Thèse soutenue

Le système des pronoms personnels français : perspective diachronique, typologique et anthropologique

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Auteur / Autrice : Jean Cruchet
Direction : Olivier Soutet
Type : Thèse de doctorat
Discipline(s) : Linguistique
Date : Soutenance le 03/02/2024
Etablissement(s) : Sorbonne université
Ecole(s) doctorale(s) : École doctorale Concepts et langages (Paris ; 2000-....)
Partenaire(s) de recherche : Laboratoire : Sens, texte, informatique, histoire (Paris)
Jury : Président / Présidente : Joëlle Ducos
Examinateurs / Examinatrices : Thierry Ponchon
Rapporteurs / Rapporteuses : Daniéla Pantcheva, Thomas Verjans

Résumé

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Le présent travail se donne trois objectifs : (i) décrire et expliquer l'importante transformation du système du pronom personnel français entre le 10ème siècle et le 15ème siècle, (ii) concevoir l'insertion de cette évolution locale dans une dynamique évolutive globale du français médiéval, et enfin, (iii) penser les éventuels rapports entre cette évolution linguistique et les transformations anthropologiques qui ont marqué le Moyen Age occidental. En nous fondant sur les recherches précédentes, ainsi que sur une étude de corpus, nous montrons que le système du pronom personnel français a évolué selon une dynamique de spécialisation catégorielle. Les pronoms régimes pleins (moi, toi, lui, eux) remplacent le pronom sujet dans ses emplois toniques, celui-ci s'immobilise et devient obligatoire en précession immédiate du verbe, et les pronoms régime minimaux (me, te, le…) perdent la possibilité d'être postposé à l'indicatif. Il en résulte un système opposant des pronoms syntaxiquement indépendants du verbe et casuellement indifférenciés (moi, toi, lui, eux) à des pronoms inséparables du verbe qui marquent morphologiquement le rang actanciel (je, tu, il, me, te, le…). Ce phénomène de spécialisation catégorielle a par ailleurs été identifié comme une tendance évolutive plus générale en diachronie du français, mais principalement, jusqu'ici, en ce qui concerne l'émergence d'une opposition systématique entre déterminants et pronoms. Nous rendons compte de cette tendance en faisant le point sur l'évolution de deux autres systèmes déictiques, celui des démonstratifs et celui des possessifs. A la lumière de cet ensemble d'observations, il apparait que la spécialisation catégorielle a coïncidé, en français, avec un transfert de la subjectivité évaluative et modale des systèmes grammaticaux vers le lexique. Seuls les pronoms personnels minimaux ont conservé certaines propriétés évaluatives (datif inaliénable) et modales (injonction, interrogation). En prenant essentiellement appui sur deux ouvrages, La mesure du monde, de Paul Zumthor (1993), et La mesure de la réalité, d'Alfred Crosby (2003), mais aussi sur la théorie guillaumienne du nombre grammaticale, ainsi que certaines réflexions d'Henri Bergson concernant la multiplicité, le temps et l'espace, nous proposons d'établir un parallèle entre ce que nous observons sur le plan linguistique et certains changements anthropologiques qui auraient profondément marqué l'occident médiéval. Alors que les notions de multiplicité, de temps et d'espace étaient indissociables, au Moyen Age, de l'expérience concrète et personnelle du sujet (corporelle et affective), elles se sont peu à peu abstraites et objectivées. Dans le même temps, la langue française a évolué en tendant à exclure l'expérience subjective personnelle de ses structures grammaticales.