Discipline, docilité et vigilance à Singapour
| Auteur / Autrice : | Sylvia Delannoy |
| Direction : | Lilian Mathieu |
| Type : | Thèse de doctorat |
| Discipline(s) : | Sociologie anthropologie |
| Date : | Soutenance le 08/11/2024 |
| Etablissement(s) : | Lyon 2 |
| Ecole(s) doctorale(s) : | École doctorale Sciences sociales (Lyon ; 2007-....) |
| Partenaire(s) de recherche : | Laboratoire : Centre Max Weber (Lyon ; Saint-Étienne ; 2011-....) - Centre Max Weber / CMW |
| Jury : | Président / Présidente : Sylvia Faure |
| Examinateurs / Examinatrices : Rémy Madinier, Marie Gibert | |
| Rapporteurs / Rapporteuses : Béatrice Hibou, Jacques de Maillard |
Mots clés
Mots clés contrôlés
Résumé
Ma thèse porte sur les entreprises de disciplinarisation des individus à Singapour, petite cité-État d'Asie du Sud-Est souvent présentée comme une société modèle, marquée par la discipline, la propreté, la sécurité et la prospérité. Cette image, reflet d’une certaine réalité, a été façonnée par les cadres du Parti d'Action Populaire (PAP), au pouvoir depuis que le pays a acquis son autonomie politique en 1959. La thèse vise à comprendre comment le gouvernement singapourien a cherché à modeler les comportements, les pensées et les attitudes des citoyens, en s’appuyant notamment sur les théories de Michel Foucault concernant la discipline et le contrôle des corps et des esprits.L'objectif de ce travail est d'analyser la nature et les finalités de ce projet disciplinaire, en étudiant ses méthodes et ses effets sur la population singapourienne. En s'appuyant sur une trentaine d'entretiens réalisés avec des citoyens singapouriens, je tente d’évaluer le degré d'incorporation des normes et des valeurs promues par les autorités, ainsi que la co-construction de ces normes par les dirigeants et les citoyens. La thèse analyse comment les Singapouriens intègrent ces normes disciplinaires dans leur quotidien. Par le biais des entretiens, je tente de mesurer le degré de co-construction du sens entre gouvernants et gouvernés, en partant du principe que les gouvernants ne disposent pas de la capacité à embrigader des populations passives. L’approche dispositionnaliste adoptée dans cette thèse montre que la socialisation des individus à Singapour commence dès l'enfance, dans le cadre familial et scolaire, et se poursuit tout au long de la vie, notamment à travers la socialisation militaire obligatoire pour les hommes mais aussi par le biais des nombreuses campagnes de communication qui se succèdent à un rythme rapide depuis l’indépendance. Les prescriptions sont donc constantes, même si tous les citoyens ne s’y conforment pas à la lettre.Un point central de cette socialisation est l’intériorisation de la vigilance et de la sécurité comme valeurs primordiales. Le gouvernement singapourien joue sur la peur du crime, du terrorisme et de l’instabilité pour justifier un contrôle étroit de la société. Les citoyens sont encouragés à surveiller leur entourage et à signaler tout comportement suspect. Cela crée un climat de vigilance collective qui, selon l’auteure, renforce l’adhésion des individus à l’ordre établi.La thèse montre finalement que malgré les lois strictes et les libertés limitées, la majorité des Singapouriens adhère au modèle de société imposé par le gouvernement. Cette adhésion repose sur plusieurs facteurs. En premier lieu, la disciplinarisation via l’ensemble des dispositifs étudiés au cours de cette thèse. En second lieu, la peur de la répression ; les lois sévères et les peines dissuasives jouent un rôle central dans la conformité des citoyens aux normes sociales, de même que les amendes souvent lourdes. La peur du châtiment pousse ainsi les individus à respecter les règles. En troisième lieu, la prospérité économique, dans la mesure où Singapour a connu une croissance économique spectaculaire depuis les années 1960, et où cette réussite est souvent présentée par les autorités comme la preuve de l’efficacité de leur modèle. La population, bénéficiant d’un niveau de vie élevé, adhère à un système qui rend leur existence plus simple, en augmentant leur niveau de bien-être maté-riel, comme leur sécurité.Cette étude a donc permis d’esquisser le dispositif de pouvoir singapourien qui lui permet d’exercer une autorité si forte sur sa population, au point d’avoir forgé une sorte d’habitus national qui serait incarné par l’homo singaporeanus : un homme vigilant, modéré, docile, productif, soucieux de consommer, de se divertir, et non de prendre part aux affaires du pays que seules les élites pourraient gérer.