'aimer », applicable à une grande variété de textes à sujet érotique, nous considérons les traductions, voire les adaptations, de l'Ars amatoria d'Ovide, qui instruit les amants à maîtriser les techniques de l'amour, de la première approche jusqu'à l'accomplissement de l'acte sexuel. Cette œuvre écrite sous le règne d'Auguste et qui, déjà à l'époque de sa parution, avait causé des scandales, condamnant son auteur à l'exil, connut une vraie renaissance à partir du XIIe siècle, dans une période dénommée aetas Ovidiana. Elle fut traduite et reprise par les auteurs médiévaux les plus célèbres, dont Chrétien de Troyes, Guillaume de Lorris et Jean de Meun. Dans notre thèse nous analyserons cependant principalement les cinq traductions de l'Ars - encore assez peu étudiées par la critique -, toutes diverses entre elles, d'auteurs peu connus ou anonymes.Pour ce qui concerne les livres de conduite (dont le terme vient de l'anglais conduct literature), il s'agit de traités d'éducation à la vie laïque pensés tout d'abord pour la jeunesse. Ici, nous nous intéressons aux textes adressés aux jeunes femmes, qui couvrent toute l'échelle sociale, depuis la reine et les princesses jusqu' aux femmes du peuple et même aux prostituées, avec le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan. Les destinataires de ces œuvres sont parfois connues, comme Isabelle, fille aînée de Louis IX, la reine Jeanne de Navarre, interpellée par son confesseur Durand de Champagne, et Suzanne, fille d'Anne de France. Parmi les textes de notre corpus s'en trouvent de très célèbres, comme l'œuvre de Christine de Pizan et le Livre du Chevalier de la Tour Landry, et d'autres moins étudiés jusqu'ici par la critique, en particulier un texte qui nous est parvenu sous trois versions différentes et dont nous proposons la première édition.Les deux traditions littéraires ne pourraient être plus différentes entre elles, mais l'intérêt de les rapprocher repose sur le constat que, contrairement à notre attente, les livres de conduite présentent en creux le discours des arts d'aimer. Les auteurs et autrices de livres de conduite se révèlent en fait conscients et conscientes du discours érotodidactique en vogue à l'époque, qu'ils condamnent, tout en le reprenant ex negativo pour mieux enseigner à leurs protégées à se garder des périls de l'amour extra-conjugal. Pour analyser l'influence du discours de matrice ovidienne dans les traités d'éducation, notre étude se base sur les étapes individuelles du parcours amoureux selon la tradition des gradus amoris, à savoir la visio, l'allocutio, le tactus, l'osculum et le factum. Cette démarche permet de toucher à toutes les nuances de l'amour, ses degrés pouvant tous être associés aux cinq sens et à des parties du corps, ce qui facilite l'incursion dans d'autres domaines. Ainsi, nous explorons la mode vestimentaire, les contenances de table, les attentes que les hommes ont des femmes dans l'un et l'autre discours, pour arriver à la déconstruction de l'amour courtois opérée par les livres de conduite. Les attentes des deux discours sont basées sur l'image idéale (ou idéelle) que leurs auteurs ont de la femme ; en les croisant, notre analyse donne en revanche un aperçu de la vie réelle et plus complexe des femmes françaises du Moyen Âge et de leur rapport avec les hommes.Comprendre la formation de ces images idéales et de la conception des femmes, dont les textes de notre corpus sont un reflet et un moyen de diffusion, est fondamental pour saisir des vestiges millénaires qui se trouvent encore de nos jours, combattus par les mouvements d'émancipation féminine tels le #MeToo et le No Means No.